Article paru sur le site du journal Le Figaro le 24/12/2018 par Eléonore de Noüel
Alors que les chrétiens d’Orient ont passé Noël sous la menace islamiste, le FIGAROVOX a interrogé des auteurs du livre collectif Chrétiens d’Orient mon amour. Pour Marie Thibaut de Maisières et Simon Najm, la chrétienté orientale doit survivre. Il en va de la préservation d’une culture millénaire qui participe à la diversité et à la beauté du monde tout entier.
● Éditrice, officière de réserve, Marie Thibaut de Maisières est aussi chroniqueuse sur Bel RTL et dans La Libre Belgique. Mère de quatre petits Arméniens, Marie est membre depuis 2015 du Comité de soutien aux chrétiens d’Orient et a, à ce titre, accompagné tous les voyages de presse en Syrie, en Irak, en Égypte et en Terre sainte.
● Médecin belgo-libanais, Simon Najm est le défenseur de la cause chrétienne libanaise depuis plus de quarante ans et aujourd’hui de celle des chrétiens d’Orient en danger. Soucieux de leur sort, il lance, fin 2013, avec des prêtres et des amis, le Comité de soutien aux chrétiens d’Orient (CSCO), une ASBL qui leur apporte soutien, défend leurs droits et consolide leur présence en Orient.
● «Chrétien d’Orient mon amour» est une déclaration d’amour à la culture des chrétiens d’Orient. Il réuni des experts et des passionnés, des Occidentaux et des Orientaux. L’achat de ce livre aide le Comité de Soutien aux Chrétiens d’Orient (CSCO) à préserver ou à reconstruire un Orient où les chrétiens peuvent vivre, mais aussi parce qu’en cherchant à mieux connaitre la chrétienté orientale, on l’empêchez de disparaître.
Les Chrétiens d’orient s’apprêtent à passer un nouveau Noël périlleux. La menace qui pèse sur eux est-elle toujours aussi forte?
Marie Thibaut de Maisieres: La situation est très différente en fonction des pays: une famille copte d’Égypte ne vivra pas le même Noël qu’un jeune couple chaldéen d’Irak ou une religieuse arménienne d’Alep. Et l’on ne peut pas non plus comparer, par exemple, les perspectives des chrétiens palestiniens et celle des maronites du Liban.
Cela dit, un point est commun à cette mosaïque de communautés: le danger de l’émigration. Si au début du XXe siècle un habitant du Moyen-Orient sur quatre était chrétien, ils ne représentent plus que 3%.
En Irak et en Syrie, l’émigration s’est accélérée massivement ces huit dernières années à cause de la guerre. On évalue à 70%, la part des chrétiens de ces deux pays qui ont du quitter leur région d’origine. La moitié de ceux-ci est partie loin, en Europe et en Amérique et ne reviendra probablement jamais. Et l’autre moitié s’est réfugiée dans d’autres régions ou dans les pays limitrophes. Maintenant que l’état islamique a été vaincu presque partout, le défi – et il est énorme, car les pays sont été terriblement détruits – est de retrouver une stabilité politique et un développement économique qui permettent aux chrétiens (et aux minorités en général) d’avoir envie de rester ou même de se réinstaller.
En Palestine, la situation quotidienne des chrétiens est moins critique, mais les perspectives économiques sont très mauvaises depuis la construction du mur et l’intensification de la partition du territoire. Les jeunes générations de chrétiens, souvent très bien formés et ouverts sur le monde, partent chercher des opportunités à l’étranger. La «terre sainte» se vide donc totalement de sa population chrétienne, la transformant en musée à ciel ouvert.
L’Égypte est encore de loin le pays qui compte le plus de Chrétiens, probablement 10%, soit près de 10 millions de personnes. Si le président Al Sissi se veut rassurant envers les minorités et répète à l’envi, «nous sommes tous égyptiens», il n’arrive pas à lutter efficacement contre les attentats djihadistes qui terrorisent la population. De plus, les membres des communautés chrétiennes se remettent difficilement du choc psychologique du bref gouvernement islamique de Morsi et voient avec angoisse le rigorisme religieux s’installer chez une partie de la population égyptienne musulmane.
