Série proposée sur le site de France Culture le 25/03/2019
François Héran, titulaire de la chaire « Migrations et sociétés » au Collège de France, propose dans le cadre de son enseignement et de ses recherches de « rétablir les ordres de grandeur du phénomène migratoire », fait de société, souvent malmené et déformé dans les débats quotidiens.
Dans la série de cours qu’il a donnés au début de l’année 2019, sous le titre « Pourquoi migrer ? », à quelques mois des élections européennes, il s’est donné comme programme de questionner et d’analyser les « facteurs déterminants des migrations ».
Agrégé de philosophie, longtemps démographe – sociologue à l’INSEE et l’INED, François Héran se partage désormais entre le Collège de France et la direction de l’Institut Convergences Migrations. Dans une interview, donnée au journal du CNRS, en décembre 2018, il souligne le décalage qui existe « entre la perception que l’on peut avoir des mouvements migratoires et la réalité des chiffres ».
J’aimerais rappeler ici la définition de l’immigré retenue par l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ou encore la Banque mondiale, qui produisent ces recensements internationaux : les immigrés qu’un pays enregistre sur son sol à un moment donné sont ‘_les personnes nées étrangères à l’étranger, qui ont passé la frontière dans l’intention de s’installer dans le pays hôte pour une durée d’au moins un an_’. La seconde génération, née sur le sol du pays hôte, n’est pas elle-même immigrée selon cette définition. Les immigrés naturalisés, en revanche, restent des immigrés aux yeux des statisticiens.
Selon les derniers chiffres disponibles, on dénombre, aujourd’hui, près de 260 millions de migrants dans le monde. C’est 100 millions de plus qu’en 1990, mais il faut se souvenir que la population mondiale n’a cessé de croître sur cette période… En proportion, les immigrés représentaient 2,9 % de la population mondiale en 1990. Ils sont aujourd’hui 3,4 %, ce qui est peu. On peut majorer ce chiffre à 4 % pour tenir compte de la migration non déclarée. Cela veut dire que plus de 95 % de la population mondiale n’a pas bougé. On est donc loin du raz de marée décrit par certains.
Ces chiffres, François Héran les analyse et les met en perspective, aujourd’hui.
Dans la même interview, le démographe-sociologue explique :
La fameuse phrase de Michel Rocard prononcée en 1989 selon laquelle « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde » continue de sonner comme un slogan, mais elle ne décrit pas la réalité. Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les populations des pays les plus pauvres, ceux où l’on gagne, en moyenne, moins de 1005 dollars par an et par personne, qui migrent le plus. Car pour migrer, il faut un minimum de moyens. Ce sont les pays aux revenus « moyens faibles » ou « moyens élevés », selon les catégories de la Banque mondiale, qui migrent le plus, soit entre eux, soit vers les pays aux revenus « élevés » affichant en moyenne 12 000 dollars de revenus annuels par personne. Au final, on a relativement peu de migration directe des pays les plus pauvres vers les pays les plus riches. La métaphore mécanique, qui voudrait que les flux de migrants s’écoulent des contrées pauvres vers les contrées riches, ou des espaces surpeuplés vers les espaces sous-peuplés, ne décrit aucunement la réalité.
François Héran rappelle que les bases de données ainsi que les travaux des sections « populations » des grandes institutions internationales, à commencer par l’ONU, produisent des projections, des « scénarios et non des prophéties ». Alors que peut-on savoir des flux migratoires aujourd’hui ? Comment nos représentations se sont-elles modifiées grâce à de meilleurs outils et connaissances ?
Dans sa leçon inaugurale et sa première série de cours donnés au Collège de France, en 2018 , il a présenté les paradoxes de l’étude démographique et désamorcé bien des idées reçues. Nous retrouvons aujourd’hui son approche rigoureuse, définitions et explications minutieuses des sources, pour déconstruire les fausses représentations et dépasser les clichés pour comprendre le phénomène migratoire.
A partir de nos connaissances actuelles et des données démographiques de ce début de XXIe siècle, quelles sont les hypothèses pour pouvoir se projeter en 2050, 2070 ?
Comment les théories des migrations interagissent-elles avec ce qu’on appelle en sociologie la théorie de l’action ? Qu’est-ce que la théorie néoclassique des migrations ? Qu’est-ce que le comité Massey et comment les travaux du démographe Douglas Massey ont-ils fait date ? Quel est l’apport de Larry A. Sjaastad, qui a longtemps travaillé sur les migrations rurales aux Etats-Unis ? A partir de quand a émergé la notion de capital humain, dont Gary Becker est le premier théoricien et comment cette notion intervient-elle sur l’analyse des migrations ?
Comment malgré la mondialisation et l’évolution de ces dernières années, les Etats « demeurent-ils la clé » à toutes les étapes du processus migratoire ?
