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OTAN: «Nous ne voulons pas d’une nouvelle guerre froide»

Passeurs en Méditerranée, terrorisme, confrontation avec la Russie, Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, s’explique.

Propos recueillis par Alain Barluet (Le Figaro), Bernard Bridel (Tribune de Genève), Philippe Regnier (Le Soir), Christoph B. Schiltz (Die Welt)

Des montagnes d’Afghanistan à l’Atlantique nord, en passant par la Méditerranée, la Baltique et l’ex-Europe de l’Est , l’Alliance atlantique est plus active que jamais. Entretien, en son siège bruxellois, avec son secrétaire général, le Norvégien Jens Stoltenberg

En mer Egée, des navires de l’OTAN participent à la lutte contre les réseaux de passeurs, faut-il étendre cette mission à la zone entre la Libye et l’Italie ?

S’il y a une demande pour une présence de l’OTAN dans d’autres parties de la Méditerranée, nous l’examinerons soigneusement et envisagerons ce qu’il conviendra de faire. En mer Egée, nous avons pris, en février, la décision de déployer des navires, après une demande de l’Allemagne, de la Turquie et de la Grèce, trois membres de l’Alliance. Et 48 heures plus tard, nous avons pu déployer le premier navire. Ce que fait l’OTAN s’inscrit dans un effort international plus large: le « deal » Union européenne-Turquie, les efforts de Frontex, etc. Tous ensemble, cela a vraiment fait une grande différence. Le nombre de passages de migrants et de réfugiés a été réduit de façon substantielle.

Il n’y a donc pas encore de demande de l’UE ?

Non, mais nous sommes en dialogue avec l’UE. Et nous avons discuté des différentes façons de soutenir les efforts de l’Union européenne, également dans d’autres parties de la Méditerranée. Nous sommes en train de transformer notre opération militaire actuelle en Méditerranée, Active Endeavour, qui avait été établie après les attaques du 11-Septembre (2001) contre les Etats-Unis et qui était une pure opération de contre-terrorisme, en une opération de sécurité plus large.

Quel serait l’argument en faveur d’une extension de cette mission de la mer Egée à la mer Méditerranée ?

Nous devons nous assurer que ce que fait l’OTAN ajoute de la valeur et est complémentaire à ce que l’Union européenne fait déjà dans le cadre de son opération Sophia , d’autant que les Alliés dans l’OTAN et les Etats membres de l’Union européenne sont largement les mêmes pays.

Et, concrètement, quelles sont les idées sur la table ?

En transformant Active Endeavour en une opération de sécurité maritime plus vaste, ce sera une opération qui, en principe, pourra accomplir beaucoup de tâches différentes : du contrôle de la situation, de la surveillance, du repérage de bateaux, de l’anti-terrorisme, assurer la liberté de naviguer et renforcer les capacités d’intervention.

Même dans les eaux territoriales libyennes… ou sur le sol libyen ?

Nous en sommes encore qu’au stade précoce de la planification et des délibérations. Donc ce n’est pas une question que je peux aborder aujourd’hui.

Le président Obama vient d’annoncer l’envoi de 250 hommes supplémentaires en Syrie pour entraîner des forces locales. Des formateurs de l’OTAN pourraient-ils appuyer les Etats-Unis en Syrie ?

Nous avons commencé à entraîner des officiers irakiens en Jordanie, et nous croyons beaucoup dans ce renforcement des capacités, mais ce n’est pas à notre agenda maintenant d’entraîner des forces syriennes en tant qu’OTAN. Mais, des membres de l’Alliance soutiennent les efforts des Etats-Unis et de la coalition qu’ils dirigent, tant en Syrie qu’en Irak, en menant des frappes aériennes mais aussi en renforçant des capacités locales.

Une coopération entre les Alliés de l’OTAN et la Russie contre Daech est-elle envisageable en Syrie ?

