Article paru sur le site du journal La Croix le 14/10/2019 par Claire Lesegretain
Entretien Jean-Baptiste Favatier président de l’Ordre de Malte en France élu en juin 2019, explique la nouvelle stratégie pour les cinq années à venir, qui met notamment l’accent sur la présence dans les territoires éloignés des pôles de santé, les soins palliatifs et l’accompagnement des personnes en grande précarité.
La Croix : La crise de gouvernance de l’Ordre de Malte fin 2016 a-t-elle eu des conséquences financières en France ?
Jean-Baptiste Favatier : Les relations difficiles entre le pape et l’ancien grand maître de l’Ordre de Malte ont entraîné la désaffection de près de 15 000 donateurs et ont donc impacté nos ressources en 2017. En 2018, avec les modifications fiscales et la crise sociale, nous avons vu chuter nos ressources de 13 %. En deux ans, il nous a manqué presque 2 millions d’euros de dons. Pour 2019, la tendance est à la stabilisation. Toutefois, 60 % de notre financement en France provient des canaux publics puisque nous avons une vingtaine d’établissements médico-sociaux (pour enfants polyhandicapés, pour personnes atteintes d’Alzheimer, pour autistes, pour personnes âgées dépendantes…) dont les prix de journée sont assurés par l’État.
Quelles sont vos priorités en France pour les années à venir ?
J.-B.F.: Nous avons vocation à aller là où l’État n’est pas et donc à développer une offre dans les territoires éloignés des pôles de santé, comme nous le faisons déjà en Afrique. Le système de santé public se retire des territoires ruraux pour se regrouper autour des grands centres hospitaliers, si bien que 50 % des bassins de vie sont actuellement sous-dotés d’un point de vue sanitaire. Ces déserts médicaux contribuent à aggraver la très grande précarité, notamment celle des jeunes et des plus de 75 ans qui n’ont plus accès aux soins. Face à ce mouvement de fond qui risque de perdurer, notre préoccupation est d’acheminer la santé au plus près des populations, par des consultations à domicile ou des centres de consultation dans les villages. Nous avons toutes les compétences pour cela, mais nous visons à nous positionner comme partenaire, pas comme prestataire. Ainsi, nous sommes en train de développer du secourisme en zone rurale pour assurer un suivi après une intervention des pompiers et accompagner la personne dans la durée. De même, nous avons ouvert en 2017 un dispensaire multi-associatif dans le centre de Limoges, entièrement animé par des professionnels de santé bénévoles et dédié aux soins les plus coûteux (ophtalmologiques, dermatologiques et dentaires) dont les plus démunis se privent souvent pour des raisons financières. En septembre 2020, toujours à Limoges, nous lancerons un bus médical (médecine générale et ophtalmologie) pour sillonner les trois départements alentour de la Haute-Vienne, la Creuse et la Corrèze.
Quelle est votre spécificité ?
J.-B.F.: C’est notre manière d’accompagner les personnes, en particulier les grands précaires. C’est cela qui oriente toute notre stratégie pour les cinq ans à venir : renforcer l’expression de notre charisme chrétien du soin de l’autre, et considérer qu’en soulageant le corps, on évite à l’âme de sombrer dans le désespoir et la souffrance. Nous ne sommes pas une ONG médicale ! J’ai été pendant sept ans responsable de salle des malades à Lourdes, lors du pèlerinage annuel de l’Ordre de Malte. Lorsqu’un médecin disait à propos d’un malade : « On ne peut plus rien faire », je proposais souvent de faire une chaîne de prière. Voilà notre spécificité !
Concrètement, par quoi cela passe-t-il ?
J.-B.F.: Nous voulons développer nos compétences d’accompagnement psychologique, sensoriel et spirituel, parce qu’un tel accompagnement des personnes en fin de vie est en cohérence avec notre charisme d’espérance, et parce que nous croyons que cela aide à mieux entrer dans la vie éternelle. Nous faisons déjà du soin palliatif ultime, mais nous allons en faire plus pour être davantage présent entre la dernière chimiothérapie et le décès. Ceci est une urgence quand on sait qu’en France 75 % des personnes en situation palliative ne bénéficient d’aucun accompagnement palliatif.
Que fait l’Ordre de Malte en France pour venir en aide aux migrants ?
J.-B.F.: Nos deux péniches sur la Seine, à Paris et Asnières, permettent d’accueillir une centaine de personnes, dont de nombreux migrants : pour dormir (durée limitée à six mois) mais aussi pour consulter une assistante sociale ou un ophtalmologue. Nous envisageons d’ouvrir à proximité deux dispensaires médicaux. Nous sommes également implantés dans trois centres de détention administrative à Metz, Lille et Strasbourg, avec service de consultation juridique. Nous accompagnons aussi quelque 300 familles de réfugiés, notamment des chrétiens d’Orient, dans le cadre de notre programme « ESP’AIR » (cours de français, orientation scolaire et universitaire, accompagnement professionnel, parrainage…). Comme l’Ordre de Malte est très présent au Moyen-Orient, nous avons aussi vocation à permettre aux chrétiens d’Orient à rester sur place, en les aidant à recréer et développer des activités économiques.
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