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Dix conflits à surveiller en 2017

Article paru sur le site Slate le 12/01/2017

De la Turquie au Mexique, la liste des points chauds les plus volatiles du monde est devenue beaucoup moins prévisible cette année.

Le monde s’ouvre sur son chapitre le plus dangereux depuis des décennies. L’escalade sensible de la violence ces dernières années nuit à notre capacité à faire face à ses conséquences. De la crise mondiale des réfugiés à question de la diffusion du terrorisme, notre échec collectif à résoudre les conflits donne naissance aujourd’hui à de nouvelles urgences et de nouvelles menaces. Même dans les sociétés en paix, la politique de la peur mène à des polarisations dangereuses et à la démagogie.

C’est la toile de fond de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, sans aucun doute l’événement le plus important de l’année passée, qui aura des conséquences géopolitiques déterminantes pour l’avenir. Beaucoup a été dit des inconnues de l’agenda de politique étrangère de Trump, mais s’il y a une chose que nous savons, c’est que l’incertitude elle-même peut-être profondément déstabilisante, particulièrement lorsqu’elle implique l’acteur le plus puissant de la scène internationale. Les alliés des Etats-Unis, de l’Europe à l’Asie orientale analysent déjà nerveusement les tweets et les fanfaronnades de Trump. S’alliera-t-il à la Russie au détriment des Européens? Tentera-t-il de casser l’accord avec l’Iran? Cherche-t-il vraiment à relancer une course aux armements?

Incertitudes

Qui sait? Voilà précisément quel est le problème. Les 60 dernières années ont eu leur lot de crises, du Vietnam au Rwanda en passant par la dernière guerre en Irak, mais les relations entre les puissances principales depuis la fin de la Guerre froide ont été structurées par la vision d’un ordre international fondé sur la coopération qui avait émergé après la seconde guerre mondiale et avait été mené jusqu’alors par les Etats-Unis. Cet ordre était soumis à une forte tension avant même que Trump ne remporte l’élection. Le repli des Etats-Unis sur eux-mêmes, avec ce que ça a de bon et de mauvais, a débuté pendant la présidence de Barack Obama, mais celui-ci a travaillé au renforcement des institutions internationales pour combler le vide laissé. Aujourd’hui, on ne peut plus supposer que les Etats-Unis, redessinés par le slogan «America first», fourniront les briques et le ciment du système international. La puissance armée des Etats-Unis, sans être accompagnée de politique d’influence, sera plus probablement perçue comme une menace que comme la présence sécurisante qu’elle a pu être pour beaucoup.

En Europe, les doutes et interrogations qui accueillent le nouveau positionnement politique des Etats-Unis sont renforcés par les lendemains incertains du Brexit. Les forces nationalistes ont gagné en force et les élections à venir en France, en Allemagne et aux Pays-Bas seront un défi à l’avenir du projet européen. La déliquescence potentielle de l’Union européenne est un des plus grands défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui mais la question est perdue parmi de nombreux autres développements inquiétants réclamant eux aussi leur part d’attention. On ne peut pas se permettre de perdre le contrepoids que constitue la voix de l’Europe dans le monde.

Des rivalités régionale exacerbées contribuent également à transformer le paysage international, comme cela est particulièrement évident dans la compétition pour l’influence au Moyen-Orient qui se joue entre l’Iran et les pays du golfe persique. Les guerres par acteurs interposés qui en ont résulté ont eu des conséquences dévastatrices, de la Syrie à l’Irak en passant par le Yémen.

De nombreux leaders internationaux prétendent que le meilleur moyen de lutter contre le développement des divisions consiste à s’unir autour de l’objectif commun de la lutte contre le terrorisme, mais c’est une illusion: le terrorisme n’est qu’une tactique, et combattre une tactique ne peut pas définir une stratégie. Les groupes djihadistes exploitent les guerres et la chute des Etats pour consolider leur pouvoir, ils se nourrissent du chaos.
Ce dont le système international a réellement besoin, c’est d’une stratégie de prévention des conflits qui soutient de façon inclusive les Etats qui en construisent les murs. Pour se construire, le système international a besoin de plus que du spectre d’un ennemi commun.

