Jusqu’à présent, le choix du plus haut fonctionnaire du monde se faisait à huis clos. Mais la semaine dernière, pour la toute première fois, les candidats ont présenté leurs idées concernant les Nations Unies à l’Assemblée générale à New York et ont répondu aux questions de représentants de gouvernements, de la société civile et de journalistes lors de rencontres publiques.
Dans un jargon typique de l’organisation, ils ont disserté avec lyrisme sur une longue liste de sujets : de la paix et la sécurité au développement durable en passant par les droits de l’homme, l’action humanitaire, l’impératif de ne laisser personne pour compte, la prévention des catastrophes, la survie et l’avenir à long terme des réfugiés, la lutte contre le changement climatique, l’égalité des sexes et autres réformes au sein des Nations Unies, le renforcement des liens régionaux, la répression des abus sexuels perpétrés par des soldats de maintien de la paix et la situation des jeunes.
La plupart des candidats n’ont pas donné de point de vue très explicite sur des questions humanitaires spécifiques. Voici cependant ce que nous avons tiré de leurs déclarations, des « dialogues informels » qui se sont tenus au sein des Nations Unies, des conférences de presse et des débats ouverts entre certains candidats à New York.
La prévention des conflits
C’est l’un des thèmes les plus mentionnés par les candidats. Nombre d’entre eux ont évoqué les deux impératifs interdépendants que sont la recherche de solutions politiques aux conflits et la résolution de leurs causes profondes. La Bulgare Irina Bokova, actuelle directrice de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), a présenté cette question comme étant « la tâche centrale » de l’organisation, précisant que de nouveaux investissements étaient nécessaires, ainsi qu’une plus grande attention à la médiation et à la prévention et un suivi renforcé. Dans sa présentation, Mme Bokova a préconisé une prévention des conflits passant par des solutions politiques et diplomatiques et par le renforcement « des sociétés aujourd’hui pour les rendre plus résilientes à toutes les menaces contre la paix — de l’extrémisme violent à l’intolérance, en passant par la discrimination et le conflit ». Tout comme une autre candidate d’Europe de l’Est, l’ancienne ministre des Affaires étrangères moldave Natalia Gherman, Mme Bokova a souligné l’importance des mécanismes d’alerte précoce.
Le Portugais António Guterres, ancien directeur du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), a parlé d’un « engagement stratégique en faveur d’une culture de la prévention » et souligné l’importance de trouver des solutions politiques aux crises humanitaires. Avec la femme politique croate Vesna Pusić, il a montré du doigt les inégalités extrêmes et la compétition pour des ressources rares comme étant des sources de conflit. « Pour tous les progrès qui ont été faits, trop de personnes ont été laissées pour compte », a dit Mme Pusić, ancienne ministre des Affaires étrangères croate. « C’est non seulement moralement répréhensible, mais cela menace en outre la paix et la sécurité. »
Helen Clark, ancienne première ministre de Nouvelle-Zélande et actuelle directrice du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a appelé à mieux équiper les Nations Unies pour anticiper les évènements mondiaux et partager des informations fiables avec ceux qui en ont besoin. Pour Danilo Türk, professeur de droit international et ancien président slovène, la priorité est la diplomatie préventive et une obligation de rendre des comptes plus effective concernant les crimes de guerre. L’ancien premier ministre du Monténégro Igor Lukšić a recommandé d’aborder la prévention, l’atténuation et la résolution des conflits de manière plus globale et intégrée. L’homme politique et diplomate serbe Vuk Jeremić a quant à lui suggéré la création d’un groupe de travail interagences sur la prévention des génocides et autres atrocités massives pour une prévention mieux coordonnée et plus efficace au sein du système des Nations Unies.
