La Mondialisation des migrations internationales

Article publié sur le site geostrategia le 27-06-2017 par Catherine WIHTOL DE WENDEN 

Dans un monde où les migrations se sont globalisées et régionalisées en même temps, les systèmes institutionnels supposés accompagner les flux migratoires sont en décalage avec ceux-ci. Celles-ci suscitent de nombreux effets pervers comme la multiplication des sans-papiers, la persistance des apatrides, l’existence de systèmes migratoires en retard sur les espaces de mobilité définis par les migrants. Les ajustements donnent lieu à des régimes migratoires, résultat du bricolage des normes avec les réalités. Cet article aborde la question de la définition d’un droit de migrer, similaire aux droits de l’homme, pour le XXIème siècle.

La Mondialisation des migrations internationales : espaces, systèmes, régimes migratoires dans un contexte global et régional

En ce début du vingt et unième siècle, les migrations internationales ont pris un essor sans précédent. Mais, à la différence du passé, ce ne sont plus les Européens qui ont émigré de par le monde, l’Europe étant au contraire devenue l’une des premières destinations migratoires, en proie à un déclin démographique, mais la planète entière qui est en mouvement, notamment les sud. De nouvelles destinations se sont fait jour, comme les pays du Golfe, le continent africain, certains pays asiatiques, tandis que des pays de départ sont devenus des pays d’accueil et de transit, comme l’Europe du sud, puis le Mexique, la Turquie et les pays du Maghreb. Ces migrations se sont mondialisées depuis trente ans, et ont triplé depuis le milieu des années 1970 : 77 millions en 1975, 120 millions en 1999, 150 millions au début des années 2000, 244 millions aujourd’hui. Ce processus va se poursuivre car les facteurs de la mobilité ne sont pas près d’avoir disparu : écarts entre les niveaux de développement humain (qui combinent l’espérance de vie, le niveau d’éducation et le niveau de vie) le long des grandes lignes de fracture du monde, crises politiques et environnementales, productrices de réfugiés et de déplacés, baisse du coût des transports, généralisation de la délivrance des passeports y compris dans les pays d’où il était hier difficile de sortir, absence d’espoir dans les pays pauvres et mal gouvernés, rôle des media, prise de conscience que l’on peut changer le cours de sa vie par la migration internationale.

Mondialisation et régionalisation des flux

Cette lente mutation s’est effectuée en vingt ans, tandis que les migrations se sont globalisées, les mêmes causes (urbanisation et métropolisation du monde, pression démographique, chômage, information, transnationalisation des réseaux migratoires) produisant partout les mêmes effets (entrée en mobilité de populations hier sédentaires, bien que les plus pauvres ne soient pas encore partis). Certains lieux sont particulièrement investis par les nouveaux flux, comme les îles de la méditerranée, les îles caraïbes, certains frontières aussi (en Thrace, entre la Grèce et la Turquie, entre le Mexique et les Etats-Unis) car elles distinguent le monde de la libre circulation de celui des frontières fermées au plus grand nombre. De nouveaux pays, comme les pays émergents, les « BRICS » (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du sud) attirent. Dans le même temps, d’immenses migrations internes ont cours : il y autant de migrants chinois à l’intérieur de la Chine que de migrants internationaux à l’échelle mondiale, autour de 240 millions.

Presque toutes les régions du monde sont concernées par les migrations, internes et internationales. Si les catégories de migrants et de pays sont devenues plus floues en se mondialisant, la mondialisation des migrations s’accompagne aussi et paradoxalement d’une régionalisation des flux migratoires. A l’échelle mondiale, les migrations s’organisent géographiquement en systèmes migratoires complexes autour d’une même région où des complémentarités se construisent entre zones de départ et d’accueil. Celles-ci correspondent à des proximités géographiques, à des liens historiques, linguistiques et culturels, à des réseaux transnationaux construits par les migrants, à la rencontre de facteurs d’appel (« pull ») et de départ (« push ») de main d’œuvre qui forment un espace formel ou informel de circulation, accompagné ou non de facilités institutionnelles de passage. Malgré l’existence de diverses formes de regroupements informels (« couples migratoires » où l’essentiel des migrants vient d’un même pays pour aller dans un seul autre pays, comme entre l’Algérie et la France, migrations diasporiques où un même groupe construit des liens avec plusieurs pays d’accueil, comme les Italiens, les Marocains ou les Turcs, ou encore saupoudrage de migrations mondialisées dans de nombreux pays comme les Indiens -30 millions- et les Chinois -50 millions- dans le monde), la régionalisation l’emporte dans la logique des flux. Ainsi dans une région du monde donnée, il y a plus de migrants venant d’une même région que d’autres régions du monde[1].

