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Gros enjeux autour de la succession de Zeid Ra’ad al-Hussein

Article paru sur le site du journal Le Temps le 17/06/2018 par Stéphane Bussard

Admiré pour son courage et la dignité avec laquelle il a rempli son mandat, le haut-commissaire aux droits de l’homme tient ce lundi son dernier discours au Palais des Nations à Genève. Le choix de son successeur est capital face au délitement des droits fondamentaux sous l’influence de certains Etats.

En Inde, on l’accuse d’être un militant islamiste ou de chercher à humilier le premier ministre Narendra Modi quand il exhorte le Conseil des droits de l’homme (CDH) à créer une commission d’enquête sur les graves abus commis par les autorités indiennes au Cachemire. Il n’hésite pas parallèlement à qualifier d’«épouvantable» la condamnation par Téhéran à 16 ans de prison de Narges Mohammadi, une militante iranienne contre la peine de mort. Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, le Jordanien Zeid Ra’ad al-Hussein a l’habitude de subir les foudres de ceux qu’il exhorte à respecter les droits fondamentaux. Mais jamais il n’a cédé à la pression des Etats, aussi puissants soient-ils, explique Louis Charbonneau, qui suit de très près les débats à New York pour Human Rights Watch (HRW). «Il n’est même plus le bienvenu dans son propre pays, la Jordanie. C’est dire.»

Fin de mandat

A l’heure où s’ouvre ce lundi la 38e session du CDH à Genève, au cours de laquelle Zeid Ra’ad al-Hussein va sans doute livrer un discours testament sur l’état préoccupant des droits de l’homme dans le monde, les regards se tournent déjà vers son possible successeur. Le mandat du haut-commissaire arrive à échéance à la fin août. En décembre dernier, celui qui avait renoncé à son titre de prince jordanien pour occuper cette haute fonction onusienne très exposée le déclarait sans fioritures dans un courriel envoyé à ses collaborateurs du Palais Wilson: il n’allait pas convoiter un second mandat de quatre ans. Motif: «Dans le contexte géopolitique actuel, cela aurait nécessité de se mettre à genoux en guise de supplication» devant les grandes puissances.

La course à sa succession est ouverte jusqu’au 11 juillet. Dans un courrier envoyé il y a peu, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres invite les missions permanentes des Nations unies à New York ainsi que les principales ONG à proposer des candidats, en particulier des femmes. S’il est encore trop tôt pour parler de prétendants déclarés, des noms circulent. Celui de Michelle Bachelet a souvent été mentionné, même si la popularité de l’ex-présidente chilienne semble en perte de vitesse. Il est aussi question de l’Argentine Silvia Fernandez de Gurmendi, juge à la Cour pénale internationale, voire de l’actuelle ministre sud-coréenne des Affaires étrangères Kang Kyung-wha. Cette dernière connaît parfaitement les rouages onusiens pour avoir été notamment vice-haut-commissaire aux droits de l’homme et conseillère spéciale de l’actuel patron de l’ONU. Sur les bords de l’East River, l’éventuelle candidature de la revenante Irina Bokova, ex-patronne de l’Unesco, ne semble convaincre personne, la Bulgare étant jugée trop proche de Moscou.

Pressions chinoises

Les ONG et certains Etats n’ont pas tort de dramatiser les enjeux de la succession de «Zeid». La fonction de chef du Haut-Commissariat aux droits de l’homme a quelque chose d’unique dans le système onusien. Son titulaire est l’un des rares hauts responsables onusiens à pouvoir critiquer directement et parfois vertement les Etats membres, dont les cinq permanents du Conseil de sécurité. Et force est de constater que l’ex-ambassadeur jordanien a utilisé sa liberté de parole avec dignité et courage.

Le remplacement du Jordanien au Palais Wilson revêt une importance d’autant plus grande que les droits de l’homme sont assaillis de toutes parts, y compris à l’intérieur de l’ONU et que les Etats-Unis pourraient, de façon imminente, décider de quitter le CDH. Au sein de la cinquième commission de l’Assemblée générale à New York, la Chine et la Russie utilisent l’arme budgétaire pour réduire la portée des droits humains. «On assiste à une guerre délibérée de la Chine contre les spécialistes des droits de l’homme», explique au Temps Kenneth Roth, directeur exécutif de HRW. Pékin exercerait des pressions sur Antonio Guterres pour nommer quelqu’un qui serait «tout sauf Zeid». «Ce sera un test majeur pour le secrétaire général qui montrera s’il est capable de résister aux pressions», ajoute Kenneth Roth.

Si les diplomates saluent l’entrain avec lequel l’ex-premier ministre portugais mène les réformes au sein de l’ONU, on s’étonne que celles-ci ne fassent quasiment jamais mention des droits de l’homme, pourtant l’un des piliers de l’ONU avec la paix, la sécurité et le développement durable. «Avec Zeid Ra’ad al-Hussein, il était plus facile pour Antonio Guterres de déléguer au Jordanien les commentaires sur les violations des droits humains tant la voix de ce dernier était forte, courageuse et précise. S’il nomme un haut-commissaire plus faible, il sera lui-même beaucoup plus sous pression», ajoute le directeur de HRW.

Procédure tardive

La procédure pour la succession a été lancée de manière très tardive, sachant que le nouvel élu est censé entrer en fonction le 1er septembre prochain. De plus, elle manquait jusqu’ici de transparence. Il a fallu l’intervention d’une soixantaine d’ONG pour que la dynamique change. Antonio Guterres espère désormais avoir un grand nombre de candidat(e) s. C’est à lui qu’incombe la nomination du futur haut-commissaire qu’il devra soumettre à l’Assemblée générale pour approbation. Mais le temps presse et personne n’exclut qu’il faille nommer un haut-commissaire ad interim avant de trouver la perle rare.

L’adjointe du Jordanien, Kate Gilmore, ferait très bien l’affaire, dit-on. «Il ne faut toutefois pas que le poste reste en hibernation trop longtemps, poursuit Kenneth Roth. On risquerait de l’affaiblir et de créer un vide dangereux.» Ceux qui aspirent à avoir un candidat aussi courageux que Zeid Ra’ad al-Hussein mettent par ailleurs en garde contre l’impératif de rotation géographique qui n’a jamais été un critère obligatoire et qui pourrait supplanter la nécessité d’avoir une personnalité forte. Pour Kenneth Roth enfin, une réforme s’impose. Il faut prolonger le mandat du haut-commissaire de quatre à six, sept ou huit ans pour qu’il n’ait pas à se soucier d’une réélection ou des pressions des Etats membres.

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