C’est une coalition menée par les Etats-Unis. Nous n’avons pas de présence militaire en Syrie : les Alliés, oui, mais pas l’OTAN en tant qu’Alliance. C’est en quelque sorte la réponse à votre question…

Comment l’OTAN peut-elle accroître son rôle dans la lutte contre Daech ?

Nous faisons beaucoup de choses mais nous pouvons faire plus. Sur le renseignement, tant pour pouvoir collecter plus de renseignement, mais aussi pour le partager et le comprendre. Nous améliorons donc en permanence nos mécanismes d’échange de l’information, de leur décodage. Deuxièmement, nous aidons les pays dans la région à combattre Daech eux-mêmes. Entraîner les forces locales est l’arme la plus puissante que nous ayons dans la lutte à long terme contre Daech et le terrorisme ! Nous devons les aider, les soutenir, les entraîner, mais à long terme, il est préférable que ces forces locales mènent leurs propres guerres, avec notre aide.

La Turquie a été un des membres les plus loyaux de l’Alliance durant la guerre froide. Qu’en est-il aujourd’hui sous la présidence de Recep Tayyip Erdogan, notamment dans la lutte contre Daech) et le terrorisme en général ?

La Turquie est l’allié le plus important face au chaos qui règne en Syrie et en Irak. Les Turcs accueillent généreusement près de 3 millions de réfugiés syriens, ont subi plusieurs attentats à Ankara et Istanbul. Par ailleurs, ils contribuent aux efforts de la coalition dans sa lutte contre l’EI. Notamment en mettant à disposition des infrastructure comme la base aérienne d’Incirlik. La Turquie est le membre de l’alliance le plus affecté par la crise au Moyen –Orient et est aussi le seul pays qui a une frontière avec la zone des combats.

L’OTAN soutient donc la Turquie…

L’OTAN soutient la Turquie en renforçant sa défense aérienne avec des avions Awacs et une batterie de missiles Patriot espagnols. Des navires très modernes de l’Alliance font relâche dans les ports turcs. Par ailleurs, nous sommes très satisfaits de voir que des membres de l’OTAN .- comme les Etats-Unis – ont une présence militaire en Turquie en dehors des structures de l’Alliance. Tout ça pour vous dire que la Turquie est un allié clé dans la lutte contre Daech.

Venons-en à la Russie, la grande préoccupation de l’Alliance. Comment l’OTAN compte-t-elle accroître sa présence dans l’Est de l’Europe ?

L’OTAN doit faire face à des défis sécuritaires croissants. L’Alliance a entrepris les efforts de défense les plus considérables depuis la fin de la Guerre froide. Cela se traduit notamment par une présence renforcée en Europe de l’Est, d’une part, et par la possibilité d’accroître encore cette présence, d’autre part. Des décisions seront prises lors du sommet de Varsovie, en juillet prochain. Ce rendez-vous constituera une étape importante dans le processus d’adaptation de l’OTAN au nouveau contexte géostratégique.

Nous discutons de la possibilité de déployer quatre bataillons dans les trois pays Baltes et en Pologne. Ces unités pourraient être renforcées par des éléments de soutien (ndlr: un bataillon compte de plusieurs centaines à un milliers d’hommes). Cette présence multinationale, avec des soldats issus de différents pays dans chacune de ces unités, permettra de lancer un signal très clair selon lequel une attaque contre un des pays Baltes serait une attaque contre l’ensemble de l’Alliance. C’est conforme à notre devise : un pour tous et tous pour un.

Craignez-vous une attaque de la Russie contre un de ces quatre pays ?

Il n’existe pas de menace imminente contre un membre de l’OTAN, notamment contre ces quatre pays. Mais nous constatons que la Russie s’affirme de plus en plus, qu’elle a triplé ses dépenses militaires depuis 2 000, et qu’elle a fait usage de la force pour modifier des frontières en Europe et violer la souveraineté d’un Etat indépendant, l’Ukraine. L’OTAN y apporte une réponse, de façon défensive, proportionnée, conformément à nos principes.