Il en va ainsi du continent américain : l’essentiel des flux migratoires vers les Etats-Unis (40 millions de personnes nées à l’étranger) provient d’Amérique latine et des Caraïbes et, dans les pays d’Amérique du sud, les pays d’accueil (Argentine, Brésil, Chili, Venezuela) reçoivent surtout des migrants originaires des pays voisins, andins et centre américains notamment (Colombie, Bolivie, Pérou, Equateur, Salvador, Honduras). Dans le « Brasiguay », les Brésiliens viennent mettre en valeur les terres du Paraguay dont les paysans vont travailler au Brésil. Ce n’était pas le cas dans le passé, lointain et proche, il y a quelques décennies, où les Européens ont constitué l’essentiel du contingent pour les Etats-Unis, le Canada, l’Argentine et le Brésil. Même scénario pour l’Europe qui, avec quelques 30 millions d’étrangers, fonctionne en synergie migratoire avec la rive sud de la méditerranée et l’Afrique sub-saharienne jusqu’à l’équateur, l’Afrique du sud absorbant l’essentiel des flux de l’Afrique australe. Hier les Européens étaient présents dans ces régions à des fins d’exploration, de colonisation, de missions et de commerce (les 3 « M » en Afrique, militaires, missionnaires et marchands). Le monde russe constitue un autre système migratoire. Des mouvements centrifuges et centripètes devenus intenses depuis la chute du mur de Berlin en 1989 reconfigurent l’ancienne URSS : la Russie vieillissante attire par ses ressources naturelles et ses besoins de main d’œuvre les populations des républiques musulmanes devenues indépendantes qui ont gardé des liens culturels forts avec elle (Ouzbékistan, Kazakhstan, Tadjikistan, Azerbaïdjan) ainsi que ses voisins chinois le long de sa frontière orientale. Le soviétisme, la langue russe et la suppression des visas entre la CEI et la Fédération de Russie constituent un réseau migratoire privilégié[2]. L’Asie du sud –est, qui détient les plus grandes réserves migratoires du monde avec l’Inde et la Chine, forme un autre système migratoire : des pays riches et/ou vieillissants comme le Japon, la Corée du sud, mais aussi Taï Wan, Singapour attirent une migration chinoise. Les Philippines, où un habitant sur dix vit à l’étranger, constituent une abondante main d’œuvre dans la région mais aussi au-delà, dans le Golfe, en Europe et aux Etats-Unis. Malaisie et Thaïlande sont, au gré de la conjoncture, tantôt des pays d’accueil, tantôt des pays de départ dans la région. L’Australie et la Nouvelle Zélande, hier largement peuplées d’Européens sont alimentées par une migration venant d’Asie du sud-est. La migration indienne et pakistanaise irrigue également la région, tout en étant aussi mondialisée que la migration chinoise. Les pays du Golfe, riches et peu peuplés, attirent de leur côté une migration sud-sud provenant de la rive sud de la méditerranée (Egypte, Maghreb, corne de l’Afrique), du Pakistan et des Philippines.

