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Pourquoi l’ONU ne peut rien faire en Syrie ?

Après cinq ans de guerre en Syrie, l’Organisation des Nations unies n’arrive toujours pas à imposer une quelconque solution afin de faire taire les armes.

Le dernier accord de cessez-le-feu a tenu une semaine avant d’être violé par les groupes de l’opposition sur le terrain. Sans la volonté des grandes puissances, membres du conseil de sécurité, qui disposent d’un droit de veto, rien ne peut se faire à l’ONU.

Pourquoi l’ONU ne peut rien faire en Syrie ?

Le journal La Croix à demandé à Chloé Maurel (historienne, chercheuse à l’UMR SIRICE) et  Karim Pakzad (chercheur à l’IRIS) et de répondre à cette question.


Chloé Maurel , historienne, chercheuse à l’UMR SIRICE (Sorbonne – Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe).

« Donner plus de poids à l’Assemblée générale »

On a tendance à dire trop rapidement que l’ONU ne sert à rien. De nombreuses agences onusiennes sont utiles sur le terrain en temps de guerre et aussi pour aider au développement. C’est le cas, par exemple, du Pnud, pour la construction d’écoles, de l’Organisation internationale du travail (OIT), pour ses actions contre le travail forcé, de l’Unesco qui a mené notamment, après la seconde guerre mondiale, des actions d’éducation à la démocratie en Allemagne ou au Japon. En Syrie, aujourd’hui, des agences de l’ONU arrivent à distribuer médicaments et vivres.

Un constat d’échec

Ceci posé, on peut tirer un constat d’échec du rôle de l’ONU, face à la recrudescence des conflits violents dans le monde, depuis la fin de la guerre froide. Certes, les opérations de maintien de la paix se sont multipliées. Aujourd’hui, 90 000 soldats onusiens sont déployés sur le terrain. Mais les Casques bleus n’ont pas de pouvoir militaire, alors que les pères fondateurs de l’organisation avaient imaginé un comité d’état-major, rassemblant les chefs militaires des cinq nations qui ont un droit de véto au Conseil de sécurité. Ce comité devait avoir à sa disposition des forces armées pour agir. Ce système est resté dans les cartons.

Du coup, dans les conflits, l’ONU tend à être éclipsée par d’autres acteurs, comme l’Otan. C’était le cas dans l’ex-Yougoslavie. Les États-Unis, qui dominent à l’Otan, ont imposé cette institution comme légitime pour résoudre les conflits armés dans les Balkans. Dans le même temps, l’ONU a évolué vers la « construction » de la paix (peace building), pour imposer une paix durable dans les pays où elle intervient.

Actuellement, le Conseil de sécurité est l’organisme de décision de l’ONU. Cinq pays, dont la France, y ont un droit de véto. C’est cette possibilité de véto qui a paralysé le conseil pendant la guerre froide, sur des sujets comme la Guerre du Vietnam ou le conflit israélo-palestinien. Il faudrait donner plus de poids à l’Assemblée générale de l’organisation où chacun des 193 pays membres a une voix. C’est une vraie instance démocratique.

Pour l’instant, à l’ONU, les décisions sont prises, au sein du Conseil de sécurité, par les pays du nord alors que la majorité des conflits actuels concernent généralement des pays du sud. La mise en œuvre des décisions sur le terrain est confiée à des casques bleus issus dans leur immense majorité des pays du Sud.

Enfin, pour que l’ONU ait plus de poids, il faudrait aussi qu’elle soit dirigée par des hommes et des femmes moins réservés. Mais, les grandes puissances ont tendance à rechercher des personnalités consensuelles, discrètes, qui ne leur feront pas d’ombre.

(Recueilli par Pierre Cochez)


Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS, spécialiste du Moyen-Orient

« Rien ne peut se faire sans l’aval du conseil de sécurité »

L’Organisation des Nations unies (ONU), est la somme des États membres qui la composent. À l’ONU, rien ne peut se faire sans l’aval du conseil de sécurité composé de cinq membres (Chine, États-Unis, Fédération de Russie, France et Royaume Unie), car ils disposent du pouvoir de veto qui est l’expression politique d’un État
C’est le cas pour le conflit israélo-palestinien où un nombre considérable de résolutions onusiennes a été l’objet d’un veto américain parce que Washington ne souhaitait pas imposer quoi que ce soit à Israël.

Un jeu de dupes

Sur le dossier syrien, il ne peut pas y avoir de règlement sans un accord entre les États-Unis, chef de file qui soutient un certain nombre de groupes d’opposition et compte dans ses rangs la Turquie et l’Arabie saoudite, et de l’autre la Russie qui soutient le régime de Bachar, soutenu aussi par l’Iran. Le conflit syrien est un jeu de dupes entre des puissances qui annoncent vouloir établir un règlement alors qu’en coulisse, elles continuent à alimenter des groupes d’opposition.

Le 9 septembre, un accord pour un cessez-le-feu en Syrie a été conclu entre Washington et Moscou. Il a volé en éclat au bout d’une semaine, parce que Washington n’a pas réussi à imposer aux groupes qu’il soutient sur le terrain de le respecter.

En Syrie, il n’y a pas une guerre, il y en a des dizaines. À Alep, le groupe dominant sur le terrain, c’est al Nosra, qui s’est rebaptisé Fatah al Cham (pour faire oublier son affiliation à Al-Qaida). Al Nosra était exclu de l’accord de cessez-le-feu.

D’autres groupes comme les salafistes d’Ahrar al-Cham et l’armée syrienne libre, soutenue les États-Unis, et qui se battent aux côtés d’al Nosra à Alep, n’ont pas respecté le cessez-le-feu parce qu’ils sont dépendants du bon vouloir d’al Nosra. Pour que le cessez-le-feu perdure, il faudrait qu’ils se désolidarisent d’al Nosra.

La Russie marque des points

La Russie aussi, qui marque des points dans cette guerre, n’est pas disposée à abandonner ses acquis sur le terrain et laisser les djihadistes se renforcer et s’organiser. À la moindre violation du cessez-le-feu, Moscou et l’armée syrienne ont répondu par des attaques massives sur les positions de l’opposition à Alep.

Le mécanisme d’une négociation se passe toujours en plusieurs temps. Les acteurs négocient entre eux, comme les Russes et les Américains le font en Syrie. Ensuite, une fois que celui-ci est respecté, l’ONU peut intervenir pour mener les négociations, pour la mise en place d’un gouvernement de transition et ensuite le processus des élections, dans le cas syrien.

Mais la première phase se passe toujours entre les grandes puissances. C’est ce qui s’est passé entre Washington et Téhéran pour les négociations qui ont abouti à la signature de l’accord sur le nucléaire iranien. Il faut distinguer entre le pouvoir réel sur le terrain et le pouvoir juridique de l’ONU. L’ONU vient en appui quand les grandes puissances en ont besoin. Mais sans leur volonté, l’ONU ne peut rien faire tant qu’existe un droit de veto.

(Recueilli par Agnès Rotivel)


Lire l’article sur le site du Journal La Croix 

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