La diplomatie de transaction

Avec l’avènement de l’administration Trump, la diplomatie de transaction, qui a le vent en poupe, devrait continuer à se développer. Les négociations tactiques remplacent de plus en plus les stratégies à long-terme et les politiques fondées sur des valeurs. Un rapprochement entre la Russie et la Turquie permet d’espérer une réduction du niveau de violence en Syrie mais Moscou et Ankara doivent à terme contribuer à définir un chemin vers une gouvernance plus inclusive ou s’exposeront au risque d’un empêtrement plus profondément encore dans le bourbier syrien. Il est peu probable qu’un Moyen-Orient stable puisse émerger de la consolidation temporaire de régimes autoritaires qui ignorent les attentes de la majorité de leur population.

L’UE, fer de lance de longue date d’une diplomatie s’appuyant sur des valeurs, a négocié des accords avec la Turquie, l’Afghanistan et certains Etats d’Afrique pour réduire le flux des migrants, suscitant une grande inquiétude quant aux conséquences internationales de cette décision. Par ailleurs, l’Europe pourrait tirer un avantage de toute amélioration des relations entre les Etats-Unis et la Russie pour relancer les politique de réduction des armements conventionnels et nucléaires, ce qui ne serait pas tant opportuniste qu’opportun.

Au contraire, l’approche dure choisie par Pékin dans ses relations à certains pays asiatiques, à l’Afrique et à l’Amérique du sud donne une idée de ce à quoi ressemblerait un monde privé de la présence sécurisante des Etats-Unis.

De tels accords transactionnels peuvent sembler indiquer un retour de la realpolitik mais un système international guidé par des négociations d’accords à court terme a peu de chance d’être stable. Lorsqu’ils ne suivent pas des stratégies à long-terme, il n’est pas difficile de rompre des accords. Sans ordre prévisible, sans des règles largement partagées, des institutions forces, un espace d’expression plus grand est laissé aux troubles. Le monde est de plus en plus fluide et multipolaire, tiré de tous côtés par des acteurs étatiques et non-étatiques, par des groupes armées comme par la société civile. Dans un monde redéfini par les visions ascendantes de l’action politique, les grandes puissances ne peuvent à elles-seules contenir ou contrôler les conflits locaux, mais elle peuvent les manipuler ou s’y trouver mêlées : les conflits locaux peuvent alors devenir l’étincelle qui allume l’incendie.

Que nous le voulions ou non, la mondialisation est un fait. Nous sommes tous connectés. La guerre en Syrie a donné lieu à une crise des réfugiés qui a contribué au Brexit dont les conséquences politiques et économiques profondes vont à leur tour rebondir ailleurs. Des pays peuvent être tentés de se fermer sur eux-mêmes, mais il ne peut y avoir de paix et de prospérité sans une gestion plus coopérative des affaires internationales.

Cette liste de 10 conflits à surveiller en 2017 illustre certaines tendances fortes et tente également d’explorer quelques moyens de renverser des dynamiques actuelles dangereuses.

Syrie et Irak

Après six années de combat, près de 500.000 tués et environ 12 millions de déplacés, il semble probable que le président syrien Bachar el-Assad conserve le pouvoir pour un temps, mais même avec des soutiens étrangers, ses forces ne peuvent pas mettre fin à la guerre et reprendre totalement le contrôle du pays. Cela a été évident lors de la reconquête récente de Palmyre par l’Etat islamique, à peine neuf mois après qu’une campagne militaire soutenue par la Russie en a chassé le groupe armé. La stratégie d’Assad consistant à paralyser l’opposition non-djihadiste a renforcé les groupes islamistes radicaux tels que l’Etat islamique et le Jabhat Fateh al-Sham (l’ancien Front al-Nosra). Les rebelles non-djihadistes, qui ont été affaiblis plus encore par leur récente défaite à Alep, restent divisés et fragilisés par les approches divergentes des Etats qui les soutiennent.