Des systèmes institutionnels sont parfois venus accompagner ces réalités régionales, parfois en casent la logique migratoire : ainsi, l’Union européenne est un espace de liberté et de sécurité pour les Européens de l’Union, mais elle a construit sa frontière extérieure en mer méditerranée, d’où provient l’essentiel des migrants vers l’Europe (Maghreb, Turquie, Proche orient). Aussi, les « grilleurs de frontières » (« harragas », qui tentent le traversée clandestine) viennent-ils se fracasser sur les frontières nord de la méditerranée sans qu’un système institutionnel régional  accompagne ce mouvement, avec morts à la clé[3]. L’Union nordique est un autre espace de circulation et de travail entre les pays scandinaves, dont certains non membres de l’UE (Norvège, Islande). La CEDEAO (Communauté des Etats d’Afrique de l’ouest composée de 15 Etats sub-sahariens, est aussi un espace de libre circulation pour les migrations, mais il ne fonctionne pas car les conflits internes ont conduit à la fermeture de frontières internes à cet espace. En Amérique latine, l’UNASUR, émanation du MERCOSUR, permet la libre circulation entre les pays du cône sud latino-américain, tandis que l’ALENA, entre le Canada, le Mexique et les Etats-Unis, ne permet pas la libre circulation des travailleurs entre Mexique et Etats-Unis. Seules les marchandises circulent. En Afrique du sud, un système institutionnel, le SADC prévoit aussi la libre circulation entre les pays voisins de l’Afrique du sud, pour la fourniture de main d’œuvre, mais les reconductions vers les pays de départ sont légion à partir de l’Afrique du sud. L’ASEAN, en Asie du Sud-est, inclut 10 pays entre lesquels la libre circulation a été établie. Entre l’Australie et la Nouvelles Zélande, le TTTA (Trans Tasman Travel Agreement) permet la libre circulation et la liberté du travail. 25 systèmes de libre circulation existent dans le monde, mais seuls l’Union européenne pour les Européens de l’Union et le marché nordique fonctionnent effectivement.

De nouvelles situations migratoires

Cette régionalisation des flux migratoires se combine avec de nouvelles migrations transversales intercontinentales. Les plus récentes sont les migrations chinoises en Afrique : le Maghreb, l’Afrique sub-saharienne, riches en matières premières (pétrole, minéraux, pêche, bois) et demandeurs d’infrastructures (téléphone, internet, bâtiment et travaux publics) reçoivent une migration chinoise d’affaires et de main d’œuvre temporaire qui se fournit en ressources de la mer et du sous-sol. Les migrations nord-sud forment de leur côté de nouvelles situations migratoires : le « Britishland » en France en est un exemple, avec les Britanniques venus s’installer dans sa partie ouest (Normandie, Bretagne, Aquitaine). Ces migrations de retraités plus ou moins aisés sont aussi présentes en Espagne (Allemands, Anglais), au sud du Portugal (Anglais), en Grèce, au Maroc, en Tunisie et au Sénégal (Français). On trouve le même phénomène aux Caraïbes pour les Américains et les Canadiens. La Bulgarie, depuis son entrée dans l’Union européenne en 2004, cherche aussi à jouer cette carte. Ces migrations sont le prolongement du tourisme international, où les avantages comparatifs du coût de la vie, de la qualité des services et du climat plaident en faveur des pays ensoleillés. D’autres migrations intercontinentales, de mineurs non accompagnés ou de jeunes à la recherche d’emploi ou d’asile viennent compléter ce paysage de plus en plus fragmenté : Afghans désireux de passer en Angleterre, prostituées d’Europe de l’est et des Balkans, avec une importante prise de risques. Des Européens diplômés quittent aussi l’Europe, comme les Espagnols, diplômés vers l’Amérique du sud et l’Europe du Nord, les Portugais vers le Brésil et l’Angola, les Italiens vers l’Europe du nord-ouest. L’Australie attire également des Irlandais et des Grecs qui recomposent ainsi leurs diasporas, comme aux Etats-Unis.