Ces initiatives de l’Alliance sont-elles compatibles avec l’accord l’OTAN-Russie?

Oui. Cet accord mentionnait l’interdiction de faire stationner des « forces combattantes substantielles » de manière permanente en Europe de l’Est. Ce dont nous parlons actuellement se situe bien en deçà. A l’époque de l’accord, la Russie évaluait elle-même le niveau de ces « forces combattantes substantielles » à plusieurs milliers de soldats. Ce n’est pas le cas. Aucune décision n’a encore été prise. Nos planificateurs militaires nous ont fait des propositions. Un processus politique va maintenant s’engager avant qu’une décision finale soit prise, à la fois sur l’échelle et le champ (scale and scope) ainsi que sur l’emplacement de cette présence avancée à l’Est. Par ailleurs, Barack Obama a réclamé au Congrès un quadruplement de l’initiative de réassurance européenne, c’est-à-dire le financement de la présence militaire américaine en Europe. Cela s’inscrit dans l’adaptation de l’Alliance.

Une station de défense antimissile sera installée en mai en Roumanie. Vous attendez-vous à une réaction de la Russie ?

Cette décision a été prise il y a plusieurs années. Elle n’est pas dirigée contre la Russie mais contre des menaces qui viendraient d’au-delà du continent euro-atlantique. D’un point de vue physique ou géographique, il sera impossible d’intercepter les missiles balistiques intercontinentaux russes. La défense antimissile est défensive. Nous avons assisté à la prolifération de missiles balistiques, d’armes de destruction massive. L’Alliance doit donc être capable de protéger son territoire et ses populations contre ce type de menaces.

Comment faire en sorte que le sommet de Varsovie n’apparaisse pas comme une réunion tournée contre la Russie ?

Nous ne cherchons pas la confrontation avec la Russie. Nous ne voulons pas d’une nouvelle Guerre froide et d’une nouvelle course aux armements. C’est la raison pour laquelle ce que nous faisons est défensif, proportionné et adapté à ce que la Russie a commis en Ukraine. Il faut éviter une escalade.. L’Alliance mène une double approche à l’égard de la Russie, en étant à la fois forte et prévisible. C’est de cette façon que nous pourrons engager un dialogue politique avec la Russie et le maintenir à flot. Le Conseil OTAN-Russie s’est réuni il y a quelques jours. Cela montre que nous sommes sérieux en matière de dialogue politique. Nous ne nous sommes pas réunis parce que nous sommes d’accord mais parce que nous sommes en désaccord. A cette occasion, nous avons parlé de l’Ukraine, de la présence militaire en Europe, de la transparence et du mécanisme de réduction des risques. Il y a quelques semaines, nous avons vu un avion russe s’approcher d’une frégate américaine. Il y a eu aussi l’interception par la Russie d’un avion américain. Cette situation est dangereuse. La mer Baltique n’est pas un lac russe, elle comporte des eaux internationales et plusieurs pays de l’Alliance sont situés sur ses rives. Il n’y a eu aucune provocation à l’encontre de la Russie. Il nous faut renforcer les règles et les mécanismes qui nous permettent d’éviter ces incidents. Et s’ils se produisent, il faut que nous soyons en mesure d’éviter qu’ils deviennent réellement dangereux.

Qu’attendez-vous de la prochaine administration américaine , surtout si Donald Trump l’emporte, lui qui a vivement critiqué l’OTAN en la traitant d’alliance obsolète et coûteuse ?

Je ne veux pas prendre part à la campagne électorale américaine. Il appartient au peuple américain de décider qui sera le prochain président. En revanche, ce que je peux dire c’est ce en quoi l’OTAN est importante, tant pour les Etats-Unis que pour l’Europe. Une Europe stable est aussi importante pour les Etats-Unis. Deux guerres mondiales ont montré combien la sécurité de l’Europe est étroitement liée à celle des Etats-Unis. La sécurité de l’Europe est nécessaire à celle des Etats-Unis. Les deux l’ont payé au prix fort.

