Article paru sur le site du journal Le Temps le 09/02/2017
L’attaque subie par le CICR témoigne d’une recrudescence inquiétante de l’insécurité. La Russie mise désormais sur les talibans pour stabiliser le pays.
Le convoi était clairement marqué aux couleurs du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Et sa mission était strictement humanitaire: l’acheminement de secours dans une région frappée par de fortes chutes de neige. Mais cela n’a pas empêché son attaque, ni même l’exécution, sur place, de six employés de l’organisation. La tragédie survenue cette semaine dans le nord de l’Afghanistan témoigne de l’insécurité persistante dont souffre ce pays misérable quinze ans après son invasion par les Etats-Unis. Une insécurité si inquiétante que certains pays de la région ont commencé à nouer des alliances longtemps inimaginables.
La détérioration de la situation n’échappe à personne. Le CICR a reconnu dans une note publiée le 28 octobre dernier que «les conditions de sécurité […] sont restées précaires et se sont même détériorées dans plusieurs régions». Une réalité que la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (UNAMA) a exprimée en chiffres dans un rapport daté du 8 février. Les victimes civiles du conflit ont atteint en 2016 le nombre record de 11 418 (3498 tués, en légère baisse par rapport à 2015, et 7920 blessés, en hausse sensible).
Montée en puissance de l’Etat islamique
Les Etats-Unis admettent le problème. Dans un document daté du 30 janvier, l’Inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan (SIGAR) signale deux évolutions troublantes. De janvier à octobre 2016, le nombre de combats entre l’armée régulière et les rebelles talibans a atteint son plus haut niveau en dix ans, en augmentation de 22% par rapport à la même période en 2015. Au 15 novembre, le pourcentage de district plus ou moins contrôlé par le gouvernement a été estimé à 57,2% contre 63,4% fin août, deux mois et demi plus tôt.
Outre le tableau général, l’un des facteurs qui préoccupent le plus les voisins de l’Afghanistan est la montée en puissance de l’Etat islamique sur le champ de bataille. La Russie, la Chine et le Pakistan s’en sont plusieurs fois alarmés à l’issue de réunions conjointes sur l’avenir de l’Afghanistan. Selon le rapport de l’UNAMA, le mouvement a causé à lui seul 250 morts en 2016, soit dix fois plus qu’en 2015.
Dans ce sombre panorama, le Kremlin en est venu à considérer les talibans comme un moindre mal. Alors qu’il les vouait autrefois aux gémonies en raison de leur soutien aux rebelles tchétchènes, il les considère désormais comme un facteur de stabilisation dans le chaos afghan et comme un rempart face aux ambitions locales de l’Etat islamique. Rien de mieux que des fondamentalistes pour s’opposer à ces djihadistes-là! Et puis, les «étudiants en religion» ont la particularité de combattre la présence américaine en Afghanistan. Un engagement qui est du plus haut intérêt pour la Russie, bien décidée, depuis le début de la crise ukrainienne, à limiter l’influence des Etats-Unis partout où elle le pourra.
Un dirigeant taliban a confié il y a quelques mois que sa milice avait noué des relations avec des représentants du Kremlin en 2007. Ces liens se sont développés depuis pour donner lieu à différentes rencontres, au Tadjikistan et à Moscou. Les autorités russes parlent de discussions politiques destinées à préparer des négociations de paix entre les principales parties au conflit afghan. Mais les Etats-Unis, comme le gouvernement de Kaboul, craignent que ces contacts se soient déjà convertis en des formes plus poussées de collaboration.
Lesquelles? Une porte-parole du Ministère russe des affaires étrangères a assuré en décembre 2015 que son pays «partageait» du renseignement avec les talibans dans le but de les aider à vaincre l’Etat islamique. Le gouvernement afghan évoque, toutefois, une coopération plus poussée: certains de ses représentants ont dénoncé le passage de la frontière par de mystérieux hélicoptères, d’autres la découverte de nouvelles armes de fabrication russe sur le théâtre des opérations.
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