La réalité des faits sur le phénomène de la migration dans une ère post-vérité

Depuis le Brexit et l’élection de Donald Trump, il est difficile de nier que nous vivons dans une ère « post-vérité » dans laquelle les appels à l’émotion et les « fausses informations » ont souvent plus de poids que les faits objectifs pour manipuler l’opinion publique. C’est notamment le cas dans les débats sur l’immigration.

Nous présentons ici quelques-unes des post-vérités les plus prépondérantes sur la migration et les réfugiés, et les faits qui les contredisent :

Les réfugiés constituent une menace pour la sécurité

L’une des premières post-vérités est l’idée selon laquelle les terroristes se font passer pour des réfugiés pour entrer en Europe et aux Etats-Unis. Les représentants politiques et les médias de droite ont réussi à établir un lien entre la série d’attentats terroristes commis l’année dernière et l’arrivée sans précédent et chaotique de plus d’un million de demandeurs d’asile sur les côtes européennes en 2015. La majorité de ces demandeurs d’asile sont originaires de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan, ces pays que l’opinion publique associe aux groupes extrémistes tels que le prétendu Etat islamique ou Al-Qaida ; peu importe le fait que bon nombre d’entre eux fuient ces groupes. Une étude réalisée au mois de juillet par le Pew Research Centre a conclu que, dans 8 pays européens sur les 10 examinés, la moitié ou plus des habitants pensaient que l’arrivée de réfugiés augmentait le risque d’actes terroristes dans leur pays.

Les allégations selon lesquelles des extrémistes se mêlent aux vagues de réfugiés arrivant en Europe sont liées aux attentats perpétrés à Paris au mois de novembre 2015 et à la découverte de passeports syriens près des corps de deux des auteurs des attaques. Au moins un des passeports s’est révélé faux et les auteurs des attentats de Paris se sont avérés être des immigrants de seconde génération qui avaient grandi en France ou en Belgique, puis passé du temps en Syrie avant de rejoindre l’EI. Mais les attentats ont soulevé de réelles inquiétudes sur le manque de filtrage des réfugiés sur les îles grecques au plus fort des arrivées en 2015. Ces inquiétudes ont été prises en compte avec la mise en œuvre de nouvelles procédures de filtrage et de contrôle aux frontières, et l’installation de clôtures le long des principales routes de migration vers l’Europe, mais one peut exclure la possibilité qu’un petit nombre de terroristes potentiels soient entrés en Europe et aient nt été enregistrés en tant que demandeurs d’asile en 2015. Au mois de septembre, les autorités allemandes ont arrêté trois Syriens arrivés en Allemagne en 2015 et soupçonnés d’appartenir à une cellule dormante de l’EI. Un autre Syrien soupçonné de terrorisme, qui se serait radicalisé après son arrivée dans le pays, a été arrêté à Leipzig après que trois autres Syriens l’ont identifié et attaché avant de contacter la police.

Malgré ces cas, la grande majorité des actes de terrorisme recensés en Europe et aux Etats-Unis ont été le fait d’extrémistes « locaux » qui se sont radicalisés sur Internet ou lors de séjours à l’étranger. Des experts soulignent que le fait de présenter le terrorisme comme une justification du renforcement des contrôles migratoires se traduit par un sentiment croissant d’aliénation au sein des communautés de migrants, attise la xénophobie dont ils sont l’objet et crée un cercle vicieux qui risque davantage de se traduire par l’apparition de nouveaux extrémistes que d’avoir un impact sur les quelques cas d’extrémistes violents entrant dans les pays d’accueil en se faisant passer pour des réfugiés.

L’argument avancé par Donald Trump, selon lequel les réfugiés sont un cheval de Troie, repose plus encore sur des faits matériellement inexacts aux Etats-Unis, où la majorité des réfugiés doivent être inscrits dans les programmes de réinstallation pour pouvoir entrer sur le territoire. Contrairement à ce que laisse entendre M. Trump, qui juge le filtrage de ces réfugiés inefficace, les contrôles sont extrêmement rigoureux et prévoient des contrôles de sécurité, qui sont menés par plusieurs agences et peuvent durer jusqu’à deux ans. Une étude réalisée en octobre 2015 par Kathleen Newland de l’Institut des politiques migratoires a conclu que sur les 784 000 réfugiés réinstallés aux Etats-Unis depuis 2001, seuls trois avaient été arrêtés pour préparation d’actes terroristes (deux d’entre eux ne projetaient pas de mener des attentats aux Etats-Unis et les projets du troisième étaient « à peine crédibles »).

« Le programme de réinstallation des réfugiés est l’approche la moins probable pour un terroriste », a conclu Mme Newland.

Le récit de la « crise »

Cela faisait plus d’un an que des bateaux surchargés de migrants et de demandeurs d’asile prenaient la route de la Méditerranée centrale en direction de l’Italie à un rythme régulier quand, au milieu de l’année 2015, la route de la Méditerranée orientale entre la Turquie et les îles grecques a commencé à être empruntée avant d’éclipser rapidement la route de la Méditerranée centrale en termes de chiffres. C’est à cette époque que nous avons commencé à parler d’une crise des réfugiés ou des migrants. L’expression est devenue synonyme des images de familles syriennes titubant sur les plages grecques et de colonnes de migrants et de réfugiés avançant péniblement dans la boue sur la route des Balkans. Les médias adorent les crises et celle-ci pouvait facilement être couverte par les médias européens qui envoyaient des journalistes sur Lesbos, à Budapest ou Munich.