Que fuient les Vénézuéliens aujourd’hui, la misère ou l’insécurité ? Faut-il parler de migration politique ou de migration économique ? François Héran interroge la notion de calcul d’intérêt, chère aux économistes et s’attache à rendre la complexité des ressorts de la migration. Comment peut intervenir la recherche de l’émancipation ? Il montre que la dichotomie entre le politique et l’économique n’est pas si simple, quand les Vénézuéliens cherchent un environnement plus sûr alors que leur propre pays s’écroule, quand ils passent la frontière pour retrouver la sécurité, des vaccins pour leurs enfants et de quoi vivre.
Aujourd’hui, c’est le « décalage entre l’intention de migrer et la réalisation de ce projet » que le démographe-démographe-sociologue analyse. Pourquoi tout le monde ne migre-t-il pas ? Comment peuvent intervenir le calcul d’interêt dans le choix de migrer et le non intéressement ? Qu’est-ce que la nouvelle économie de la migration ?
Au fond qu’est-ce que l’intérêt à migrer ou à ne pas migrer ? Quels sont les jugements de valeur qui touchent le phénomène migratoire ? Pourquoi l’expatrié aurait-il meilleure presse que le migrant ? Comment s’articulent décision individuelles et décision du couple ?
A quoi les individus sont-ils sensibles pour migrer ? Demande le démographe-sociologue François Héran. Les migrants sous-estiment-ils le coût de la migration ? Pourquoi leurs récits de migration minimisent-ils les difficultés quand ils reviennent aux pays ? A côté des économistes quel est l’apport des sociologues aux théorie de la migration ? Quelle est la théorie de la segmentation du travail ? Alors, comment les nouveaux modèles, inspirés de la théorie du capital humain, révèlent-ils le caractère sélectif des migrations ?
-> Partie 1
Comment le démographe Douglas Massey, qui a lu Pierre Bourdieu, met-il en oeuvre le capital social, dans le cadre de son observatoire de la migration mexicaine? S’interroge François Héran. Comment les Etats-Unis sont-ils les champions du regroupement familial ?
-> Partie 2
« Qu’est-ce que le capital social et quelles questions pose cette notion aux chercheurs des sciences sociales »? S’interroge François Héran. Qu’est ce que le capital social appliqué aux théories de la migration? Dans le cours précédent, nous avons vu comment Douglas Massey a notamment mis en avant la notion à succès, mais complexe, de « capital social » dans ses travaux sur les migrations. François Héran revient sur les différentes enquêtes du grand démographe sociologue américain qui a terminé sa carrière à Princeton et, qui a plus ou moins bien lu Pierre Bourdieu, dans son approche du capital social. François Héran s’interroge depuis hier comment Douglas Massey a pu mettre en oeuvre le capital social dans le cadre de son observatoire de la migration mexicaine et quelles questions peut poser la politique de regroupement familial aux Etats-Unis, pays qui pratique le plus ce regroupement. Pourquoi Douglas Massey ne fait-il pas référence au rôle législatif de l’Etat sur la question du regroupement familial ? demande encore François Héran. Pourquoi le démographe américain distingue-t-il un capital social général et un capital social spécifique?
Quelle est la force des liens faibles dans la théorie du capital social ? Comment cette théorie du capital social intervient-elle dans l’analyse des ressorts de la migration ? S’interroge François Héran sur plusieurs cours dans le cadre de sa série « Pourquoi migrer ? » Si François Héran présente une lecture critique (au sens d’examen) des différentes théories de la migration, il s’attache surtout à rendre la complexité des phénomènes et le caractère vivant du « processus migratoire ». Comment la famille et son mode de fonctionnement plus ou moins ouvert intervient-elle dans le capital humain et dans les ressorts de la migration ? Quels enseignements peut-on tirer des études consacrées à l’exode rural dans le long XIXE siècle ? Comment Paul-André Rosental a-t-il profondément renouvelé l’analyse de l’émigration rurale ? Comment ses travaux peuvent-ils nourrir l’approche des migrations internationales ?
Comment le projet migratoire peut-il être souvent un projet familial ? Comment la migration peut-elle devenir une étape obligée dans la vie des jeunes ? Peut-on parler indifféremment des migrations internes et des migrations internationales ? s’interroge le démographe sociologue François Héran. Aujourd’hui nous découvrons la dernière des 6 théories, qui est celle de la causalité cumulative, et les phénomènes qui renforcent le phénomène migratoire. Quels liens entretient la théorie de la causalité cumulative avec celle du capital social ? Quels sont les biais, les problèmes de méthodes quand on essaie d’analyser les ressorts de la migration ?
Source URL: https://diplomatie-humanitaire.org/pourquoi-migrer-la-serie-de-france-culture/
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