La reconquête de l’est d’Alep par le régime, en décembre, a marqué un point de rupture cruel, le succès du régime et de ses alliés y ayant été obtenu par le siège et le bombardement continu de populations civiles. Les diplomates occidentaux ont exprimé leur horreur et leur indignation mais ont échoué à construire une réponse concrète. L’évacuation de civils et de rebelles a finalement eu lieu, mais après la signature d’un accord par la Russie, la Turquie et l’Iran. Cette troïka a poursuivi avec une rencontre à Moscou destinée à «revitaliser le processus politique» vers la fin de la guerre. Ni les Etats-Unis ni les Nations Unies n’ont été invitées ni même consultées. L’accord de cessez-le-feu mis en place par la Russie et la Turquie à la fin du mois de décembre a semblé se déliter en quelques jours, tandis que le régime continuait ses offensives militaires dans les banlieues de Damas. Malgré les défis importants qui se profilent , cette nouvelle voie diplomatique ouvre la meilleure opportunité de réduction du niveau de violence en Syrie aujourd’hui.

Il est probable que la guerre contre l’Etat islamique continue encore quelque temps, et il y a un besoin urgent de s’assurer qu’elle ne nourrisse pas d’autre foyers de violence et de déstabilisation. En Syrie, les deux principaux efforts de lutte contre le groupe armé, la premier mené par Ankara et l’autre par la filiale syrienne du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), sont pris dans le conflit en Turquie entre l’Etat turc et le PKK. Washington soutient les deux efforts sans prendre en compte suffisamment au sérieux les heurts directs entre eux. La future administration Trump devra donner la priorité à la désescalade du conflit entre ses alliés turcs et kurdes plutôt qu’à la conquête immédiate de territoires actuellement aux mains des djihadistes. Si la violence entre eux continue, l’Etat islamique sera le premier à en bénéficier.

L’Etat islamique affirme toujours sa souveraineté sur un califat s’étendant sur différentes parties de l’Irak et de la Syrie même s’il a perdu une surface importante de son territoire au cours de l’année passée. Même s’il est défait militairement, lui ou un autre groupe pourra ré-émerger si des questions de gouvernance profonde ne sont pas réglées. L’Etat islamique lui-même s’est développé grâce à l’échec à s’attaquer à ces questions. Il répand aujourd’hui une idéologie qui attire des jeunes tout autour du monde et suscite des menaces bien au-delà des frontières de l’Irak et de la Syrie, comme l’ont montré les récentes attaques à Istanbul et Berlin.

En Irak, le combat contre l’Etat islamique a affaibli encore plus la capacité de l’Etat à gouverner, a causé des destructions immenses, militarisé la jeunesse et traumatisé la société irakienne. Il a fragmenté les partis politiques kurdes et chiites en les transformant en factions rivales et troupes paramilitaires se disputant les ressources de l’Irak et dépendantes du soutien de puissances de la région. Le combat pour détruire l’Etat islamique, dont l’ascension s’était nourrie des frustrations profondes des Arabes sunnites, a aggravé les dommages causés par le groupe lui-même. Pour éviter d’aggraver les choses, Bagdad et le gouvernement régional du Kurdistan ont besoin de soutien afin de pouvoir exercer une réelle pression sur les groupes paramilitaires.

Si le succès de la campagne militaire pour reprendre Mossoul que soutiennent les Etats-Unis n’est pas bien géré, il pourrait se transformer en échec. En plus de l’armée irakienne, des forces spéciales antiterroristes et de la police fédérale qui mènent le combat dans la ville, des groupes locaux sont également impliqués et veulent leur part du gâteau. Par ailleurs, l’Iran et la Turquie utilisent des groupes locaux pour étendre leur influence. Plus la bataille dure, plus ces divers groupes pourront exploiter des opportunités d’obtenir un bénéfice stratégique en contrôlant des territoires, et rendront encore plus compliquée toute possibilité de solution politique.

L’Etat irakien, avec le soutien des Etats-Unis et d’autres partenaires, doit continuer à soutenir militairement et logistiquement les troupes irakiennes qui pénètrent dans la ville et doit établir des forces de stabilisation recrutées localement dans les zones reprises à l’Etat islamique, de façon à ce que les gains militaires ne soient pas perdus à nouveau. Il devra également favoriser la mise en place d’une gouvernance impliquant des acteurs politiques locaux ayant un soutien local.

Turquie

L’attaque du jour de l’an qui a tué au moins 39 personnes à Istanbul semble être un présage d’autres violences à venir. L’Etat islamique a revendiqué l’attaque, ce qui n’est pas dans les habitudes du groupe en Turquie et pourrait signaler une intensification de ses attaques. En plus d’une aggravation des retombées des guerres en Syrie et en Irak, la Turquie fait aussi face à l’aggravation de son conflit avec le PKK. Polarisée politiquement, avec une économie sous tension et des alliances superficielles, la Turquie semble promise à des bouleversements.