Enfin, le Liban reste considéré comme le refuge des chrétiens de la région, mais on ne peut pas dire non plus que sa situation économique soit bonne, ce qui explique que beaucoup des jeunes n’ont pas d’autres choix que de partir, souvent à contrecœur.
Cela dit, moi je reste optimiste, les chrétiens sont présents, avec courage et conviction dans la région depuis 2 000 ans. Leur culture est sublime et vivante, elle résistera au temps si nous leur apportons notre soutien.
Simon Najm: Les familles chrétiennes déplacées et réfugiées qu’on a rencontrées dans le camp d’Ankawa en Irak et également à Beyrouth, nous ont exprimés leurs souffrances de passer encore un Noël loin de leurs maisons à Mossoul ou à Alep. Elles ont peur de l’avenir, elles ont tout perdu même l’espoir de vivre. Elles ne peuvent se résoudre à faire subir à leurs enfants ce que leurs grands-parents ont subi comme persécutions, exactions et massacres. Notre présence, notre écoute et le partage de leurs détresses ont mis du baume aux cœurs sur leurs plaies qui sont encore béantes et les ont encouragés à élaborer ensemble des projets de retours pour ramener ainsi un peu d’espoir aux générations futurs. Plus de 80% de ces familles, en majorités pauvres, souhaitent retourner dans leurs villes et villages, reconstruire leurs maisons et églises et vivre en paix avec les autres communautés.
Cette volonté forte de retour et de reconstruction est freinée par le manque de soutien du gouvernement irakien qui s’attend à ce que l’aide aux chrétiens d’Irak vienne des chrétiens d’occident, par des dons privés et des organismes de bienfaisances comme le CSCO (Comité de Soutien aux Chrétiens d’Orient ).
Par ailleurs, les tensions entre le gouvernement central de Bagdad et le gouvernement régional kurde quant à l’avenir de la région, ainsi que les tensions présentent entre les sunnites et les chiites provoquent une réelle instabilité et insécurité. Les chrétiens ne sont pas protégés, les intimidations et attaquent contre eux, considérés comme des «kouffars» infidèles non-musulmans, se poursuivent par des membres isolés de daesh. Ses actes restent impunis.
Malgré tout, plus de 6000 familles chrétiennes à ce jour sont revenues à Qaraqosh et ont reconstruit leurs maisons et églises. Un nombre similaire de familles sont aussi de retour à Bartela et Teleskof dans la plaine de Ninive en Irak.
En Syrie, la guerre est entrée dans sa huitième année sans espoir de solution politique. Dernièrement, les quartiers chrétiens de Damas ont subi des bombardements ciblés. Des atrocités sont commises régulièrement par toutes les parties contre les chrétiens pour les pousser à vendre leurs maisons et partir. Ces actes découragent aussi les réfugiés et n’incitent nullement au retour.
Qu’est-ce qui vous a incitée à faire ces «102 déclarations d’amour à l’Orient»?
Marie Thibaut de Maisieres: Personnellement, j’ai rejoint le Comité des Chrétiens d’Orient Belgique – CSCO – en 2015. À l’époque, la situation d’Alep était très critique. Or Alep est une ville très importante dans la mythologie familiale de mon mari, c’est là que, les arrière-grands-parents de mes enfants, rescapés du génocide arménien ont pu trouver refuge et se reconstruire, nous suivions donc l’actualité de la région avec un effroi particulier. J’ai eu envie de me mobiliser et j’ai pris contact avec le CSCO.
Pendant trois ans, j’ai accompagné le CSCO dans tous les voyages qu’il a organisés dans la région pour sensibiliser la presse et le monde politique – souvent trop silencieux – à la question des minorités chrétiennes dans cette région. Il y a en Belgique, comme dans de nombreux pays d’Europe, une pudeur à parler des minorités chrétiennes du Moyen-Orient. Comme si les chrétiens de cette région étaient un résidu (visiblement culpabilisant) des croisades ou de la colonisation et que leur présence là-bas – pourtant millénaire – n’était pas totalement légitime. Thèse d’ailleurs partagée par l’idéologie djihadiste, ce qui est, à l’opposé de l’histoire et de la réalité de terrain.
