Article publié sur le site de l’IRIS le 17/02/2017
La maîtrise de la « négociation humanitaire » est devenue une compétence déterminante et incontournable pour les humanitaires. Le besoin d’intervenir dans des contextes de conflit expose les équipes de terrain à l’interaction directe, souvent tendue, entre ceux-ci et les entités ou individus capables d’exercer des menaces, la violence ou simplement l’autorité légale qu’ils détiennent.
Ce besoin de négociation n’est pas ancré exclusivement sur les menaces : obtenir l’accord des autorités pertinentes pour mettre en œuvre un projet médical (une campagne de vaccination, par exemple) ; l’acceptation d’engager une recherche médicale ; l’importation de médicaments de qualité pour les projets en cours ; la récupération de matériels coûteux comme des véhicules ou des équipements de télécommunication dérobés ; l’obtention d’une permission pour l’utilisation de fréquences de radio ou le permis de travail pour le personnel international font partie du large répertoire potentiel de négociation.
Néanmoins, l’obtention d’accès des humanitaires aux populations en danger (et l’accès de la population aux services fourni par les organisations humanitaires) reste le sujet de négociation par excellence, au point que quelques spécialistes réduisent la « négociation humanitaire » à la négociation pour l’accès.
Les dynamiques de coercition et la violence sur le terrain d’action, toujours changeants, la métamorphose du modus operandi des acteurs armés, l’affirmation des autorités des pays émergents, faibles ou autoritaires face à des interlocuteurs internationaux ajoutés aux exemples mentionnés au début de cet article, demandent de façon incontournable aux nouvelles générations de responsables de projets un savoir-faire, des compétences spécifiques, en négociation humanitaire.
Une grande majorité du personnel de terrain, jeune bien que passionné, n’a pas été exposé à de telles situations critiques ou une telle responsabilité auparavant, une raison de plus qui exige le renforcement des compétences en négociation.
Mais qu’entend-on exactement par « négociation humanitaire » ?
Malgré le manque d’une définition unique et reconnue par tous, et ce, même dans le milieu humanitaire, d’un point de vue opérationnel on entend par « négociation humanitaire » le processus de transformation des intérêts humanitaires d’une ONG humanitaire en objectifs de négociation par l’échange de concessions et propositions avec les acteurs pertinents pour aboutir à un accord. Cet accord rend possible la mise en œuvre de services (notamment de soins et de santé) ou la livraison de biens humanitaires (eau, nourriture, abri) destinés à une population en besoin. Tout ça dans une volonté de respect des principes et valeurs humanitaires (humanité, neutralité, impartialité, indépendance).
Si, sans doute, l’attitude et les compétences individuelles des négociateurs humanitaires aident à aboutir à un accord ou à régler une situation tendue et conflictuelle, il convient de s’interroger sur l’efficacité du processus si à cette composante individuelle innée on ajoute des tactiques et stratégies éprouvées de négociation, une analyse des intérêts des acteurs clés, la définition d’objectifs immédiats et à longue échéance, la gestion du timing, les ressources de persuasion, la capacité de mise en œuvre des accords et d’autres éléments nécessaires pour réussir et affirmer les résultats d’une négociation.
Bien que les compétences individuelles soient un facteur-clé dans le travail humanitaire, la complexité et multiplicité de théâtres d’intervention exigent toutefois des structures de soutien adaptées. Autrement dit, en même temps que le renforcement des compétences individuelles, la pratique de la négociation humanitaire devrait être aussi accompagnée par le renforcement de capacités institutionnelles en négociation ; c’est à dire l’existence d’espaces de discussion, l’analyse et la formation intra et inter-organisationnelle ; le registre et la capitalisation des expériences de négociation ; la sauvegarde des réseaux de relations et contacts cruciaux au-delà de la période d’engagement du négociateur ; le partage des leçons tirées et la production de matériaux de formation sur le sujet.
Parce que c’est dans ce cadre institutionnel que l’on trouvera les réponses aux questions sur les points forts, les leviers, les faiblesses, les modèles appropriés, l’argumentaire de la négociation et la conformation des équipes de négociation ou de soutien à ceux-ci.
Ainsi, chaque dimensions, individuelle et institutionnelle, renforcerait et nourrirait l’autre : l’expérience et les compétences individuelles serviront de matière première et les capacités institutionnelles apporteront structure, méthode, analyse, systématisation et capitalisation.
En parallèle des sources internes, les cadres de formation des ONGs humanitaires doivent penser sérieusement et profiter de la disponibilité des méthodes, idées et ressources des domaines de la diplomatie et de l’entreprise, pour enrichir leurs expériences, de même que les résultats de recherches académiques concernant le sujet, tout en adaptant les contenus à la spécificité humanitaire, bien entendu. Un éventail de concepts, techniques, méthodes, expertises du milieu « non humanitaire » peut être capitalisé et transformé en atouts pour l’action humanitaire.
C’est dans l’articulation de l’expertise individuelle et institutionnelle, enrichie par des sources externes que le savoir-faire en négociation humanitaire s’étoffera au bénéfice de la pratique humanitaire et, par là même, des populations destinataires de l’aide humanitaire. Le manque d’un renforcement des capacités en négociation, que ce soit individuel ou institutionnel, risque d’induire une réduction de l’espace humanitaire ou, plus concrètement, risque de laisser les populations abandonnées. L’espace humanitaire est une conquête, et cette conquête est remportée par la négociation, l’outil le plus efficace que les humanitaires ont en leur possession.
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