Le conflit entre l’Etat et les militants du PKK n’a pas cessé d’empirer depuis la rupture du cessez-le-feu en juilet 2015. Depuis, le conflit contre le PKK est entré dans une de ses phases les plus meurtrières en trois décennies, avec la mort d’au moins 2500 militants, militaires, policiers et civils, dans un contexte où les deux camps ont choisi une nouvelle escalade de la violence. Les affrontements et les opérations de maintien de la sécurité ont déplacé plus de 350000 civils et détruit certains quartiers des villes dans le sud-est majoritairement kurde de la Turquie. En décembre, une double attaque à la bombe attribuée au PKK a tué 45 personnes près d’un stade de football à Istanbul.

En réaction, le gouvernement a une fois de plus fait emprisonner des représentants du mouvement kurde, bloquant un canal essentiel d’une solution politique qui devra inclure la protection des droits fondamentaux des Kurdes en Turquie. Bien qu’elle soit enracinée dans le ressentiment au niveau local, l’escalade de la violence est également nourrie par l’inquiétude croissante d’Ankara face aux gains territoriaux des Kurdes dans le nord de la Syrie et en Irak. C’est cela ainsi que le danger présenté par l’Etat islamique qui ont persuadé Ankara d’envoyer ses premiers détachements de troupes dans les deux pays, impliquant le pays plus profondément encore dans le maelstrom actuel au Moyen-Orient.

Sur le plan intérieur, le gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan poursuit sa répression de l’opposition politique et de la dissidence tout en manœuvrant pour modifier la constitution et introduire un régime présidentialiste qui sera probablement l’objet d’un référendum au début du printemps. A la suite de la tentative de coup d’état de juillet dernier, le gouvernement a mis en place des mesures sévères et purgé plus de 100000 fonctionnaires.

Bien qu’ils dépendent de la présence à la frontière méridionale de l’Europe d’un allié membre de l’OTAN fort, les alliés occidentaux de la Turquie se sont montrés très critiques du tournant autoritaire du gouvernement. Cela s’ajoute un contexte déjà marqué par des tensions crées par les négociations au point mort entre l’UE et Ankara au sujet de l’accession de la Turquie. En novembre, Erdogan a répondu avec colère à des critiques de Bruxelles en menaçant de rompre l’accord de mars 2016 sur les réfugiés par lequel Ankara avait accepté d’empêcher le flux de réfugiés syriens d’atteindre l’Europe. Plus de 2.7 millions de réfugiés syriens sont actuellement enregistrés en Turquie. Leur intégration est un défi important pour l’Etat et pour les communautés qui les accueillent.

Les relations avec Washington ont été assombries par l’escalade du conflit militaire entre la Turquie et les forces kurdes en Syrie soutenues par Washington et par la demande de la Turquie d’extrader Fethullah Gülen, le supposé architecte du coup d’Etat. Ankara a reconstruit des liens boiteux avec Moscou et l’assassinat de l’ambassadeur russe en Turquie en décembre a pour l’instant rapproché les deux pays. Ankara réduit de plus en plus ses alliances avec l’occident et se presse à s’accorder avec la Russie et l’Iran. Pourtant, l’Iran et la Turquie sont toujours engagés sur une voie périlleuse, divisés par un désaccord profond au sujet de leurs intérêts primordiaux en Irak et en Syrie.

 

Yémen

La guerre au Yémen a créé une catastrophe humanitaire de plus, détruisant un pays qui était déjà le plus pauvre du monde arabe. Alors que des millions de personnes se trouvent à présent au bord de la famine, la nécessité d’un cessez-le-feu complet et d’un règlement politique du conflit sont plus urgents que jamais. Les Yéménites ont souffert de difficultés immenses en raison de bombardements aériens, d’attaques de roquettes et de blocus économiques. Selon l’ONU, environ 4.000 civils ont été tués, surtout lors de frappes aériennes de la coalition menée par l’Arabie saoudite.