Une pensée moins cloisonnée
Autre sujet récurrent : l’importance d’une démarche cohésive au sein des Nations Unies, qui reconnaisse les liens entre le développement durable, la paix et la sécurité, les droits de l’homme et l’aide humanitaire. La plupart des candidats ont mentionné la nécessité d’éviter les actions cloisonnées. « Nous ne pouvons pas continuer à compartimenter nos activités », a dit Mme Bokova. Lors du dialogue informel aux Nations Unies, elle a appelé à mieux prendre conscience « des raisons des liens si étroits entre la paix et la sécurité et le développement ». Mme Gherman a préconisé une plus grande coordination entre la communauté humanitaire et celle du développement. Quant à Mme Clark, elle a souligné le manque de « liens homogènes » et de « partenariats solides ». Elle a déclaré, dans la présentation de ses idées, que le système des Nations Unies était plus efficace lorsque « le lien fondamental entre développement durable, paix, sécurité et droits de l’homme [était] pris en compte ». M. Guterres a appelé les humanitaires et les acteurs du développement à ériger des ponts entre eux et a «travailler ensemble dès le début des crises ou même, dans l’idéal, avant qu’elles ne se présentent pour tenter de les éviter». Il a mentionné la nécessité de « créer des liens » et de «renforcer les connexions entre les politiques de paix et de sécurité, de développement durable et de défense des droits de l’homme».
La crise migratoire
Le nombre sans précédent de personnes déplacées dans le monde figurait en bonne place dans les priorités de la plupart des candidats, mais M. Guterres était clairement le plus au fait sur ce sujet. « La migration, a-t-il dit, devrait être une option, pas une nécessité, prise par espoir et non par désespoir. » L’ancien directeur du HCR a appelé de ses vœux l’ouverture de davantage de voies légales d’émigration et le renforcement de la lutte contre les passeurs et les trafiquants. Il a ajouté que les États à revenu intermédiaire accueillant des réfugiés devraient être prioritaires dans la coopération en faveur du développement et dans le soutien des agences des Nations Unies. M. Lukšić a de son côté critiqué l’accord controversé entre la Turquie et l’Union européenne pour juguler l’afflux de réfugiés comme étant un exemple du manque d’initiative des Nations Unies. Mme Bokova a quant à elle appelé les Nations Unies à jouer un rôle plus important dans la résolution de la crise en améliorant l’accès à l’éducation, à la santé et à la sécurité. Mme Gherman a suggéré la mise en place de mécanismes de protection plus efficaces et de solutions durables pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, remarquant le besoin de « résilience et de perspectives de développement à moyen et long terme ». Selon elle, la migration doit être considérée comme profitable à la fois pour les migrants et pour les pays d’accueil et ces derniers doivent accroître leur résilience face aux afflux de réfugiés. Pour l’économiste macédonien Srgjan Kerim, la migration doit être une priorité, non pas en raison de la crise actuelle, mais parce que « l’histoire même de l’humanité est une histoire de migration. »
L’impact du changement climatique
Mme Clark a appelé à soutenir d’urgence l’adaptation et le renforcement de la résilience face au changement climatique. Selon Mme Bokova, le « travail inachevé » des Objectifs du Millénaire pour le développement (lui a-t-on dit qu’ils ont déjà été remplacés ?) devrait porter tout particulièrement sur les pays les moins développés et sur ceux qui sont les plus vulnérables aux conséquences du changement climatique. M. Kerim a déclaré que les Nations Unies devaient jouer un rôle moteur dans la maîtrise du réchauffement climatique et que les besoins particuliers des pays les plus menacés par le changement climatique — à savoir les pays les moins développés, les pays enclavés en voie de développement et les petits États insulaires — devaient figurer en bonne place dans le programme du secrétaire général.
La protection des civils
C’est peut-être M. Jeremić qui était le plus convaincant sur ce thème. Il a défendu la mise en place de règles plus strictes pour régir l’engagement des Nations Unies dans ses missions de maintien de la paix et de stabilisation. La plupart des candidats ont par ailleurs mentionné les abus sexuels commis sur des civiles par des soldats de maintien de la paix et appelé à une « tolérance zéro ».
Les principes humanitaires
Mme Pusić et M. Guterres ont été les deux seuls candidats à mentionner spécifiquement la nécessiter de respecter davantage les principes humanitaires et « l’autonomie de l’espace humanitaire » dans la présentation de leurs idées. Mme Pusić a souligné le fait que de nombreux groupes terroristes comme l’autoproclamé État islamique, Al-Qaida et les Taliban « traitent les organisations humanitaires comme des ennemis. Leur stratégie consiste en partie à s’assurer que les civils des zones dans lesquelles ils opèrent ne reçoivent aucune aide ». Elle a d’ailleurs signalé que les organisations humanitaires ne voulaient pas forcément être associées aux Nations Unies, qui « ne sont pas neutres dans ces conflits ».
