La politique d’asile qui a émergé des négociations entre l’UE et la Turquie le mois dernier et qui a déjà entraîné la déportation de centaines de demandeurs d’asile de la Grèce à la Turquie comporte quatre défauts fondamentaux. Tout d’abord, la politique n’est pas véritablement européenne; cet accord a été négocié avec la Turquie et imposé à l’UE par la chancelière allemande Angela Merkel. Deuxièmement, il est gravement sous-financé. Troisièmement, il est pas volontaire. Il impose des quotas que de nombreux Etats membres refusent et exige des réfugiés à résider dans les pays où ils ne veulent pas vivre, tout en forçant les autres qui ont atteint l’Europe à être renvoyé. Enfin, il transforme de facto la Grèce en enclos sans installations suffisantes pour le nombre de demandeurs d’asile déjà présent.
Toutes ces insuffisances peuvent être corrigées. La Commission européenne a implicitement reconnu certaines d’entre elles cette semaine quand elle a annoncé un nouveau plan de réforme du système d’asile en Europe. Mais les propositions de la Commission comptent encore sur des quotas obligatoires qui ne servent ni les réfugiés, ni les Etats membres. Cela ne marchera jamais. Le vice-président de la Commission Frans Timmermans propose un débat. Voici ma contribution.
Une catastrophe humanitaire est en préparation en Grèce. Les demandeurs d’asile sont désespérés. Ces Réfugiés doivent se voir offrir une chance raisonnable d’atteindre la destination de leur choix en Europe. Il est clair que l’UE doit faire l’objet d’un changement de paradigme. Les dirigeants européens doivent se faire à l’idée que, pour lutter efficacement contre la crise, il faudra augmenter fortement le financement, plutôt que de racler les fonds de tiroirs, année après année. Proposer une somme importante dès le départ permettrait à l’UE de répondre plus efficacement à certaines des conséquences les plus dangereuses de cette crise, y compris le sentiment anti-migrant dans ses Etats membres qui a alimenté le soutien aux partis politiques extremistes, et le découragement parmi ceux qui cherchent refuge en Europe, qui se trouvent maintenant marginalisés dans les pays d’accueil du Moyen-Orient ou coincé en transit en Grèce.
La plupart des composantes pour un système d’asile efficace existe déjà ; elles doivent être assemblés en une politique globale et cohérente. Essentiellement, les réfugiés et les pays qui les accueillent au Moyen-Orient doivent recevoir un soutien financier suffisant pour rendre leur vie acceptable, ce qui leur permettrai de travailler et d’envoyer leurs enfants à l’école. Cela aiderait à maintenir l’afflux de réfugiés à un niveau que l’Europe peut absorber. Ceci peut être accompli en fixant un objectif ferme et fiable pour le nombre d’arrivées de réfugiés: entre 300 000 et 500 000 par an. Ce nombre est assez important pour donner aux réfugiés l’assurance que beaucoup d’entre eux pourront éventuellement trouver refuge en Europe, mais assez limité pour être accepté par les gouvernements européens, même avec l’actuel climat politique défavorable.
Il existe déjà des mécanismes pour stabiliser de l’offre et de la demande dans d’autres domaines, comme avec les étudiants dans les écoles et les jeunes médecins dans les hôpitaux. Dans ce cas, les migrants déterminés à aller dans le pays qu’ils souhaitent devront attendre plus longtemps que ceux qui acceptent la destination qui leur est imposée. Les demandeurs d’asile pourraient alors être tenus d’attendre leur tour à l’endroit où ils se trouvent. Ce serait beaucoup moins cher et moins douloureux que le chaos actuel, chaos dont les migrants sont les principales victimes. Ceux qui ne suivraient pas le protocole perdraient leur place et devraient tout recommencer. Cela devrait être une incitation suffisante pour accepter les règles.
Au moins 30 milliards € (34 milliards $) par an seront nécessaires à l’UE pour mener à bien un tel plan. Cela induit pour la Turquie et pour les autres pays « en première ligne » l’assurance d’un financement adéquat pour entretenir le très grand nombre de réfugiés, la création d’une agence commune européenne pour les demandeurs d’asile et d’une force de sécurité pour les frontières extérieures de l’UE, tout en établissant des normes communes dans toute l’Union pour la réception et l’intégration des réfugiés.
Trente milliards d’euros peut paraître une somme énorme, mais il faut la remettre en perspective. Tout d’abord, nous devons reconnaître que le défaut de fonds coûterait beaucoup plus à l’UE. La menace est réelle pour que la crise des réfugiés puisse provoquer l’effondrement du système Schengen. La Fondation Bertelsmann a estimé que l’abandon de Schengen coûterait à l’UE entre 47 (53,5 M $) et 140 milliards € (160 millions $) en perte de PIB chaque année; le commissaire général de France Stratégie, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective a estimé les pertes à 100 milliards € (114 milliards $) par an.