Une mention particulière doit être faite à deux grandes catégories de migrants appelées à s’étendre ou à se diversifier : les réfugiés et les sans-papiers. Les réfugiés sont définis par la Convention de Genève de 1951, écrite dans un contexte de guerre froide et tendant particulièrement à protéger les dissidents soviétiques et de l’ensemble du bloc communiste. D’abord limitée à l’Europe en 1951, cette catégorie s’est progressivement étendue au reste du monde depuis 1967 et son volume a pris une grande ampleur au cours des années 1980-2000 du fait de grandes crises qui ont agité le monde : guerres civiles latino-américaines, conflits du Proche Orient, de l’ex Yougoslavie, d’Algérie, de l’Afrique des grands lacs, en Côte d’ivoire, dans les régions kurdes, en Iran, en Irak, en Afghanistan, au Sri Lanka, au Darfour, au Myanmar, en Erythrée et en Somalie, et aujourd’hui en Syrie et au Mali…La plupart de ces conflits se sont soldés par des personnes déplacées (65 millions) dans les régions voisines, protégées par des ONG (organisations non gouvernementales) : ces sont les déplacés internes (« internally displaced persons »). D’autres ont produit des demandeurs d’asile, à la recherche du statut de réfugié (au nombre de 16 millions de statutaires aujourd’hui). Les pays d’accueil qui hier leur accordaient assez généreusement le statut se sont montrés dans le même temps beaucoup plus réticents du fait de la restriction des politiques migratoires en général et de profils qui avaient beaucoup changé par rapport à la Convention de Genève : des demandeurs collectifs et non plus individuels, menacés non par leurs Etats mais par la société civile (dans le cas du terrorisme islamiste, par exemple), fuyant leurs pays pour des raisons plus sociales que politiques (sexe –femmes-, orientation sexuelle, classe sociale, ethnie, religion). Ainsi la reconnaissance du droit d’asile a parfois suivi une double tendance humanitaire et sécuritaire, ce qui a produit des taux de reconnaissance de plus en plus restreints (20 à 30% obtiennent aujourd’hui le statut de réfugié parmi les demandeurs d’asile en France, par exemple, contre 80% à la fin des années 1970).

Les déplacés environnementaux (42 millions dont 17 millions de migrants internationaux) n’ont commencé que récemment à devenir une question politique liée au réchauffement climatique et sa prise en compte par le droit d’asile est pour l’instant quasi inexistante. Les causes des déplacés environnementaux sont multiples : outre la désertification liée au climat, les catastrophes naturelles (cyclones, tornades, tremblements de terre, éruptions volcaniques), la déforestation, la fonte des glaciers, l’immersion de zones inondables (îles Tuvalu et Maldives, îles Helligen en Allemagne, Bangladesh), les invasions d’insectes, les coulées de boue peuvent provoquer des mouvements de population. La plupart des foyers de crises environnementales se trouvent au sud, dans les pays pauvres où les Etats sont rarement en mesure d’y faire face. Les experts du climat (le GIEC, groupe d’information et d’étude du climat) prévoient qu’à l’horizon 2050, ils pourraient atteindre 150 millions de déplacés, voire 200 millions à la fin du vingt et unième siècle.

D’autres déplacés sont formés par les apatrides, qui ont perdu leur nationalité ou n’en ont jamais eue par suite de succession d’Etats, de recompositions des frontières ou de reconstruction d’Etats excluant certaines minorités. On les trouve notamment au Bangladesh et au Myanmar. Leur statut est défini par la Convention de New York de 1954, mais les Etats cherchent, par le biais de l’accès à la nationalité, à en réduire le nombre.

Les sans-papiers forment une catégorie mondiale, quoique dispersée. Ce sont ceux qui, soit sont entrés illégalement dans un pays sans être munis des documents nécessaires (passeports et visas), soit ceux qui, entrés légalement, ont prolongé leur séjour au-delà des délais fixés ou ont accédé au marché du travail sans y être autorisés (étudiants ou membres de familles notamment), soit de déboutés du droit d’asile. Leur nombre, bien que par définition incertain, est évalué à 11 ou 12 millions aux Etats-Unis, 5 millions en Europe. La Russie, les pays du sud (Maghreb, Turquie, Mexique) en comptent aussi car ces pays de départ sont rapidement devenus des pays d’accueil sans avoir de politique d’immigration. Tel était le cas, voici trente ans, de l’Europe du sud, qui a procédé à des régularisations massives de sans-papiers (Italie, Espagne, Portugal, Grèce) durant les années 1985-2000. Parfois, ils forment le contingent des « ni…ni », ni régularisables au regard des critères de régularisation (travail stable, liens familiaux), ni expulsables car venant de pays en guerre. Ils travaillent au noir dans des secteurs souvent délaissés par les autochtones (les 3 « D », difficult, dirty, dangerous) : restauration, bâtiment, travaux publics, confection, nettoyage, services domestiques, gardes de personnes âgées. Privés de droits, ils en ont néanmoins certains comme l’accès à l’éducation des enfants, les soins médicaux d’urgence. Leur mobilisation dans les pays d’accueil a souvent conduit à une prise de conscience des décalages des politiques migratoires entre l’affirmation de principes de fermeté et la nécessité de souplesse, car ils sont la soupape d’ajustement de celles-ci aux réalités du marché du travail. Ils contribuent aussi à faire émerger le droit à la mobilité comme droit de l’homme au vingt et unième siècle et une réflexion d’ensemble sur la gouvernance mondiale des migrations: une gestion multilatérale associant pays de départ, d’accueil, associations de migrants, OIG et ONG, syndicats, Eglises, patronat afin que la migration soit bénéfique pour les pays d’accueil, de départ et pour les migrants eux-mêmes et devienne un bien public mondial. Car si le monde s’arrêtait de bouger, les écarts entre riches et pauvres, jeunes et seniors seraient encore plus accentués dans le monde. Un tel processus est soutenu par les Nations Unies, sous la forme de forums mondiaux annuels sur la migration et le développement depuis 2006[4]. Le Forum mondial migration et développement, a tenu six réunions annuelles depuis 2007 et un bilan global aura lieu à l’automne 2013, à New York.