L’Arabie saoudite est entrée dans le conflit en mars 2015 pour contrer les avancées réalisées par les houthis, une milice dominée par les chiites zaydites et considérée par Riad comme combattant pour le compte de son ennemi juré: l’Iran. Bien que les houthis ne soient pas intimement liés à l’Iran, il est dans les intérêts de l’Iran que l’Arabie saoudite soit empêtrée dans une impasse au Yémen.

Sahel et bassin du Tchad

Les conflits mêlés de la région du Sahel et du bassin du lac Tchad ont provoqué une grande souffrance humaine, notamment le déplacement d’environ 4.2 millions de personnes. Djihadistes, groupes armés et réseaux criminels rivalisent dans cette région pauvre où les frontières sont poreuses et où le pouvoir des gouvernements est réduit.
En 2016, des djihadistes basés au centre du Sahel ont mené des attaques meurtrières dans l’ouest du Niger, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire, soulignant la vulnérabilité de la région. AQMI et al-Mourabitoun y restent actifs et un nouveau groupe se réclamant de l’Etat islamique s’y développe. Tous semblent vouloir continuer à attaquer des civils aussi bien que des forces armées nationales et internationales. Le Mali est la mission de maintien de la paix la plus dangereuse de l’ONU, 70 agents ayant été tués depuis 2013 par «des actes effectués avec la volonté de nuire».

Le Mali pourrait faire face à une crise majeure cette année, tandis que l’entrée en vigueur de l’accord de paix de Bamako de 2015 menace d’être repoussée. La fracturation récente de la principale alliance rebelle au nord du pays, la Coordination des Mouvements de l’Azawad, a contribué à la prolifération de groupes armés et la violence s’est étendue au centre du Mali. Les puissances de la région devraient utiliser le sommet de l’Union africaine de ce mois-ci pour relancer le processus de paix en y incluant peut-être des groupes actuellement mis à l’écart. L’Algérie, acteur important de la stabilité régionale, a un rôle important à jouer en tant que négociateur principal de l’accord.

Dans le bassin du lac Tchad, les forces armées du Nigéria, du Niger, du Cameroun et du Tchad ont passé un cap dans leur combat contre l’insurrection menée par Boko Haram. A la fin du mois de décembre, le président nigérian a annoncé «l’écrasement final des terroristes de Boko Haram dans leur dernière enclave» dans la forêt de Sambisa, mais le groupe n’a pas encore été complètement vaincu. Une querelle d’appareil a divisé le mouvement djihadiste, mais il reste résilient et agressif. Bien que l’attention internationale se soit concentrée sur l’enlèvement et le viol de femmes et de jeunes filles, les responsables politiques devraient également noter que des femmes ont rejoint le mouvement pour y chercher des opportunités économiques et sociales. Mieux comprendre les différentes façons dont le conflit est vécu par les femmes devrait être pris en compte directement pour bâtir des stratégies s’attaquant aux racines-mêmes de l’insurrection.

L’insurrection Boko Haram, la réaction militaire agressive qu’elle a suscité et l’absence d’assistance efficace à ceux qui ont été pris dans le conflit menacent de créer un cycle de violence et de désespoir sans fin. Si les gouvernements de la région ne réagissent pas de façon responsable au désastre humanitaire, ils pourraient se couper encore plus de certaines communautés et planter les graines de futures rébellions. Les Etats devraient également investir dans le développement économique et renforcer la gouvernance au niveau local pour ne pas donner à des groupes extrémistes des opportunités d’émerger.

République démocratique du Congo

La République Démocratique du Congo a reçu de bonnes nouvelles un peu avant minuit le soir de la nouvelle année lorsque les évêques catholiques ont annoncé qu’un accord destiné à résoudre la crise politique du pays avait été trouvé. Le président Joseph Kabila n’a pas encore signé cet accord qui implique qu’il démissionne après la tenue d’élections, avant la fin de l’année 2017. Malgré des niveaux de méfiance très élevés entre les différentes parties, l’accord dont l’Eglise catholique congolaise a été l’intermédiaire reste la meilleure option pour aboutir à des avancées. Le défi global se présentant aujourd’hui consistera à préparer des élections et une transition politique en peu de temps, ce qui nécessitera un soutien international important.

