Article paru sur le site de TV5 monde le 21/03/2018 par Pierre Desorgues
Le pape François, un pape diplomate ? En cinq ans de pontificat, Jorge Mario Bergoglio, semble avoir renforcé le poids diplomatique et politique de l’église catholique sur le continent africain tout en cherchant à réformer la Curie. Analyse de François Mabille, spécialiste de la diplomatie vaticane.
Question : le pape Benoit XVI était un intellectuel, un théologien. Le pape François est un pape politique. Peut-on constater depuis son arrivée une plus grande activité diplomatique de la part du Vatican, notamment sur le continent africain ?
F-M : Le pape François incarne un pontificat d’action. Le pape François, un jésuite, a demandé aux nonces de sortir des couloirs des ambassades pour se rendre sur le terrain. Pour lui, les nonces ne sont pas des prélats mais prioritairement des pasteurs. Il a tenu devant la Curie des discours très durs dans ce sens en octobre 2016 et en novembre 2017. Il a également favorisé un renouvèlement générationnel au sein des nonces et a placé des gens plus jeunes. Si l’action du pape est appréciée, elle est aussi contestée sur le continent africain. Je pense notamment à Robert Sarah, le cardinal guinéen qui fait partie de ces prélats nommés sous Jean-Paul II et Benoit XVI et qui s’est opposé frontalement au souverain pontife. L’autre reproche qui remonte est celui des résultats. Le pape veut réformer la Curie. Il ne cesse de plaider dans ce sens. Il tient des discours offensifs mais après plusieurs années de pouvoir, la logique de dénonciation qui est la sienne rencontre des limites et ce sont des résultats tangibles qui sont attendus. Nous sommes dans une forme d’électrochoc permanent, une Église en tension mais sans réels résultats.
L’Église est pourtant présente ces dernières années politiquement en Afrique, notamment en République démocratique du Congo. Les consignes viennent-elles de la Curie ? Ou s’agit-il d’initiatives locales soutenu par le Vatican ?
En République démocratique du Congo, l’initiative politique vient plutôt de l’église locale. Le cardinal Laurent Monsengwo se bat depuis 20 ans pour une libéralisation du régime. En 1997-1998, il était à la tête du parlement de transition. L’église catholique en RDC a retrouvé tout d’abord une légitimité sociale ces dernières décennies. Au lendemain de l’indépendance, l’église catholique en RDC était assimilée à la présence coloniale belge. Elle a acquis une forme de légitimité politique de par son action sociale et son rôle éducatif, de l’école à l’université, sous Mobutu. Souvent, comme dans le cas de la RDC, le pape encourage les initiatives para-diplomatiques des églises locales.
Ce fut ainsi le cas lors du succès diplomatique du Vatican à Cuba, qui s’appuyait sur la légitimité et l’action sociale de l’église locale, des communautés locales, voire d’ONG comme Caritas. La Curie est venue soutenir ces initiatives par un travail de médiation. Elle n’en est pas à l’origine. Au Venezuela, le Vatican n’arrive pas à jouer un rôle de médiation entre l’opposition et le régime de Maduro car elle n’a pas de relais puissant localement. Le cas de la République démocratique du Congo est particulier. L’église catholique par l’intermédiaire de Laurent Monsengwo est passée d’une tentative de médiation à une logique d’opposition au pouvoir. D’ailleurs les relations entre le cardinal et les Kabila, père et fils ont été toujours compliquées dès le début des années 2000. Chaque semaine dans toutes les églises catholiques du pays, les cloches sonnent pour demander le départ de Kabila. Le pape soutient l’église du pays également parce que Laurent Monsengwo est un très proche du pape. Il fait partie des six-sept cardinaux qui comptent. Il fait partie de la commission ad hoc chargée par le pape de transformer le fonctionnement de la Curie. Il a donc tout le soutien du pape et un accès direct au noyau dur de la Curie.
En République centreafricaine, la diplomatie vaticane s’est appuyée sur d’autres reséaux dans ses efforts de médiation ?
En République centrafricaine, on ne trouve pas de figure comparable au cardinal congolais avec un aura comparable. L’archevêque de Bangui, Dieudonné Nzapalainga n’a pas la même autorité. Le Vatican s’est appuyé en effet sur une autre forme de présence de la communauté catholique, les ONG catholiques. C’est le cas surtout avec deux ONG, Pax Christi et la communauté Sant’Egidio. L’archevêque de Bangui est membre Sant’Egidio. Cette dernière communauté est très écoutée par le pape. Même chose pour Pax Christi qui a beaucoup travaillé sur les questions inter-religieuses. La curie s’est appuyée notamment sur ces ONG pour faire venir les principaux belligérants de conflit centrafricain à Rome. L’idée d’ailleurs était de rassembler les parties dans Rome, une ville à l’image religieuse, pour montrer que le conflit n’était pas un conflit confessionnel entre musulmans et chrétiens.
On est frappé par l’absence des évangéliques dans ces processus politiques. Pourtant la République démocratique du Congo est un grand pays évangélique.
Les évangéliques constituent un paysage multiple mais divisé. Il n’y a pas cette unité institutionnelle que l’on retrouve dans le catholicisme et l’on trouve des évangéliques dans tous les partis politiques. Ces pasteurs évangéliques sont prioritairement des entrepreneurs religieux. Contester le pouvoir n’est pas leur priorité.
La Curie à la tête d’un des réseaux diplomatiques les plus importants
Le pape, chef spirituel de 1,3 milliards de catholiques, est également à la tête d’un état qui entretient des relations bilatérales avec 183 pays. Le Vatican a un statut de membre observateur au sein de l’ONU. Un chiffre en constate augmentation. Les nonces apostoliques représentent personnellement le pape à l’étranger. Ils sont une centaine. Ce réseau diplomatique, l’un des tous premier au monde, est sous les ordres directs du pape et de la Curie. Au sein de la Curie, ensemble des services chargés d’assister le pape dans sa mission, le cardinale secrétaire d’état est chargé de coordonner notamment pour le pape les relations extérieures du Vatican. Le français est utilisé traditionnellement au sein de la Curie comme la langue de la diplomatie vaticane.
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