Article paru sur le site du journal La Croix le 26/02/2018 par Pascal Charrier
Un entretien avec Gilles Collard, directeur général de l’Institut Bioforce, à Vénissieux (Rhône). Pour ce spécialiste de la formation des travailleurs de l’humanitaire, la prévention des comportements problématiques passe aussi par une préparation réellement professionnelle aux réalités du terrain.
La Croix : Près de 3 000 personnes passent chaque année dans votre institut créé en 1983. Sont-elles aussi formées à avoir de « bons » comportements sur le terrain ?
Gilles Collard : Notre formation prépare au savoir-faire, mais aussi au « savoir-être ». Cela passe par des échanges avec une équipe pédagogique constituée de professionnels qui ont eu une expérience sur le terrain. Nous avons aussi des cours spécifiques, où il est question par exemple d’interculturalité et des relations de confiance à établir avec les bénéficiaires de l’aide. C’est un tout. Il y a également des conférences, données par des personnes de retour de mission. Cela prépare les étudiants à un certain état d’esprit.
Comment préparer des étudiants à gérer la pression inhérente à ce genre de mission, notamment aux problèmes de sécurité ?
G. C. : Il y a d’abord la technique. C’est très standardisé. En ce qui concerne la sécurité, nous avons des outils très concrets d’analyse des risques et des comportements à adopter en fonction du niveau de ces risques. La formation est aussi ponctuée d’applications techniques et de mises en situation. On met en scène des scénarios en partant à la campagne, avec des jeux de rôle, par exemple autour d’un afflux de réfugiés. L’encadrement peut alors évaluer le comportement des étudiants et débriefer leurs réactions.
Pouvez-vous prévenir d’éventuels comportements problématiques ?
G. C. : Nous avons tout un dispositif d’évaluation de ce savoir-être avec une grille d’analyse, autour des questions d’adaptabilité, de discernement et de gestion du stress, mais aussi un suivi comportemental. Les étudiants passent neuf mois en formation chez nous, puis vont six mois sur le terrain au sein d’ONG et on a un retour d’information de ces employeurs. On a vraiment la possibilité de détecter les comportements à risque, de toutes sortes, qu’il s’agisse de problèmes relationnels ou des addictions. Il m’est d’ailleurs arrivé d’exclure des étudiants. Car toute déviance ici peut prendre des proportions très importantes sur le terrain, vis-à-vis évidemment des populations, mais aussi des autorités et du reste de l’équipe. Le diplôme amène une vraie garantie, même si ce n’est pas une garantie à 100 %.
Cela met-il aussi ces futurs employés d’ONG à l’abri de l’écueil de l’idéalisme ?
G. C. : Notre plaidoyer est toujours le même. Bien sûr, l’humanitaire est un engagement, mais cela reste d’abord une profession, pas une vocation, et il faut une formation véritablement professionnelle. C’est peut-être ce qui nous différencie de formations plus académiques, où l’on peut rester sur une dimension plus intellectualisée de l’humanitaire. On ramène vraiment tout à une dimension très professionnelle, en essayant de rendre des gens très opérationnels.
Une bonne formation est donc un garde-fou ?
G. C. : Bien sûr. C’est le principe d’une formation qui donne des compétences et s’intéresse aux comportements. On voit des expatriés qui ont des comportements scandaleux. Mais sur des terrains comme la Centrafrique ou le Nigeria, 80 % du personnel des ONG sont des employés nationaux. Il y a toute une tradition de formation en France et en Europe dans l’humanitaire. Et c’est très bien. Il faut aussi que l’on se rapproche des terrains de crise, là où les besoins existent. C’est pour cela que l’on vient d’ouvrir une école à Dakar et que l’on souhaite en ouvrir une au Moyen-Orient. Pour éviter tout comportement à risque, l’exigence de formation doit concerner l’ensemble des équipes, les expatriés comme les employés nationaux.
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