La migration d’élites a suscité depuis le début du vingt et unième siècle une attention particulière de la part des Etats d’accueil et des Etats d’origine. Ces derniers commencent à s’intéresser à leurs émigrés, notamment les plus qualifiés. Les pays d’accueil, conscients des risques de concurrence pour le recrutement des cerveaux du monde entier dans les secteurs de pointe, ouvrent leurs frontières à ces migrations de haut niveau : permis à points au Canada, en Australie, en Allemagne depuis 2005, en France avec l’immigration « choisie » depuis 2006, accords bilatéraux avec les pays voisins ou du sud. Les pays qui attirent le plus les élites et les étudiants sont les Etats-Unis, le Canada, l’Europe de l’Ouest. Ceux qui voient partir leurs cerveaux sont l’Europe de l’est et la Russie au lendemain de la chute du communisme en 1991 mais surtout les pays du sud (Afrique sub-saharienne, Maghreb, Proche et Moyen Orient, Inde et Chine). S’agit-il d’un brain drain, d’un exode des cerveaux ou d’un brain gain, d’une diaspora des connaissances bénéfique au développement par l’exil ? Tout dépend des situations : le départ d’un Indien ou d’un Chinois de haut niveau de pays milliardaires en population n’a pas les mêmes incidences que celui d’un médecin d’un pays africain peu peuplé. Les analyses montrent qu’aujourd’hui, contrairement à une idée longtemps répandue selon laquelle les migrations étaient une perte pour le pays d’origine, les migrations sont bénéfiques pour le développement, tant par les transferts de fonds que par les retombées potentielles sur le marché du travail dans certains pays (informaticiens indiens donneurs d’ouvrage en Inde, investisseurs chinois en Chine, par exemple) : plus il y a de migrations, plus il y a de développement humain. A l’inverse, le développement induit souvent des migrations, comme cela a été le cas lors des exodes ruraux du dix-neuvième siècle en Europe, un phénomène que l’on peut observer aujourd’hui dans nombre de pays du sud, notamment en Afrique. La monétarisation de l’économie, les progrès de l’information et de la scolarisation, l’abandon du fatalisme, l’espoir de réaliser son projet de vie, l’individualisation des parcours migratoires, l’offre de passage conduisent de la migration interne à la migration internationale. Un écart se creuse parfois entre les populations qui vont mieux et pour lesquelles la migration est une source de mieux être et leurs pays qui n’offrent aucune issue à court terme. La restauration de la confiance entre les migrants et les pays du sud apparaît alors comme une condition nécessaire au retour de ceux-ci et aux investissements productifs dépassant le cadre familial.