Mais les vagues de migrants et de réfugiés en 2015 étaient toutes relatives par rapport à ce que l’Europe avait déjà vécu et à son manque de préparation pour faire face à la situation à venir. Pour les pays comme la Turquie, la Jordanie et le Liban, qui avaient accueilli un grand nombre de réfugiés pendant des années, l’Europe n’était pas confrontée à une crise. Elle ne l’était pas non plus pour les pays d’Afrique, comme l’Ouganda, l’Ethiopie et le Tchad, qui hébergent des centaines de milliers de réfugiés depuis plusieurs années.

Le récit de la crise a permis aux partis populistes de droite de faire avancer leur programme anti-immigration (pour s’en convaincre, il suffit de regarder l’affiche de campagne pro-Brexit de Nigel Farage qui montre des hordes de demandeurs d’asile sur la route des Balkans), mais il a aussi rendu possible le développement des politiques de réponse à la crise de l’UE. Les facteurs qui alimentent l’arrivée des réfugiés et des migrants en Europe sont complexes et ont des effets à long terme ; ils n’ont pas un début et une fin définis dans le temps. Qualifier le phénomène de crise s’est souvent traduit par la mise en place de politiques à court terme et à courte vue, comme l’accord passé par l’UE avec la Turquie.

L’aide au développement à la rescousse

En 2015, plusieurs initiatives ont été lancées par l’UE afin de débloquer d’importants fonds d’aide au développement pour les principaux pays d’origine dans le but de juguler la migration. La logique veut que ces aides stimulent le développement économique, créant de nouveaux emplois et limitant le besoin de migration de populations en quête de meilleures opportunités.

Depuis plusieurs années, des experts de la migration et des économistes expliquent que cette approche va à l’encontre des faits établis qui montrent que le développement stimule plus qu’il ne freine les migrations, car les personnes qui ont les ressources (et l’ambition) nécessaires pour financer leur passage vers l’Europe ou ailleurs sont plus nombreuses.

Cela n’a pas empêché l’UE de créer le Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique de plusieurs milliards de dollars, qui avait été annoncé en novembre 2015, et de lancer le Cadre de partenariat avec les pays tiers en juin dernier. Ce cadre, qui prend en compte l’hypothèse que l’aide au développement seule ne lui permettrait pas d’atteindre ses objectifs, recourt à une politique de la carotte et du bâton. Les programmes d’aide au développement et les accords commerciaux sont proposés aux seuls pays qui acceptent de renforcer le contrôle des migrants.

Les migrants et les réfugiés pèsent lourdement sur l’économie

Il s’agit peut-être de la post-vérité la plus importante, une post-vérité que les partisans du Brexit et Donald Trump ont manipulé avec efficacité.

Les déclarations des tabloïds britanniques de droite et des conservateurs sur les migrants qui viennent sur le territoire pour bénéficier des services sociaux (on parle également de « tourisme des prestations sociales ») sont peu fondées. Dans bon nombre de pays, les migrants – en particulier, les migrants clandestins – n’ont pas accès aux services sociaux. Dans les pays où ils peuvent bénéficier d’un système d’aide sociale, ils sont bien moins susceptibles que les populations locales de le faire, car bon nombre d’entre eux sont de jeunes adultes qui ont moins de besoins en termes de santé et d’éducation. Une étude menée par l’University College London a conclu que les migrants installés au Royaume-Uni payaient plus d’impôts qu’ils ne recevaient de prestations sociales.

L’immigration a des effets complexes et variables sur le marché du travail. Dans les pays développés, et notamment en période de croissance économique, les travailleurs migrants occupaient souvent des emplois peu qualifiés et mal rémunérés dont les travailleurs locaux ne voulaient pas. Si le degré de compétition pour ces emplois augmente en période de déclin économique, l’immigration peut aussi contribuer à la création d’emplois en stimulant la croissance économique et parce que les entreprises gérées par des migrants emploient souvent des habitants locaux. Il y a une forte corrélation entre le taux d’immigration et le taux de croissance économique. Lorsque la croissance et les opportunités d’emplois diminuent, l’immigration diminue aussi.

L’impact des réfugiés et des demandeurs d’asile sur le marché du travail et les dépenses publiques dépend en grande partie des politiques instaurées dans le pays d’accueil – combien de temps doivent-ils attendre avant d’obtenir le droit de travailler ? Quels sont les programmes d’apprentissage de la langue et de formation proposés pour faciliter l’intégration et l’employabilité ? Quel est le montant des aides qu’ils reçoivent sous forme d’allocations et de logement ? Une étude de l’OCDE a montré que les investissements initiaux consentis pour aider les réfugiés à s’intégrer peuvent se révéler bénéfiques à long terme, car les réfugiés finissent par entrer sur le marché du travail et contribuer de manière positive à l’économie.

Lire l’article sur le site de l’IRIN

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