Que reste-t-il du «Label Suisse» dans l’intervention humanitaire contemporaine? Pays d’Henry Dunant, dépositaire des Conventions de Genève, la Suisse a fait de l’aide humanitaire une de ses marques de fabrique. A l’approche du Sommet humanitaire mondial qui se tiendra en mai à Istanbul, Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies, a déclaré que l’aide doit désormais être assurée par des ressources humaines disponibles localement. Si cette approche est soutenue par la Chaîne du Bonheur et déjà implémentée par ses partenaires, peut-on pour autant faire fi des décennies de savoir-faire des humanitaires suisses sur le terrain?
De retour du Liban, où j’ai visité plusieurs projets humanitaires cofinancés par la Chaîne du Bonheur, je constate que le souhait de Ban Ki-moon est déjà partiellement une réalité. La relève de l’action humanitaire est avant tout locale. Les ONG suisses travaillent avec des collaborateurs nationaux ou internationaux dont les connaissances du contexte géopolitique, de la culture et de la langue sont des atouts indispensables. De même, l’apport des ONG nationales, partenaires privilégiées des ONG suisses, est incontournable.
Que reste-t-il de la «Swissness»?
L’exemple du Liban démontre qu’une évolution dans la conduite des interventions humanitaires est en marche. La logique et la valeur du «localisé» humanitaire sont inattaquables. Partant de ce constat positif, se pose néanmoins la question, plus théorique que pratique: que reste-t-il de la «Swissness» de l’intervention humanitaire contemporaine?
La Suisse s’enorgueillit depuis des décennies de sa tradition humanitaire et de son porte-drapeau, le Comité International de la Croix-Rouge (CICR). Mais alors que le délégué suisse sur le terrain a toujours été perçu comme garant de la qualité, la neutralité et l’impartialité de tout projet humanitaire, la Suisse ne peut désormais plus ignorer que 80% des professionnels que ce même CICR emploie sur le terrain sont des internationaux sans passeport à croix blanche.
La Suisse devrait offrir un vrai curriculum de formation de base
Ainsi a disparu une spécificité dont le pays a profité jusque dans les années 90, ce privilège d’avoir formé des centaines de délégué(e) s suisses marchant sur les pas d’Henry Dunant, puis essaimant vers d’autres ONG ou vers la Direction du Développement et de la Coopération (DDC), notamment son Corps suisse d’aide humanitaire. Le même phénomène se retrouve au sein des ONG suisses: leur bassin de recrutement s’internationalise, reléguant au second plan le caractère suisse du geste humanitaire.
Cette «localisation» de l’aide humanitaire peut s’expliquer également par l’augmentation du niveau de formation sur le terrain et par le renforcement des compétences locales par les humanitaires internationaux au cours des années. Mais sa «déshelvétisation» est sans doute également due à l’absence d’un institut de formation pour les professions de l’humanitaire en Suisse, dont disposent des pays comme la France, l’Italie ou l’Espagne. Pour rester dans le peloton de tête, la Suisse devrait offrir, à moyen terme, un vrai curriculum de formation de base pour les jeunes qui se destinent au secteur humanitaire. Une telle initiative compléterait l’offre existante à travers le Cinfo (à Bienne), le Nadel (à Zurich) ou le Cerah (à Genève).
Pour assurer une relève suisse
En renforçant son influence dans le secteur de la formation, la Suisse maintiendrait les décennies de savoir-faire qu’elle a développé. Il s’agirait d’assurer une relève suisse capable d’apporter une valeur ajoutée sur le terrain tout en se nourrissant de l’expertise des humanitaires locaux et internationaux.
Par ailleurs, la Suisse contribuerait également à maintenir le niveau d’identification de la population à l’action humanitaire. A ce jour, une bonne partie des citoyens de ce pays connaît ou a connu une personne qui a travaillé sur les terrains de catastrophes. Les médias suisses ont largement participé à ce mouvement d’adhésion à la noble action humanitaire, promouvant l’image de héros brandissant des drapeaux à croix rouge sur fond blanc (ou à croix blanche sur fond rouge), ou tout autre symbole connu.
Le soutien de la population dépend de cette visibilité. Si celle-ci se dilue dans un grand tableau international, les citoyens auront tendance à se tourner vers des actions à plus forte symbolique helvétique – telles que les nombreuses interventions émanant de la société civile suisse dans le soutien aux victimes, comme récemment au Népal et sur la route des Balkans.
La Chaîne du Bonheur, qui relie les donateurs aux victimes des crises, doit faire face à un nouveau défi: faire comprendre et accepter les nouvelles pratiques de collaboration et d’engagement tout en préservant le capital de sympathie dont disposent les ONG suisses auprès de sa population.
Article paru sur le site du journal Le Temps
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