De ces voyages en Irak, en Syrie, en Égypte, au Liban et en Palestine, les journalistes Jean-Pierre Martin (RTL), Christophe Lamfalussy (La Libre Belgique), le député fédéral Georges Dallemagne, le prêtre maronite père Charbel Eid et les photographes du Collectif Huma, Olivier Papegnies et Johanna de Tessières, ont ramené d’innombrables textes et images, mais surtout une pressante envie de témoigner de la situation. A Noël, l’année passée ils nous ont proposé d’en faire un livre et j’ai été choisie pour le mettre en musique. C’était facile pour moi, je me posais, depuis mon mariage, de nombreuses questions – historique, géopolitique, culturelle, philosophique, religieuses et même alimentaires – sur la chrétienté orientale et j’en ai fait la liste. Puis j’ai trouvé des spécialistes, des militants ou simples passionnés, en plus de notre équipe de base. Je ne voulais pas que la chrétienté orientale soit réduite à une problématique géopolitique ou à des statistiques de minorités en danger. Je voulais que l’on témoigne de sa beauté, de sa joie, de ses traditions et de sa résilience. 43 contributeurs orientaux et occidentaux (la liste est en infra) se sont prêtés au jeu avec passion en 102 déclarations d’amour classées par ordre alphabétique. D’où le titre «Chrétiens d’Orient, mon Amour».
Simon Najm: Mon premier rêve en 2013 était de rassembler les chrétiens d’orient vivant en Belgique, car nos frères et sœurs étaient en danger de mort en Orient. C’est la naissance du Comité de Soutien aux Chrétien d’Orient «CSCO» qui regroupe les paroisses orientales catholiques et orthodoxes ainsi que l’église latine de Belgique. Notre but est de consolider la présence chrétienne dans tous les pays arabes et de soutenir le retour des réfugiés chrétiens sur leurs terres ancestrales.
Une quinzaine de missions en Irak, en Syrie, au Liban, en Égypte et en terre sainte ont été organisées depuis aout 2014 par le CSCO dans le but de rencontrer les familles déplacées et réfugiées et de leur venir en aide. Aujourd’hui nous finançons plusieurs écoles, dispensaires, maisons d’accueils, mouvements de jeunes, orphelinats avec les dons qu’on reçoit et les bénéfices des différents évènements qu’on organise. Tous les membres du CSCO sont des volontaires et nous gérons notre asbl en bon père de famille sans frais de fonctionnement.
À la suite de toutes ses missions, une amitié solide est née au sein du groupe de base constitué par Marie, Jean-Pierre, Christophe, Georges, Johanna, Olivier, père Charbel et moi. Un nouveau rêve est né: écrire ce livre avec conviction enthousiasme et une volonté certaine de sensibiliser l’opinion publique occidentale sur le vécu amer des chrétiens en orient et pour laisser une trace écrite pour que nos enfants se souviennent et n’oublient pas les exactions commises par daesh et les autres extrémistes musulmans contre les chrétiens. Des amis, experts académiques, journalistes, politiques, professeurs, religieux, mais aussi des passionnés orientaux et occidentaux nous ont rejoint pour écrire chacun à sa manière une déclaration d’amour destinée aux chrétiens d’orient.
Un livre est né, à l’approche de Noël, «Chrétiens d’Orient, mon Amour» qui caresse tendrement l’histoire de nos églises deux fois millénaires et toujours vivantes. Amour, pilier de la religion chrétienne. En couverture, la Sainte Vierge sur fond bleu apporte espoir et sérénité.
L’année dernière une exposition à l’Institut du monde arabe à Paris montrait toutes les richesses culturelles des Chrétiens d’Orient. En quoi les chrétiens sont-ils une composante essentielle de la culture orientale?
Marie Thibaut de Maisieres: Pour moi il faut préserver les minorités chrétiennes d’orient pour trois raisons:
D’abord humaine. On peut penser que ces chrétiens seraient mieux – plus heureux, plus en sécurité – en Europe ou au Etats-Unis. C’est parfois ce qu’a pensé l’ONU ou certains états en accordant des visas qui ont totalement vidé certaines communautés chrétiennes. Mais, même si je ne porte évidemment pas de jugement sur ceux qui décident de partir, je ne le pense pas. Quitter son pays est toujours un déracinement et l’arrivée en occident est souvent un choc. De plus, cela ne correspond pas au souhait de ces populations. Pour l’immense majorité des chrétiens que l’on a rencontré, le rêve n’est pas de partir, mais bien que la situation locale s’améliore pour rendre leurs rêves possibles.