La détermination de Kabila à se maintenir au pouvoir au-delà de son deuxième mandat, au mépris de la constitution congolaise a suscité une opposition importante ainsi que des manifestations explosives durant toute l’année 2017 et l’extension de la violence menace. La corruption endémique et la politique du pouvoir sans partage qui ont cours au Congo signifient que l’entourage de Kabila a beaucoup à perdre et qu’il pourrait donc ne pas céder la place facilement. Les puissances africaines et occidentales doivent coordonner leurs efforts pour tirer le Congo du danger et empêcher le développement de plus d’instabilité dans la région ? La MONUSCO, plus grande mission de maintien de la paix de l’ONU, n’a pas les moyens de faire face à un tel défi et serait plus efficace dotée d’un mandat plus spécifique, déchargé de la reconstruction institutionnelle et se concentrant plutôt sur les bonnes pratiques et la surveillance des droits de l’homme.

En septembre dernier, plus de 53 personnes ont été tuées, principalement par des forces de police, lorsque les manifestations contre le maintien au pouvoir de Kabila au-delà de la période de son mandat sont devenues violentes. Dans différentes villes, des affrontements entre les forces de police et des manifestants ont fait plus de 40 morts les 19 et 20 décembre, vers la fin de son mandat. Il est probable que la violence continue si les élections sont repoussées à nouveau. La principale coalition d’opposition, le Rassemblement, sera préparée à utiliser la puissance de la rue pour tenter de forcer Kabila à partir. La tension politique à Kinshasa contribue également à la croissance de la violence dans certaines région du pays, notamment l’est où les conflits se multiplient.

Soudan du Sud

Après trois ans de guerre civile, le plus jeune pays du monde est toujours tracassé par plusieurs conflits. Les plaintes contre le gouvernement central et des cycles de violences inter-ethniques nourrissent des combats qui ont déjà déplacé 1.8 millions de personnes et forcé près d’1.2 millions d’entre elles à fuir le pays. L’inquiétude internationale a cru après qu’ont été rapportées des atrocités de masse et l’absence d’avancées dans la mise en place de l’accord de paix de 2015. En décembre, le président Salva Kiir a appelé au renouvellement du cessez-le-feu et d’un dialogue pour promouvoir la paix et la réconciliation. Le succès de ces tentatives dépend de la volonté du gouvernement de transition de négocier de façon juste avec chaque groupe armé et discuter jusqu’au niveau local avec les communautés laissées à l’abandon.

L’accord de paix soutenu internationalement a été mis à mal en juillet 2016 lorsque les combats ont éclaté à Juba entre les forces gouvernementales et d’anciens rebelles. Le leader d’opposition et ancien vice-président Riek Machar, qui venait de rentrer à Juba comme le prévoyait l’accord, a fui le pays. Depuis, Kiir a renforcé ses positions dans la capitale et dans la région en général, ce qui créée une opportunité de promouvoir des négociations avec des membres de l’opposition armée, y compris des groupes ne faisant pas partie actuellement du gouvernement de transition.

La situation sécuritaire à Juba s’est améliorée ces derniers mois, bien que les combats et la violence ethnique continuent ailleurs. Les efforts diplomatiques internationaux se concentrent aujourd’hui sur le déploiement d’une force régionale de protection d’environ 4000 hommes, un détail qui ne pourrait pas grand-chose pour circonscrire un important éclatement de violence et qui utilise une énergie qui pourrait être utilisée dans l’effort politique profond qui est nécessaire à la consolidation de la paix. L’UNMISS, la mission de maintien de la paix actuelle au Soudan du Sud a besoin d’une réforme en urgence, cela semble particulièrement clair depuis son échec à protéger les civils lors de la dernière flambée de violence à Juba. Dans la tragédie que connaît le pays, une lueur d’espoir subsiste grâce au rapprochement fragile en train d’être construit entre le Soudan du Sud, l’Ouganda et le Soudan: il pourrait un jour contribuer à garantir une plus grande stabilité.

Afghanistan

Plus de 15 ans après que les forces de la coalition menée par les Etats-Unis ont chassé les Talibans du pouvoir, dans le cadre d’une campagne destinée à détruire al-Qaïda, la guerre et l’instabilité en Afghanistan sont toujours une menace à la paix et la sécurité mondiale. Aujourd’hui, les Talibans gagnent du terrain, le réseau Haqqani est responsable d’attaques dans des grandes villes et l’Etat islamique a revendiqué une série d’attaques visant des chiites qui semblent destinées à propager les violences inter-religieuses. Le nombre d’affrontements armés a atteint l’an dernier son niveau le plus haut depuis que l’ONU a commencé à enregistrer les incidents en 2007, et ils ont fait de nombreuses victimes civiles.