Enfin, les trans-migrants achèvent ce panorama des nouvelles situations migratoires. Apparus au cours des années 1990-2000 lors de la chute du mur de Berlin, ils ont formé l’essentiel des migrations est-ouest en Europe. Anticipant leur entrée dans l’Union européenne, ils ont commencé à effectuer diverses formes de circulations migratoires : une installation dans la mobilité comme mode de vie. Colporteurs « à la valise » d’est en ouest d’abord, travailleurs saisonniers ou domestiques comme dans l’Europe de l’est vers l’Europe du sud ensuite, faux touristes à la recherche de travail, commerçants occasionnels sur les marchés, ils ont commencé à constituer une catégorie nouvelle au tournant du XXIème siècle avant que leur accès progressif au marché légal du travail européen les rende moins visibles. Leur vie s’effectue « ici » et « là-bas », dans un entre deux alimenté par la force des liens migratoires transnationaux. On les trouve aujourd’hui parmi les sub-sahariens au Maroc.
Ces migrations de circulation existent aussi dans d’autres régions à proximité d’autres lignes de fracture du monde, mais les conditions juridiques sont moins favorables quand les migrants sont soumis à des visas. Ceux qui ont un statut privilégié (double nationalité, visas à entrées multiples, commerçants et hommes d’affaires, intellectuels) constituent des réseaux migratoires d’allers et retours entre les deux rives de la méditerranée, riches d’activités entrepreneuriales et commerçantes. Plus les frontières sont ouvertes, plus les migrants circulent et moins ils s’installent définitivement car leur espace de vie s’élargit. A l’inverse, plus les frontières sont fermées, plus les sans-papiers tendent à se sédentariser, faute de pouvoir repartir chez eux et de ne plus pouvoir revenir. La circulation migratoire est l’une des tendances de fond des nouvelles mobilités d’aujourd’hui.
Enfin, les flux se dirigeant vers le sud (sud-sud et nord-sud), soit 110 millions, sont en train d’égaler en nombre les flux se dirigeant vers le nord (sud-nord et nord-nord), soit 130 millions. Cette nouvelle donne, qui ne s’était jamais produite auparavant avec des pôles d’attraction comme les pays du Golfe et les BRICS, est riche de nouvelles inconnues, tant quant au régime de franchissement des frontières que quant aux droits des migrants : du nord au nord, on circule librement avec  sensiblement les mêmes droits au départ et à l’arrivée, du sud au sud, les frontières sont assez ouvertes mais les droits reconnus aux migrants sont rares. Du nord au sud, les frontières sont grandes ouvertes mais l‘accès à la citoyenneté est peu accessible. Du sud au nord, l’entrée est périlleuse pour le plus grand nombre mais les droits des migrants en situation régulière se rapprochent de ceux des nationaux. Au sud, la question de l’universalité des certains droits comme la reconnaissance du droit d’asile, le droit des mineurs non accompagnés, les droits sociaux pour les travailleurs et leurs familles, le droit de circuler est posée. Au nord, la signature de la convention des Nations Unies de 1990 sur les droits de tous les travailleurs migrants et de leurs familles signée par 46 Etats, tous du sud, renvoie elle aussi, à la question de la généralisation du droit de migrer comme droit de l’homme du XXIème siècle[5].

Catherine WIHTOL DE WENDEN est directrice de recherche au CNRS

Bibliographie

References

  1. Sur la notion de système migratoire, initialement définie par Douglass Massey et al. au début des années 1990, « Theories of International Migration : a review and appraisal », Population and Development Review, 19 (3), 1993, pp. 431-466, voir aussi Catherine Wihtol de Wenden, La Globalisation humaine. Paris, PUF, 2009
  2. Anne de Tinguy, La grande migration. La Russie et les Russes depuis l’ouverture du rideau de fer. Paris, Plon, 2004
  3. Catherine Wihtol de Wenden, Pour accompagner les migrations en méditerranée. Paris, L’Harmattan, 2013
  4. Catherine Wihtol de Wenden, La question migratoire au XXIème siècle. Migrants, réfugiés et relations internationales. Paris, Presses de sciences-po, 2ème édition, 2013
  5. Catherine Wihtol de Wenden, Les nouvelles migrations. Lieux, hommes, politiques. Paris, Ellipses, 2013. Voir aussi, du même auteur, Atlas mondial des migrations. Paris, Autrement, 3ème édition 2012

Source URL: https://diplomatie-humanitaire.org/mondialisation-migrations-internationales/