La localisation
L’importance de la localisation des interventions humanitaires a été au centre des discussions précédent le Sommet mondial sur l’action humanitaire. De nombreux candidats ont mentionné la nécessité de travailler plus étroitement avec les organisations régionales, notamment avec l’Union africaine. M. Guterres a appelé à renforcer la capacité des gouvernements à répondre aux besoins de leur population en renforçant la capacité de leurs institutions. Quant à M. Türk, il a affirmé que l’une de ses priorités serait de renforcer la compréhension et l’acceptation des différentes cultures et de leur diversité. Selon Mme Gherman, le nouveau secrétaire général devra « s’assurer que des liens sont établis entre le niveau mondial et le niveau régional et faciliter les efforts de tous les acteurs concernés ». M. Lukšić a proposé que le siège du secrétaire général adjoint soit basé à Nairobi.
Le financement de l’aide humanitaire
De nombreux candidats ont cité le problème du manque de fonds pour l’aide humanitaire, mais peu d’entre eux ont proposé des solutions concrètes. M. Jeremić a peut-être été le plus créatif à cet égard. Il a recommandé qu’un envoyé spécial soit chargé de mobiliser des ressources pour combler ces pénuries en privilégiant les crises des réfugiés au Moyen-Orient et en Afrique et les secours post-catastrophe (cette fonction existe déjà en quelque sorte avec la nomination du diplomate russe et fonctionnaire des Nations Unies Rashid Khalikov en tant qu’assistant du secrétaire général pour les « partenariats humanitaires »). Cela permettrait d’améliorer la coordination des secours, du soutien et de l’aide humanitaire aux réfugiés, a dit M. Jeremić. M. Guterres a appelé à un renforcement des partenariats avec les institutions financières internationales, tandis que Mme Bokova et Mme Gherman ont préconisé des « méthodes innovantes » et des financements plus « adéquats et prévisibles », sans en préciser les détails. Pour M. Türk, toute hausse des financements à des fins humanitaires serait bienvenue, mais ne doit pas se faire aux dépens du « développement économique et social ». Mme Pusić a appelé les pays à revenu intermédiaire à participer davantage financièrement à l’effort humanitaire, disant qu’il serait logique qu’ils partagent leurs ressources.
L’efficacité des Nations Unies
C’est un sujet important pour tous les candidats. Mme Clark et M. Guterres, qui ont tous deux dirigé de grandes agences des Nations Unies, ont dit que l’organisation devait se soumettre à une importante réforme pour être plus « adaptée à sa mission » : plus axée sur les résultats, moins centrée sur les processus, plus flexible et plus innovante. Mme Clark a appelé de ses vœux des Nations Unies plus transparentes, plus franches concernant leurs limites, avec une meilleure réputation sur le terrain. Mme Bokova a préconisé des méthodes plus axées sur les individus et M. Türk est allé plus loin en affirmant que les Nations Unies devaient « faire preuve d’un engagement moral plus solide en faveur de sa mission et de ses objectifs d’origine ». Mme Gherman et M. Türk ont parlé de tolérance zéro concernant la fraude et la corruption. M. Jeremić a recommandé un renforcement du Bureau des services de contrôle interne, la protection des lanceurs d’alerte internes, des déclarations obligatoires de la situation financière et une présentation transparente du budget des Nations Unies. De nombreux candidats ont par ailleurs appelé à des procédures de ressources humaines plus efficaces et flexibles pour permettre aux Nations Unies de recruter plus rapidement du personnel qualifié et de se défaire des fonctionnaires qui laissent à désirer. M. Lukšić a quant à lui préconisé de consolider la structure administrative, jusqu’à présent fragmentée, et de revoir le budget en profondeur.
Article paru sur le site de l’IRIN
Source URL: https://diplomatie-humanitaire.org/preoccupations-cles-candidats-poste-de-secretaire-general-nations-unies/
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