En outre, il ne fait aucun doute que l’Europe a la capacité financière et économique d’augmenter les fonds à 30 milliards € par an. Ce montant est inférieur d’un quart à 1% du PIB annuel de l’UE (14,9 milliard d’€) et moins de 0,5% des dépenses totales de ses vingt-huit états membres.
C’est la capacité politique de l’Europe qui fait défaut, du moins pour le moment, sa capacité à prendre des décisions efficaces et unifiées à propos de cette question urgente. La plupart des Etats membres sont limités par les règles budgétaires de l’UE qui leur interdisent plus de déficits et l’émission de nouvelles dettes sur les marchés boursiers. Même si le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a levé les espoirs à Davos en Janvier quand il a parlé d’un plan Marshall européen pour faire face à la crise de la migration, il a également insisté sur le fait que les dépenses doivent être financées par des recettes plutôt que d’alourdir la dette publique existante.
Augmenter la dette européenne commune, soutenue par des garantie conjointes et solidaires des membres de l’UE, soulèverait de fortes objections, en particulier en Allemagne. Même si la dette était limitée à résoudre la crise de la migration, l’Allemagne et d’autres verraient en elle comme un dangereux précédent vers la création d’une dette soutenue collectivement par les membres de l’UE, obligeant l’Allemagne à intervenir si les autres pays ne parvenaient pas à rembourser leur part. Berlin a évité avec soin de fournir un tel précédent tout au long de la crise de l’euro. Voilà pourquoi la question n’a même pas été soulevée, et encore moins sérieusement envisagée. Mais il y a d’autres façons de recueillir les fonds nécessaires à l’aide des structures existantes de l’UE.
Les Etats membres pourraient créer de nouvelles recettes fiscales afin de financer ce qui est nécessaire. Cependant, l’Europe n’a pas la capacité politique pour recueillir les sommes nécessaires à temps pour contenir la crise. Pour qu’un nouvel impôt soit perçu comme juste, il devrait être divisé équitablement à travers l’UE. La voie appropriée pour une telle augmentation serait pour la Commission européenne de proposer une nouvelle législation à adopter avec le soutien unanime de tous ses membres. Cela risque d’échouer, car il donnerait à chaque pays le droit de veto. Si une «coalition de « volontaires » d’au moins neuf pays pouvait être rassemblé, la Commission pourrait opter pour une « coopération renforcée », l’approche utilisée pour la taxe sur les transactions financières (TTF). Si l’expérience récente avec la TTF est un indicateur, ce processus prendrait des mois à être conclu.
Une alternative plus intéressante serait de rouvrir le cadre financier pluriannuel de la Commission européenne, qui établit les grands paramètres budgétaires de l’UE, y compris les montants maximum que l’UE peut attribuer à différents domaines. Le prochain examen à mi-parcours de ce budget de l’UE offre une occasion d’accroître la contribution de la TVA des Etats membres, et désignent que certains nouveaux fonds levés pourraient être attribués à un fond de crise des réfugiés. Ce serait également difficile, mais constituerait l’option la plus réaliste.
Il sera essentiel, cependant, de mettre très rapidement une grande partie fonds à disposition. Faire d’importants investissements initiaux pourrait influencer positivement la dynamique économique, politique et sociale et éloigner la xénophobie et la désaffection à l’égard de résultats constructifs en faveur des réfugiés. À long terme, cela permettrait de réduire le montant total des sommes que l’Europe devrait dépenser pour contenir la crise des réfugiés. Voilà pourquoi je l’appelle le financement « de pointe ».
D’où pourraient provenir les fonds ? Analysons le bilan comptable de l’Union européenne. L’UE bénéficie actuellement d’un triple A qui est sous-utilisé et qui lui permet d’emprunter sur les marchés de capitaux à des conditions très attractives. Et avec des taux d’intérêt mondiaux historiquement bas, c’est un moment particulièrement favorable pour ponctionner sur cette dette.
Puiser dans le triple A de l’Union européenne a l’avantage supplémentaire de fournir un stimulus économique indispensable pour l’Europe. Les montants en jeu sont assez grands pour être d’une importance macro-économique, d’autant qu’ils seraient dépensés presque immédiatement et exerceraient un effet multiplicateur. Avec une économie en croissance, il serait beaucoup plus facile à absorber les immigrants, qu’ils soient réfugiés ou migrants ; une initiative économique gagnant-gagnant.
La question est : Comment utiliser le triple-A de l’UE sans éveiller l’opposition, en particulier de l’Allemagne ? La première réponse est de reconnaître que l’UE est déjà un emprunteur sur les marchés obligataires mondiaux, par le biais des installations créées pour faire face à la crise de la zone euro. En effet, au cours de la crise financière l’UE a montré à plusieurs reprises sa capacité d’emprunt, la création d’instruments financiers (tels que le mécanisme européen de stabilisation financière et le Mécanisme européen de stabilité) capables d’emprunter des dizaines de milliards de euros à des conditions attractives à très court terme. Une fois que les dirigeants européens avaient pris la décision politique d’agir, ils étaient capables de le faire très rapidement.