Par ailleurs, les alliés européens sont évidemment reconnaissants envers les Etats-Unis pour leur soutien et leur engagement en faveur de la défense collective et de la sécurité commune. Mais, il faut dire que dans le même temps, les alliés européens ont contribué à la défense des Etats-Unis. La seule fois que l’article 5 (ndlr, qui fait d’une attaque contre un membre de l’OTAN une attaque contre tous les membres) a été invoqué, ce fut après les attentats du 11 septembre 2001. Des milliers de militaires européens ont ainsi été déployés en Afghanistan, où plus d’un millier d’entre eux ont perdu la vie dans une opération qui était une réponse directe à une attaque contre les Etats-Unis. Il est difficile de trouver une expression plus forte de la solidarité des membres de l’OTAN à l’égard de l’un d’entre eux.

La question des dépenses militaires est au cœur des critiques américaines ?

Je suis d’accord avec tous ceux qui, aux Etats-Unis, démocrates comme républicains, pensent que les Européens devraient en faire plus, spécialement dans leurs dépenses militaires. Pour ma part, je suis ravi de voir que certains alliés européens, comme le Royaume-Uni, la Pologne et d’autres, dépensent 2% ou plus de leur PNB pour la défense. Mais encore trop d’alliés européens dépensent encore trop peu pour la défense. En ça je rejoins le président Obama.

A ce propos, j’aimerais rappeler que lors du sommet de 2014 au Pays de Galles, nous sommes tombés d’accord sur un programme en trois phases concernant les dépenses militaires. Première étape : stopper la baisse des dépenses. Deuxième étape : augmentation graduelle des dépenses. T troisième étape : atteindre la barre des 2% de dépenses pour la défense. Personne ne s’attendait alors ou n’envisageait que l’on atteindrait les 2% tout de suite. On a parlé alors de la décennie pour atteindre l’objectif de 2%. Mais que voit-on ? En 2015, une année après le sommet, la baisse des dépenses de défenses des alliés européens a dans l’ensemble été stoppées et donc le premier de nos engagements a été tenu. Cela dit, le bilan est contrasté, certains pays (16) ont augmenté leurs dépenses en termes réels, mais certains continuent à les couper. La situation est dons contrastée, mais elle est meilleure. La répartition du fardeau est moins inégale. Reste que pour l’heure, avec 70% du montant, les Etats-Unis paient la part la plus importante des dépenses de défense de l’OTAN . Si l’on pense que le PNB des Etats-Unis équivaut à peu près celui des membres européens de l’Alliance, on voit que les Etats-Unis paient près de deux fois plus que les Européens. Ce n’est pas supportable.

En juillet 2011, vous étiez premier ministre de Norvège lors des massacres commis à Oslo et sur l’île d’Utøya par Anders Behring Breivik. En quoi ces événements ont-ils changé votre manière de faire de la politique, votre vision du monde ?

Cela m’a d’abord démontré combien nous sommes vulnérables , comment l’un des pays les plus pacifiques du monde n’était pas immunisé contre la menace terroriste. Mais cela a aussi démontré l’extraordinaire résilience et la force des citoyens des sociétés démocratiques ouvertes. Cela m’a beaucoup marqué en Norvège en 2011 quand des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues pour démontrer qu’elles ne se laisseraient pas intimider. Mais on l’a vu aussi à Paris et à Bruxelles, partout en Europe où les peuples se ont levés pour défendre nos sociétés ouvertes. Les terroristes n’ont pas gagné. Nous gagnons et nous gagnerons aussi longtemps que nous défendrons nos valeurs. Enfin, j’ai appris que pour lutter contre le fanatisme et le terrorisme, il faut accepter dans nos sociétés des gens de différentes origines, points de vue et cultures. Pour autant qu’ils respectent les règles de la démocratie, sans recourir à la violence.

Article paru sur les sites du Figaro, de la Tribune De Genève, et Die Welt

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