La plus longue des guerres menées par les Etats-Unis a à peine été mentionnée comme enjeu politique lors de l’élection présidentielle. Les intentions de Trump pour l’Afghanistan restent peu claires, même s’il a plusieurs fois exprimé son scepticisme quant à la politique de nation building. Son choix controversé de conseiller à la sécurité nationale, le général en retraite Michael Flynn, a été directeur du renseignement du Commandement des Opérations Spéciales en Irak et en Afghanistan. La priorité que Flynn affirme vouloir accorder à la lutte contre «le terrorisme islamiste radical» en tant que principale menace mondiale témoigne d’un mauvais diagnostic qui aura des implications inquiétantes tant en Afghanistan qu’ailleurs. Le but stratégique à long terme doit tendre à une résolution négociée du conflit avec les Talibans, ce qui nécessitera une convergence régionale à l’échelle de toute la région ainsi que l’implication de la Chine. Entre-temps, la Russie, le Pakistan et la Chine ont formé un groupe de travail sur l’Afghanistan avec pour objectif proclamé de créer une «structure anti-terroriste régionale». Jusqu’à aujourd’hui, Kaboul n’a pas été invitée à se joindre aux consultations trilatérales.

Les relations de l’Afghanistan avec le Pakistan ont longtemps été entachées du soutien d’Islamabad aux Talibans et à d’autres groupes rebelles. Les tensions ont cru l’automne dernier lorsque des milliers de réfugiés afghans au Pakistan ont été forcés de fuir dans un contexte d’augmentation de la violence, d’arrestations et de harcèlement. La crise des réfugiés afghans a été rendue encore pire par le plan de l’UE de renvoyer 80000 demandeurs d’asile en Afghanistan, réaction politicienne à une urgence humanitaire… Tout cela, en sus à la crise économique que connaît le pays, rajoute une pression importante à un Etat dangereusement faible.

Birmanie

Le nouveau gouvernement civil dirigé par Aung San Suu Kyi, lauréate du prix Nobel de la paix, avait promis que la paix et la réconciliation nationale seraient ses principales priorités. Pourtant, de récentes flambées de violence ont mis à mal les efforts destinés à mettre fin à près de 70 ans de conflit armé. En novembre, une «alliance du nord» composée de quatre groupes a mené des attaques sans précédent contre des cibles dans des villes dans une zone de commerce importante à la frontière chinoise, précipitant une escalade militaire dans le nord-est. Cela n’annonce rien de bon pour la prochaine session de la Conférence de Panglong pour le XXIème siècle, prévue en février, élément d’un nouveau processus de paix destiné à rassembler la majorité des factions armées ethniques les plus importantes du pays.

Entre-temps, le destin de la minorité musulmane rohingya suscite à nouveau l’inquiétude de la communauté internationale. La population a vu ses droits progressivement érodés ces dernières années, particulièrement à la suite de violences contre les musulmans dans l’état de Rakhine en 2012. La dernière période de violences dans l’état de Rakhine a débuté suite à une série d’attaques en octobre et novembre ayant ciblé la police aux frontières et l’armée dans une zone à la frontière de la Birmanie avec le Bangladesh, au nord-ouest du pays. Les forces de sécurité ont répliqué lors d’une campagne ayant fait peu de distinction entre rebelles et civils, et suite à laquelle elles ont été accusées d’exécutions extrajudiciaires, de viols et d’incendies criminels. Mi-décembre, l’ONU estimait qu’environ 27000 Rohingya avaient fui le Bangladesh. Plus d’une douzaine d’autres lauréats du prix Nobel ont publié une lettre ouverte critiquant Aung San Suu Kyi pour son échec à parler publiquement des abus et d’appeler à l’égalité complète des droits civiques pour les Rohingya.