Certaines de ces entités financières européennes, qui ont encore une capacité d’emprunt considérable, pourraient être redirigées vers la crise des réfugiés. Ce serait beaucoup plus efficace et plus rapide que la création d’un nouveau mécanisme d’emprunt. Et une telle réorientation nécessiterait seulement une décision d’ordre politique qui peut être prise à court terme si la volonté politique est présente.
Deux sources d’argent en particulier le mécanisme européen de stabilisation financière et la balance des paiements d’aide de l’installation devraient être mis à contribution. Ces sources se complètent mutuellement: le MESF a été conçu pour les prêts aux membres de la zone euro, alors que la facilité de balance des paiements s’adresse aux membres de l’UE qui ne font pas partie de la zone euro. Les deux types de prêts seront nécessaires pour une approche globale de la crise. Les deux ont aussi des structures institutionnelles très similaires, et ils sont tous deux entièrement soutenus par le budget de l’UE et donc ne nécessitent pas de garanties nationales ou l’approbation du Parlement national.
La capacité d’emprunt brut combiné du MESF et de la balance des paiements est de 110 milliards € (125 milliards $), un chiffre qui coïncide avec le plafond annuel des recettes du budget de l’UE. Les montants alloués à chaque établissement ont été définis de sorte que le budget annuel de l’UE ne dépasse jamais la dette en cours. Les 50 milliards € de pouvoir d’emprunt est presque entièrement utilisé. Le MESF a fait pour une valeur de 46,8 milliards € de prêts au Portugal et à l’Irlande, mais a une capacité de réserve substantielle. Ils ont conjointement plus de 60 milliards € de la capacité, et cette capacité se développe chaque année tant que les prêts au Portugal et à l’Irlande sont remboursés.
Le MESF, le MES, et son précurseur, le FESF, ont tous été mis en place en réponse à la crise de l’euro. La mission était à l’époque de fournir du crédit bon marché à des pays comme l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et la Grèce qui avait par ailleurs été gelés sur les autres marchés du crédit. L’idée était que ces pays pourraient rembourser leurs prêts auprès de l’UE une fois qu’ils auraient restaurés leur santé financière.
Aujourd’hui, la mission est fondamentalement différente. Comme avec la crise de l’euro, la situation des réfugiés est à un point critique et nécessite une réponse très rapide. Mais elle diffère de la crise de l’euro en ce que les pays visés par les fonds – la Jordanie, le Liban, la Turquie et la Grèce – ont droit à des subventions plutôt que de prêts, et ne sont pas tenus de rembourser les sommes qu’ils reçoivent.
Il a été noté ci-dessus que le processus de perception de nouvelles taxes à l’intérieur de l’UE est celui qui va prendre le plus de temps à mettre en place. Cependant, les établissements qui accorderont ces prêts voudront savoir que les emprunteurs ont une capacité sûre de remboursement. Voilà pourquoi l’UE doit garantir qu’elle trouvera de nouvelles recettes fiscales le moment opportun, même si la source exacte du nouveau revenu n’a pas encore été déterminée.
Si nous acceptons cette réalité, comment donc le financement pourraient-il se rembourser en évitant une surtension ? La réponse est que l’UE et ses Etats membres doivent trouver de nouvelles sources de recettes fiscales, et le faire d’une manière où l’obligation de remboursement sera aussi large que possible. Cela pourrait se faire par la perception de taxes spécifiques à l’échelle européenne. De nouvelles recettes fiscales pourraient provenir d’une variété de sources, comme la TVA, qui fournit déjà des recettes à l’UE; une taxe spéciale sur l’essence, comme le ministre Schäuble a suggéré; ou une nouvelle taxe sur les voyages via les demandes de visa, ce qui transféreraient une partie de la charge sur les citoyens non européens qui souhaitent voyager dans l’UE.
Une question demeure : comment la volonté politique nécessaire sera-t-elle générée ? L’Union européenne repose sur des principes démocratiques. Je crois qu’il y a une majorité silencieuse qui veut préserver l’Union européenne, même si elle n’est actuellement pas une institution qui fonctionne bien. Les dirigeants écouteront si cette majorité silencieuse fait entendre sa voix.
La crise des réfugiés constitue une menace existentielle pour l’Europe. Il serait irresponsable de permettre à l’UE de se désintégrer sans utiliser toutes les ressources qu’elle a à sa disposition. Le manque de financement adéquat est le principal obstacle qui se dresse sur le chemin de programmes réussis dans les pays de première ligne. Tout au long de l’histoire, les gouvernements ont émis des obligations en réponse aux urgences nationales. Tel est le cas aujourd’hui en Europe. Quand le triple-A de l’UE devraient-ils être mobilisés sinon à un moment où l’Union européenne est en danger de mort ?
Traduit de l’anglais.
Lire l’article en anglais sur le site du New York Review of Books
George Soros est un financier milliardaire américain d’origine hongroise. Il est à l’origine des hedge funds apparus dans les années 1970.
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