Site icon Diplomatie Humanitaire

La jeunesse sacrifiée des Syriens réfugiés au Liban

Article paru sur le site du journal Le Figaro le 16/12/2018 par Georges Malbrunot

Peu parmi ces quelques 220.000 jeunes iront au collège, les filles étant de surcroît souvent très tôt mariées.

Dans une salle de classe du camp de réfugiés de Bourj el-Brajnieh, dans la banlieue sud de Beyrouth, une éducatrice initie une douzaine d’enfants syriens au yoga. Main dans la main, garçons et filles âgés de 7 à 8 ans s’agenouillent avant de se relever, paumes jointes, en exhalant un râle de leurs poitrails juvéniles.

«Avec le yoga, on oublie nos douleurs passées», sourit Aïsha, une fillette originaire d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie. Ses camarades sont d’Alep ou de Maarat-al-Nooman, réfugiés au Liban depuis trois ou quatre ans. Une fois par semaine depuis trois mois, ils viennent dans ce centre de l’Unicef, financé par l’Union européenne dans le cadre de son Fonds d’aide aux réfugiés syriens. «Ici, ils peuvent parler de leurs traumatismes, alors qu’à la maison, c’est rarement le cas avec leurs parents», constate Nadine Khalifeh, une des éducatrices. Au mur un panneau – «Assez de violence et d’exploitation» – rappelle que même loin des combats, ces enfants de la guerre sont exposés à d’autres contraintes. «De nombreux enfants travaillent, et des filles sont obligées de se marier très jeunes», explique Nadine Khalifeh. Ce sont les deux fléaux de la jeunesse syrienne réfugiée au Liban.

Si l’immense majorité des 220.000 jeunes Syriens fréquentent les écoles primaires du Liban dans le cadre de cours dispensés l’après-midi, seuls 5000 vont au collège entre 11 et 15 ans, tandis que 200.000 quittent alors le système scolaire. Une génération sacrifiée, comme vient de s’en émouvoir un rapport de l’ONG Human Rights Watch.

«Moi, je veux arrêter d’aller à l’école, mon oncle me le demande, mais moi aussi, je crois que c’est bien», lance un jeune de 13 ans entouré d’une douzaine de copains qui assistent au cours de maths au centre de Terre des hommes (Italie), financé par l’UE dans le village de Kaifoun sur les hauteurs du mont Liban.

Les statistiques des jeunes filles mariées de force sont encore plus alarmantes. Un quart des jeunes Syriennes de 15 à 18 ans sont mariées par leurs familles, selon Nisrine Tawly, qui travaille au sein du département protection de l’enfance à l’Unicef. «Il y a d’abord des raisons économiques, dit-elle. En mariant une fille, de nombreuses familles survivent. Les parents transfèrent le fardeau sur la famille du marié. En la mariant, ils veulent aussi la protéger contre le harcèlement sexuel, dont certaines sont victimes», ajoute l’éducatrice. Dans de nombreux cas, les filles sont contraintes de se marier avec des hommes de dix ou vingt ans plus âgés qu’elles. Des trafics de filles ont également été repérés, nourris par une motivation financière. Telle famille a des dettes à l’égard de telle autre, elle va donc lui donner une fille pour apurer sa dette. Une régression sociale alors qu’avant même la révolte contre Bachar el-Assad en 2011, ces mariages forcés étaient en recul dans les milieux ruraux de Syrie.

Les conséquences sont désastreuses. Sur la santé des enfants, d’abord. «Nous avons constaté des grossesses chez de très jeunes filles, avec des complications sur la santé de la mère, de l’enfant, avec un taux de mortalité infantile qui a augmenté», souligne-t-on à l’Unicef. La fillette se retrouve doublement punie, par ses parents qui la placent, et par son mari qu’elle n’a pas choisi et qui parfois lui fait subir des violences. «Elle ne sait pas comment se protéger, ni comment négocier avec son mari», assure un autre éducateur.

L’Unicef tente de recenser ces cas. Une tâche délicate: beaucoup de mariages forcés ne sont pas enregistrés. Les éducateurs parviennent parfois à leurs fins en discutant en négociation avec le mari. «Mais soustraire une fille à un mariage forcé comporte des risques pour la fillette, car le mari peut chercher à se venger», rappelle l’Unicef. «Mes copains restés à Alep me manquent», se plaint Mounir, un jeune au centre de Terre des hommes de Kayfoun. «Ça va ici, mais là-bas c’est mieux, c’est mon pays», ajoute un autre, qui n’a pas peur de parler.

Dans un Liban divisé sur la guerre qui déchire la Syrie voisine, le retour des réfugiés est un sujet ultrasensible. Les forces prosyriennes encouragent les retours, les autres mettent en garde contre les risques inhérents à une situation loin d’être stabilisée. Au final, seuls quelques milliers ont repassé la frontière. Au centre de Terre des hommes de Kaifoun, tenu par le Hezbollah, on a réglé le problème. Les enfants ne doivent pas parler aux journalistes. Des pressions ont été exercées sur la direction du centre. «Il y a quelques mois, nous avions remarqué une baisse de la fréquentation du centre, confie un responsable, on s’est renseigné et on a découvert que des familles syriennes étaient rentrées chez elles, ayant entendu dire que la situation s’était améliorée.»

Abris de fortune

Un retour aux motivations parfois quasi irrationnelles, qui en dit long sur le cauchemar enduré par la plupart des réfugiés syriens du Liban, surtout ceux qui attendent sous des tentes. Hanté par le traumatisme des réfugiés palestiniens, le Liban n’a pas autorisé l’établissement de camps. Beaucoup de Syriens ont élu domicile sous des abris de fortune. Les plus nombreux sont dans la plaine de la Bekaa et dans le Akkar, plus au nord, où des tensions entre des Syriens et des Libanais parmi les plus pauvres sont apparues. Pour les apaiser, l’UE a dû étendre son aide à 43.000 Libanais.

Eux aussi reçoivent de l’argent en cash grâce à une carte de crédit créée en coordination avec la Banque libano-française, qui octroie 310 dollars chaque mois aux réfugiés les plus pauvres, et 135 aux autres. Au total, 700.000 Syriens en bénéficient, soit la moitié environ des réfugiés.

«Face à l’ampleur de la crise syrienne, décrypte Ryan Knox, diplomate au bureau de l’Union européenne à Beyrouth, nous avons rapidement compris qu’elle affectait aussi la société libanaise, que nous avons choisi d’aider, notamment les secteurs les plus vulnérables. Dans les villages où nous intervenons, notre aide à l’éducation, à la santé ou à l’accès à l’eau potable touche à la fois les réfugiés syriens et les habitants libanais, et ce, directement via les municipalités. À travers cette aide d’urgence aux réfugiés, ajoute Ryan Knox, nous essayons d’apporter une aide structurelle en renforçant l’édification d’institutions solides» dans un pays qui en a grand besoin. Depuis douze ans, le pays du Cèdre n’a pas de budget, et, depuis plus de six mois, pas de gouvernement.

Quitter la version mobile