Ensuite historique. Quelle immense perte pour l’humanité si la région devait se vider de sa richesse culturelle, de ses langues, de ses traditions, de ses musiques, de ses recettes, des ses croyances.
Et enfin, politique. Je suis convaincue que la présence de minorités dans la région est un rempart à l’extrémisme et un facteur de paix et de stabilité.
Simon Najm: J’ajouterai à ce que Marie a dit qu’Arabe ne signifie pas musulman. La présence des chrétiens est bien antérieure à celle des musulmans. Ils ont contribué de façon déterminante aux mouvements de modernité et à la renaissance arabe, al-Nahda.
Aujourd’hui ils ont la lourde responsabilité de mener, main dans la main avec leurs concitoyens musulmans et laïcs, le combat contre l’intégrisme et l’extrémisme religieux. Ensemble, ils doivent consolider la notion de citoyenneté, encourager le sentiment d’appartenance à un état de droit, protéger la diversité ethnique, religieuse et culturelle.
On peut lire dans le livre qu’ «un Orient sans les chrétiens, qui se viderait de ses minorités multiculturelles, deviendrait la proie de l’intolérance et de l’extrémisme». Les chrétiens seraient donc un facteur de paix et de stabilité?
Marie Thibaut de Maisieres: L’extrême droite aime utiliser les questions des Chrétiens d’Orient pour incriminer l’Islam. Au CSCO, on ne partage pas du tout cette vision. On pense au contraire que les progressistes de toutes les communautés doivent se battre pour garder la diversité. Si l’orient devait se vider de ses chrétiens, les principales victimes seront les musulmans. Car ils seront, alors, la proie de la frange intégriste de l’islam qui déteste la démocratie et rêve de dictature religieuse.
Pour donner un exemple concret: il y a au Moyen-Orient un vieille tradition de scolarisation – des chrétiens, mais aussi des musulmans – dans les écoles chrétiennes. Cette mixité vécue entre les murs des écoles joue un rôle important dans l’ouverture d’esprit et de tolérance des citoyens de demain.
Enfin, moi je suis convaincue que le fait qu’il y ait plusieurs cultures dans un état aide ses habitants à faire émerger les concepts de citoyenneté et de la démocratie. Car on ne devient citoyen, que quand on est capable de mettre ses caractéristiques personnelles de coté pour appréhender l’intérêt général. De manière concomitante, l’on ne construit une démocratie que quand on veut permettre à chacun de garder, en toute liberté, ses caractéristiques personnelles.
Simon Najm: Les chrétiens en orient souhaitent vivre en paix avec toutes les communautés, leurs présences est millénaire et malgré l’érosion de leurs nombres, leurs déterminations à rester sur leurs terres est inébranlable. Ils sont les ponts entre les communautés, et un facteur de stabilité entre l’orient et l’occident. Ils prônent le vivre ensemble ici et là-bas, bien nécessaire aux démocraties Européennes pour éviter les tensions de nos jours au risque de provoquer une puissante montée de l’extrême droite.
En aidant les chrétiens à rester chez eux en orient on consolide un front de tolérance contre l’intégrisme. Si ce front venait à tomber l’Europe souffrirait encore plus, car elle est le continent le plus exposé aux menaces provenant d’un orient à feu et à sang.
Avec l’exode des chrétiens, l’Orient perd une part de sa substance et de son identité et provoquera un repli et un enfermement des musulmans dans l’intégrisme, ce qui constitue une régression de la civilisation arabe.
Après autant de siècles de résistance, les chrétiens d’Orient n’ont plus ni la force ni la capacité de renaître de leurs cendres sans le soutien de l’occident.
Il est vital pour eux que la solidarité s’inscrive dans la durée.
Source URL: https://diplomatie-humanitaire.org/en-aidant-les-chretiens-a-rester-en-orient-on-consolide-un-front-contre-lintegrisme/
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