Les premières attaques avaient été menées par un groupe armé connu sous le nom d’Harakah al-Yaqin («Mouvement de la foi»), dont l’émergence est un agent potentiel de rupture en Birmanie. Bien que les Rohingya n’aient jamais été une population radicalisée, la réaction militaire lourde du gouvernement fait croître le risque d’un développement de la violence. Leurs griefs pourraient être exploités par des djihadistes transnationaux tentant d’atteindre leurs propres objectifs, ce qui pourrait faire exploser les tensions religieuses dans le pays majoritairement bouddhiste.

Ukraine

Après près de trois ans de guerre et près de 10.000 morts, l’intervention militaire de la Russie définit aujourd’hui tous les aspects de la vie politique en Ukraine. Divisée par le confit et minée par la corruption, l’Ukraine se dirige vers encore plus d’incertitude. L’admiration affirmée de Trump pour le président russe Vladimir Poutine fait peur à Kiev, tout comme les rumeurs selon lesquelles les Etats-Unis pourraient décider de retirer les sanctions contre la Russie. La mise en œuvre de l’accord de paix de Minsk de février 2015 a été repoussée, rapprochant en fait la Russie de deux de ses objectifs dans le conflit ukrainien: l’établissement d’entités politiques pro-russes permanentes dans l’est de l’Ukraine, et la normalisation de son annexion de la Crimée débutée avec la guerre en 2014.
Partout en Ukraine, on constate une grande désillusion face à des leaders venus au pouvoir grâce aux manifestations de début 2014 mais qui ressemblent de plus en plus aux oligarques corrompus chassés alors. Le soutien occidental au président Petro Porochenko décline en raison de l’incapacité ou du refus de Kiev d’accoucher des réformes économiques et et des mesures anti-corruption promises. Les problèmes de Porochenko pourraient être aggravés si des élections parlementaires anticipées se tiennent en 2017, lors desquels des partis pro-russes pourraient gagner du terrain.

Les Etats-Unis et l’UE doivent plus fermement pousser Kiev à effectuer des réformes, tout en utilisant une diplomatie forte envers Moscou, y compris par le maintien des sanctions. Poutine doit être convaincu qu’il ne peut y avoir de retour à la normale en Europe tant que différentes formes de guerre hybride seront utilisées par la Russie pour maintenir le statu quo en Ukraine. Les tactiques de la Russie, notamment l’usage de la force, les cyberattaques, la propagande et les pressions financières envoient un message inquiétant dans toute la région.

Mexique

Un niveau élevé de tensions entre les Etats-Unis et le Mexique semble inévitable après une campagne lors de laquelle Trump a promis de construire un mur frontalier, d’expulser des millions de migrants sans-papiers, et de se retirer de l’Accord de libre-échange nord-américain. Donald Trump a également dépeint les migrants mexicains comme des dealers, des criminels et des violeurs et s’est appuyé sur le soutien de groupes nationalistes blancs. Lors d’une tentative précoce d’évitement de confrontations futures, le président mexicain Enrique Peña Nieto a invité en septembre Trump, alors simple candidat, à visiter le pays, une décision qui s’est d’abord retournée contre lui, le peuple mexicain étant déjà mécontent de la criminalité élevée, de la corruption et d’une économie faible.
Peña Nieto sait que le Mexique ne peut pas se permettre de faire de son puissant voisin un ennemi. Les élites politiques et économiques mexicaines seraient sur le pied de guerre pour convaincre Trump et ses conseillers de modifier ses positions annoncées sur l’immigration et le libre-échange.

Si les Etats-Unis devaient poursuivre une politique d’expulsions massives, cela susciterait le risque d’une crise humanitaire et sécuritaire bien pire. Les réfugiés et migrants venus du Mexique et d’Amérique centrale fuient des niveaux de violence très importants combinés à une pauvreté endémique. Une étude de 2016 a montré qu’au Mexique, Honduras, Guatemala et Salvador, la violence armée a tué environ 34000 personnes au total, soit plus qu’en Afghanistan pendant la même période. L’intensification des expulsions et du contrôle aux frontières tend à mener les migrants sans-papiers vers des voies de passage plus dangereuses bénéficiant à des groupes criminels et des fonctionnaires corrompus. Les Etats-Unis peuvent servir leurs propres intérêts plus efficacement en renforçant leur partenariat avec le Mexique afin de faire face aux problèmes systémiques qui engendrent la violence et la corruption.

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