Les perspectives d’une négociation au lendemain de la guerre éclair de juin 1967

Article historique paru dans Le Monde – édition 1967 – par Jacques Nobécourt

La question des Lieux saints se pose depuis plusieurs siècles

Dès les premières heures de la récente guerre israélo-arabe, la question de l’internationalisation des Lieux saints, situés en Jordanie et en Israël revint devant l’actualité, du simple fait que les situations acquises dans cette région depuis vingt ans se trouvaient remises en question. Le pape Paul VI lança aux belligérants un appel pour que Jérusalem demeurât « ville ouverte et inviolable » pendant les combats. Mais l’attaque des forces israéliennes pour la conquête de la vieille ville, attaque consécutive aux violents bombardements d’artillerie jordanienne sur la ville israélienne, rendit vain cet appel.

Aussi bien indépendamment du souci d’humanité qui l’avait inspiré, Paul VI semblait nourrir une intention à plus longue échéance : la relance des propositions d’internationalisation des Lieux saints dont le Saint-Siège s’est toujours fait le promoteur. On en eut très vite la confirmation : dans les jours suivants, l’Osservatore romano abordait ouvertement le sujet à plusieurs reprises et le porte-parole du Vatican le commentait. Différents intermédiaires officieux nouaient des contacts à ce propos entre le Saint-Siège et Israël : enfin M. Fanfani, ministre des affaires étrangères italien, paraissait bien apporter sa caution à ces différentes démarches auxquelles, pour sa part, M. La Pira n’aurait pas été tout à fait étranger quoique agissant dans une discrétion totale.

Deux tendances s’opposaient en Israël sur l’opportunité de discuter cette question. Le général Dayan et ses amis considéraient qu’il n’y avait rien à internationaliser : Jérusalem était devenue israélienne dans sa totalité. L’accès aux Lieux saints chrétiens serait assuré en toute liberté sous la seule garantie du gouvernement de Jérusalem. Pour MM. Levi Eshkol et Abba Eban, des conversations étaient concevables et c’est d’ailleurs en ce sens que le ministre des affaires étrangères se prononça devant les Nations unies. Il est donc vraisemblable que les pourparlers officieux très activement menés déboucheront tôt ou tard au grand jour, non sans avoir à affronter des obstacles juridiques et politiques si ardus qu’ils peuvent à tout instant constituer des impasses.

Un problème ancien

Il n’est pas de problème international dont les données remontent aussi loin que celui-là. Dans son état actuel, la date essentielle est celle de 1517, année de la prise de Jérusalem par les Turcs. Les sultans ottomans favorisèrent en effet depuis ce moment la rivalité des différentes confessions chrétiennes à Jérusalem et à Bethléem en soutenant très activement les chrétiens grecs contre les latins. Pendant deux siècles les puissances européennes furent appelées à intervenir pour protéger les uns ou les autres. La guerre de Crimée en découla directement et le problème religieux fut transféré depuis le XVIIe siècle sur le terrain de la diplomatie et des affrontements nationaux.

C’est en 1757 que fut déterminé le « statu quo » actuel qui règle la propriété des sanctuaires sans toutefois qu’aucune de ces règles soit formulée en droit. En dépit des changements survenus au XXe siècle : disparition de l’empire turc, octroi à la Grande-Bretagne d’un mandat sur la Palestine, naissance de l’Etat d’Israël, ce « statu quo » est toujours en vigueur.

L’Assemblée générale de l’O.N.U. dans sa résolution du 29 novembre 1947 qui partageait la Palestine en deux Etats, l’un juif l’autre arabe, prévoyait que Jérusalem serait dotée d’un statut international et administré par les Nations unies. Ce statut aurait deux objectifs :

Le 21 avril 1948, le Conseil de tutelle adoptait un projet de statut plus précis dont l’Assemblée générale approuvait le principe le 9 novembre 1949 tout en demandant quelques modifications de détail à la suite de la guerre israélo-arabe. Selon le statut définitif publié le 4 avril 1950, Jérusalem et ses environs seraient constitués en zone internationale dirigée par un gouverneur nommé par l’O.N.U. Assisté d’un conseil législatif de quarante membres, ce gouverneur disposerait d’une force de police internationale pour assurer la protection des Lieux saints. Le territoire serait « neutre et inviolable et démilitarisé.

Le gouvernement israélien rejeta ce projet qui séparait Jérusalem de l’Etat d’Israël. La contreproposition israélienne envisageait l’internationalisation de la seule zone des Lieux saints proprement dite, celle qui était située dans l’enceinte fortifiée de la vieille ville, avec des garanties d’accès pour les juifs au Mur des lamentations. La Jordanie ne put que s’opposer à une telle formule qui se réaliserait à ses dépens.

Le Vatican reste attaché au projet de zone internationale

Au stade présent des choses, est-il possible d’imaginer d’autres formules, territoriales ou politiques ? L’autorité des Nations unies est-elle suffisante pour enlever à Israël une conquête qui, bien plus qu’un gain militaire, réalise dix-neuf siècles de nostalgie et de foi juive : le retour au Mur des lamentations. Cette simple évidence semble exclure toute concession israélienne. Mais la Jordanie et les Etats arabes ne pourraient pas non plus l’accepter.

Que peut-on faire alors ? Imaginer l’internationalisation des garanties d’accès aux Lieux saints, du contrôle sur les édifices proprement dits dans leur sens le plus restrictif ? A deux reprises, en 1948 et en 1949, Pie XII publia des encycliques pour exprimer son soutien total au projet de zone internationale. Rien ne permet de penser que Paul VI ait abandonné ce principe. En 1948-1950, Israël ne possédait que la moitié de Jérusalem. La ville neuve toute récente est créée des mains des immigrants. Il refusa pourtant le projet de statut. Peut-il aujourd’hui consentir à renoncer à sa souveraineté sur l’ensemble de la ville ?

Jacques Nobécourt (1923-2011) était rédacteur au service étranger du Monde de 1961 à 1983 et correspondant en Italie de 1965 à 1974.

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