Article paru sur le site du journal Le Monde le 13/04/2019 par Julia Pascual et Olivier Faye
Pascal Brice, ancien directeur de l’Ofpra, plaide avant les européennes du 26 mai pour que le sort des réfugiés, sans cesse instrumentalisé, redevienne une question de dignité.
Pascal Brice a été directeur, de 2012 à 2018, de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), l’organisme qui gère en France les demandes d’asile. Défenseur d’un « devoir d’humanité » dans une Europe en crise, ce proche d’Emmanuel Macron plaide pour que la question migratoire ne soit pas instrumentalisée à des fins électorales.
Début avril, Christophe Castaner, le ministre de l’intérieur, a suscité une vive polémique en accusant les ONG qui viennent au secours des migrants en Méditerranée de se montrer « complices » des passeurs. Comprenez-vous ce genre de déclarations ?
Nous retiendrons au contraire que ces ONG ont sauvé l’honneur de l’Europe en Méditerranée. Il faut que les Etats et l’Union européenne (UE) assument pleinement leurs obligations d’accueil et de protection. C’est la meilleure manière d’assécher les passeurs. Et, à ce moment-là, les Etats pourront faire la leçon aux ONG.
En Méditerranée centrale, justement, l’Europe a retiré ses moyens de sauvetage pour laisser la main aux garde-côtes libyens. Est-ce la fin de l’asile en Europe ?
C’est un constat d’échec et de faillite. Tout au long de cette crise de l’asile, depuis 2014, l’Europe a été incapable d’apporter une réponse coordonnée. Ses failles sont béantes. A l’Ofpra, nous avons voulu apporter des solutions, car elles existent.
Nous avons conduit des missions de protection dans les ports européens mais aussi en Afrique ou au Proche-Orient, de manière que les personnes qui relèvent du droit d’asile puissent être accueillies sans avoir à s’engager dans ces terribles traversées.
Vous critiquez souvent ceux qui agitent le risque d’un « appel d’air ». Qui sont-ils ?
L’idée consistant à dire qu’il faudrait détériorer les conditions d’accueil pour éviter que les personnes viennent est très présente dans la culture administrative et politique, comme une sorte d’atavisme que j’ai combattu. C’est non seulement indigne, mais ça n’a jamais empêché qui que ce soit de venir en France. En outre, cela ajoute au désordre et fabrique du rejet.
Le discours prononcé par Emmanuel Macron sur l’immigration à Orléans en 2017 est une feuille de route claire : il faut prendre en charge bien et vite toute personne sur le territoire national. Mais le système tel qu’il fonctionne aujourd’hui ne permet pas de le faire. La même autorité politique et administrative, le ministère de l’intérieur, est chargée à la fois de la politique migratoire – qui est restrictive depuis des décennies – et de la politique de l’asile. Cela se fait régulièrement au détriment de la politique de l’asile.
Jusqu’en 2016, le ministère de l’intérieur a totalement accepté l’indépendance de l’Ofpra. Par la suite, une tension structurelle est apparue. J’appelle de mes vœux à la constitution d’une agence de l’asile au niveau français qui sorte du giron exclusif du ministère de l’intérieur. Il faut rouvrir la gouvernance de l’asile, non seulement à d’autres ministères, sociaux par exemple, mais aussi au ministère des affaires étrangères, aux acteurs de la société, aux élus, aux territoires.
Emmanuel Macron a fait de l’immigration un élément du grand débat national. Braconne-t-il à droite ?
Je ne cherche plus à sonder les cœurs des responsables politiques, même quand j’ai de l’amitié et du respect pour eux. S’agissant du grand débat, il semble que les Français ne se lèvent pas tous les matins en se demandant s’il y a trop d’étrangers en France. En revanche, faire comme si la question ne se posait pas dans ces moments de tensions sociale et identitaire serait aussi une erreur. Trop longtemps, nous avons connu de la part des pouvoirs publics, en Europe et en France, une attitude qui relevait soit de l’évitement, soit de provocations. Cela fait des dizaines d’années qu’on est dans l’instrumentalisation et je considère que ça nous mène à l’abîme.
Nous sommes capables collectivement d’avoir un droit d’asile digne, juste et réellement appliqué. Je souhaite aussi que le monde du travail s’empare de la question de la migration économique légale. Cela veut dire l’assumer, parce qu’elle répond à nos besoins, l’organiser, la mettre en œuvre dans la transparence.
Cela peut passer par des quotas votés chaque année au Parlement ?
S’il s’agit d’organiser la migration, en concertation avec les partenaires sociaux et dans la transparence démocratique, cela serait un pas utile, dès lors qu’il s’ajouterait au plein respect du droit d’asile et à la prise en compte d’un droit au séjour nouveau pour des situations de détresse humanitaire qui n’en relèvent pas et qui sont aujourd’hui insolubles. Mais faire des quotas en matière d’asile serait totalement inconstitutionnel.
Quelle place occupera la question migratoire dans les élections européennes ?
C’est un élément central. A certains égards je le regrette, car la tentation des Européens, dès lors qu’ils ont été incapables de gérer les arrivées depuis 2014, est d’externaliser l’asile, c’est-à-dire de transférer cette responsabilité hors d’Europe. Ce serait indigne et inefficace.
Il faut mettre dans le débat européen de véritables solutions : fonder une agence européenne de l’asile, indépendante et pas sous instruction politique comme cela existe dans d’autres pays ; construire un droit humanitaire complémentaire ; anticiper les réfugiés climatiques ; organiser la migration économique légale.
Emmanuel Macron pourrait former une coalition avec le Parti populaire européen, au sein duquel siège Viktor Orban, hostile à l’immigration. Est-ce que ça vous choquerait ?
Je ne vois pas comment on pourrait construire le futur de l’Europe avec un mouvement de cette nature.
L’Europe est bloquée dans l’adoption d’une nouvelle législation sur l’asile, car les Etats s’opposent sur la réforme de Dublin, qui stipule qu’un réfugié doit demander l’asile dans le premier pays européen qui l’a accueilli. Pourquoi ?
Dublin a fait basculer un pays comme l’Italie à l’extrême droite, parce que cela a alimenté la conviction des Italiens qu’ils avaient été abandonnés. Ce n’est qu’une partie de la réalité puisque, au moment du pic des arrivées sur le continent, ils ont laissé passer les personnes et n’ont pas exercé leur responsabilité. Sans parler de ce qu’il se produit depuis un an avec la fermeture des ports, et qui est inadmissible.
Il y a un autre effet qui m’inquiète. Dans notre pays, un nombre important de demandeurs d’asile stagnent dans les centres d’hébergement puisque la règle de Dublin veut que l’on essaye pendant un an et demi de les renvoyer vers le pays par lequel ils sont entrés en Europe. Cela alimente la confusion, le rejet, et le plus souvent cela ne sert à rien.
Dublin est un poison dont il faut d’urgence sortir. Nous n’obtiendrons un accord européen, notamment avec l’Italie, que si nous sortons de l’ambiguïté. Plus on attend et plus le populisme s’alimente de ces failles de l’Europe.
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