À la veille de la visite-éclair du Saint-Père sur l’ile grecque de Lesbos, Pasquale Ferrara, un diplomate italien, analyse ses actions internationales.
« Le Pape ! Combien de divisions a-t-il ? ». Staline, en posant cette question, voulait faire remarquer que le plus petit État du monde n’avait pas d’armée et comptait donc bien peu, si ce n’est rien, sur la scène internationale.
Le Saint-Siège, en effet, n’a pas d’intérêts personnels à protéger, mais il serait réducteur et trompeur d’analyser ses actions internationales en fonction des seules catégories de la géopolitique. Bien entendu, cela ne veut pas dire qu’on doive ôter toute valeur géopolitique à ses actions, mais reconnaître plutôt qu’un « moteur » sui generis est à l’origine de toutes ses démarches de dialogue et ses tentatives de jeter des ponts partout et pour tout le monde…
Le Pape privilégie la politique mondiale
Le diplomate italien Pasquale Ferrara, expert en relations internationales, vient de publier un ouvrage Il Mondo di Francesco – Bergoglio e la politica internazionale (Attualità e storia) (Le monde de François – Bergoglio et la politique internationale (Actualité et histoire)), sur les événements, voyages et initiatives diplomatiques qui ont marqué les trois premières années de pontificat du Pape. L’approche de François, relève l’auteur, se détache des critères traditionnels de la politique étrangère. Elle vient plutôt d’une conception qui privilégie la politique mondiale. On dirait qu’il procède à une « re-conceptualisation » purement catholique de la politique internationale.
Les visites du Pape appellent en effet une double clef de lecture, la première liée à la réalité locale et régionale, à ses fractures ; l’autre, bien plus large, aux répercussions mondiales. Dans tous ces contextes, le Saint-Père s’adresse à un public bien plus vaste que celui face à lui, se servant des situations critiques comme métaphores pour illustrer des fractures à l’échelle planétaire. Dans son ouvrage, Pasquale Ferrara passe en revue les enjeux essentiels de sa politique étrangère : il part de ses critiques par rapport au modèle économique et politique actuel, et remonte jusqu’au travail de réconciliation mis en œuvre au Moyen Orient, sans négliger les pays d’Amérique Latine et du sud de la planète.
« Mettre la dignité de la personne au cœur des priorités internationales »
Mais le pape François a surtout changé le ton du discours politique mondial, écrit le ministre italien des affaires étrangères, Paolo Gentiloni, dans sa préface. Il appelle à « un dialogue sérieux, où personne n’est exclu », demande à « stigmatiser la mondialisation de l’indifférence » et à « mettre la dignité de la personne au cœur des priorités internationales », et à considérer « les périphéries » du monde. Pour le ministre italien, à l’heure où barrières et nationalisme réapparaissent en Europe, face aux flux de migrants et réfugiés qui tentent de passer, « ces concepts sont essentiels, et c’est à la communauté internationale de tirer profit des appels du Saint-Père pour agir en âme et conscience, en tenant compte de l’interdépendance des peuples et dans l’objectif partagé du bien commun. »
Sa préoccupation, l’exclusion des migrants
Tout cela apparaît très clairement quand le Pape soulève par exemple la question des migrations. Avoir choisi Lampedusa comme premier voyage à l’extérieur de Rome, le Pontife en dit long sur ses priorités. « Lampedusa est une image-symbole, relève Pasquale Ferrara, de la fine ligne de démarcation qui sépare l’accueil de l’exclusion des migrants. Dans la plupart des cas, ces migrants fuient des situations dramatiques – une guerre, des tensions, une dictature, la pauvreté, des conditions de vie extrêmes – dans un climat d’indifférence mondial maintes fois dénoncé par le Pape qui regrette cette « mondialisation de l’indifférence ». Ceci est vrai pour les migrants qui tentent d’échapper aux drames « classiques », mais vrai aussi pour toutes les personnes victimes de nouveaux phénomènes, liés par exemple au changement climatique.
François fait une lecture très critique des réactions nationales et internationales sur le phénomène migratoire. Sans jouer les antagonistes, il suggère des interventions structurées au-delà de l’urgence du problème. Par exemple, il demande à l’Europe, un sursaut de conscience, mais également un sursaut de conscience politique : « On ne peut tolérer que la mer Méditerranée devienne un immense cimetière! », a-t-il lancé à Strasbourg, devant le parlement européen, en novembre 2014. Les pays du vieux continent, selon lui, au lieu de tenter « des solutions particularistes », devraient mettre « la dignité humaine des immigrés » au centre de leurs actions et faire face aux problématiques liées à l’immigration, en sachant proposer avec clarté « leur propre identité culturelle ». Il faudrait mettre en œuvre « des législations adéquates qui sachent en même temps protéger les droits des citoyens européens et garantir l’accueil des migrants ». De même que l’Europe devrait « adopter des politiques justes, courageuses et concrètes qui aident leurs pays d’origine dans le développement sociopolitique et dans la résolution des conflits internes – cause principale de ce phénomène – au lieu des politiques d’intérêt qui accroissent et alimentent ces conflits ». Le Pape est ferme sur ce point : « Il est nécessaire d’agir sur les causes et pas seulement sur les effets. »
Mais à Strasbourg, le Saint-Père est allé encore plus loin, affirmant : « L’heure est venue de construire ensemble l’Europe qui tourne, non pas autour de l’économie, mais autour de la sacralité de la personne humaine, des valeurs inaliénables… Le moment est venu d’abandonner l’idée d’une Europe effrayée et repliée sur elle-même, pour susciter et promouvoir l’Europe protagoniste, porteuse de science, d’art, de musique, de valeurs humaines et aussi de foi. L’Europe qui contemple le ciel et poursuit des idéaux ; l’Europe qui regarde, défend et protège l’homme ; l’Europe qui chemine sur la terre sûre et solide, précieux point de référence pour toute l’humanité ! ».
La vague migratoire actuelle, estime le Pape, « semble miner les bases de cet « esprit humaniste » que l’Europe aime et défend depuis toujours. Mais, comme a rappelé aux corps diplomatique, à l’occasion des vœux du nouvel an, « on ne peut pas se permettre de perdre les valeurs et les principes d’humanité, de respect pour la dignité de toute personne, de subsidiarité et de solidarité réciproque, bien qu’ils puissent, à certains moments de l’histoire, constituer un fardeau difficile à porter ». L’Europe ne peut se perdre juste au moment où elle est appelée à réagir en tenant compte de son «grand patrimoine culturel et religieux ». Il faut donc, dit-il, qu’elle trouve « un juste équilibre entre son double devoir moral de protéger les droits de ses propres citoyens, et celui de garantir l’assistance et l’accueil des migrants ».
Visite aux réfugiés à l’île de Lesbos
C’est dans cet état d’esprit que l’évêque de Rome, avec le patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée et l’archevêque orthodoxe Jérôme d’Athènes, effectuera samedi prochain, 16 avril, sa visite-éclair sur l’ile grecque de Lesbos, devenue ville-symbole du drame des réfugiés et des migrants que les guerres en Syrie et en Irak, les persécutions du pseudo « État islamique », ont poussé hors de leurs frontières.
Le Pape, une « puissance douce » ? Le terme n’est peut-être pas tout à fait approprié, commente le diplomate italien Pasquale Ferrara.Cependant la présence du Pape sur la scène internationale est perçue ainsi, autrement dit capable « d’influence transnationale », qui se traduit par l’usage du dialogue et du discours sous toutes ses formes : l’argumentation, la persuasion, la condamnation quand celle-ci est nécessaire.
Article paru sur le site Aleteia
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