Madame la Présidente,
Honorables membres du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine,
Monsieur le Commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine,
Excellences,
Mesdames et Messieurs
C’est pour moi un plaisir d’être de nouveau à Addis-Abeba et de me retrouver avec vous – pour la quatrième fois maintenant – en votre qualité de membres du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine.
L’Union africaine demeure un partenaire très important pour le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), et je salue votre détermination indéfectible à œuvrer pour la paix et à la sécurité en Afrique, y compris en prenant des mesures pour résoudre les crises et problèmes humanitaires. Je suis particulièrement heureux que l’accord de coopération entre nos organisations continue à porter ses fruits et que la relation de travail du Conseil avec la délégation du CICR auprès de l’Union africaine conserve toute sa force et son ampleur, puisqu’elle englobe aussi bien, notamment, la protection des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, des enfants, des détenus et des victimes de violence sexuelle que la protection des personnels et structures de santé.
Le Conseil et mon organisation œuvrent tous deux dans le vaste domaine des besoins et des droits, tous deux également dans le but d’atténuer les différentes formes de souffrance auxquelles ils sont confrontés. C’est pour cela que nos activités se chevauchent parfois, et que notre coopération est cruciale face à des préoccupations communes. Pour le CICR, en tant qu’organisation humanitaire, il ne fait aucun doute que les problèmes humanitaires appellent des solutions politiques. Je ne soulignerai jamais assez à quel point il est important que l’on recherche avec la plus grande détermination des solutions politiques aux conflits armés. À cet égard, le Conseil de paix et de sécurité joue un rôle primordial.
Si nous prenons un instant pour récapituler les thèmes qui ont fait la substance du débat international depuis ma dernière visite ici, en 2014, trois problématiques me semblent se dégager nettement :
le déplacement involontaire causé par la violence, la fragilité et les conflits,
le respect et les violations du droit international humanitaire, et
les défis à surmonter pour combler l’écart habituel entre action humanitaire et travail de développement dans les conflits prolongés de l’époque actuelle.
Je souhaiterais aujourd’hui discuter avec vous de ces trois problématiques, et plus précisément des dynamiques qui les sous-tendent et des différentes manières dont elles se manifestent sur le continent africain. J’aurai aussi grand intérêt à vous entendre exposer vos points de vue.
Déplacement et migration involontaires
On s’en rend compte à l’Assemblée générale des Nations Unies, dans les conférences de l’Union européenne ou dans le programme de travail de l’Union africaine et de ce Conseil lui-même, le déplacement et la migration involontaires constituent des dynamiques déterminantes de notre époque et continuent à façonner les politiques et les débats tant nationaux qu’internationaux. Je ne parle pas de la migration volontaire qui consiste à partir en quête de nouvelles opportunités à l’étranger. Je parle du nombre croissant de personnes qui se sentent contraintes de quitter leur foyer pour fuir violence, insécurité et destruction.
Pour le CICR, le débat dont fait actuellement l’objet le déplacement involontaire n’est ni nouveau ni étonnant. Il travaille en effet dans nombre des lieux d’origine des déplacements.
Si la dynamique n’est pas nouvelle, elle atteint maintenant des dimensions inquiétantes : plus de 65 millions de personnes ont vécu un déplacement involontaire en 2015, dont environ un tiers étaient des réfugiés et les deux autres tiers – donc la grande majorité – ont dû se déplacer dans leur propre pays, souvent plusieurs fois. Les pays qui accueillent le plus de réfugiés sont exclusivement des pays limitrophes des nations déchirées par un conflit, comme l’Éthiopie elle-même, le Kenya, l’Ouganda ou le Tchad. Lorsque les conflits se prolongent, il en va de même du déplacement des populations que la peur a chassées de chez elles, et de ses corollaires d’incertitude et d’insécurité. Les onze principaux conflits de la planète ont créé une dynamique de déplacements d’une durée moyenne supérieure à trente ans, soit la moitié d’une vie.
Le CICR est à l’œuvre aussi bien dans les pays d’où provient le déplacement que dans ceux où les personnes qui fuient trouvent refuge. Il s’efforce – souvent en collaboration avec les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge – de porter assistance aux déplacés internes et aux communautés qui les accueillent et de venir en aide aux migrants pendant leur périple, veillant à ce qu’ils aient accès aux soins de santé essentiels et à ce qu’ils puissent prendre contact avec leurs familles.
Le coût humain vertigineux du déplacement involontaire, mais aussi son coût financier exorbitant, en sollicitant l’action humanitaire à la limite de ses capacités le long des voies migratoires, même dans les pays d’accueil riches, montrent bien à quel point il est nécessaire de trouver des solutions politiques aux conflits qui poussent les populations à fuir.
En plus de la violence liée aux conflits, des facteurs tels que tensions politiques, insécurité alimentaire, catastrophes naturelles, changements climatiques et absence de services essentiels contribuent aussi à accélérer et accroître les migrations.
Les migrants sont d’une grande vulnérabilité et sont exposés à des risques graves en matière de protection tout au long de leur périple. Nombre d’entre eux se retrouvent « bloqués » dans des pays ravagés par la guerre, d’autres restent longtemps en détention pour entrée ou séjour irrégulier dans un pays. En raison de leur situation administrative, il est fréquent que l’accès aux services de santé, au logement, à l’assistance juridique et à l’éducation leur soit refusé, ce qui ne fait qu’accroître leur vulnérabilité.
Et, année après année, nombreux sont les migrants qui, entre leur pays d’origine et leur destination finale, trouvent la mort, sont gravement blessés ou traversent de terribles épreuves. À ceux-là s’ajoute un nombre inconnu de migrants qui disparaissent tout au long des voies migratoires, et dont on ne retrouve jamais la trace ni le corps. Les familles restent alors dans le désespoir de ne pas savoir ce qu’il est advenu de ces êtres chers.
Au niveau national, le CICR coopère déjà avec des États membres de l’Union africaine pour plusieurs aspects de la protection et de l’assistance à fournir aux migrants. Il s’agit notamment du respect de la législation nationale et du droit international, en particulier du principe de non-refoulement ; du fait que la détention administrative ne doit être utilisée qu’en dernier ressort ; de la prise de mesures permettant d’identifier et d’aider sans tarder les personnes les plus vulnérables ; et de la prise de mesures visant à éviter les séparations, à préserver l’unité familiale et à aider les familles à rechercher des proches disparus et à élucider leur sort.
L’Union africaine, en sa qualité d’organisation continentale observant les affaires juridiques et humanitaires en Afrique, est la mieux placée pour orienter les politiques qui s’imposent face à la dynamique migratoire que nous connaissons aujourd’hui.
Le CICR estime que ces politiques devraient être motivées avant tout par un souci d’humanité et axées sur la dignité et la sécurité des migrants, dans un but de prévention et d’allègement des souffrances. Il faut pour cela que les États mettent en œuvre des politiques qui respectent les droits des migrants et, bien entendu, les obligations internationales et nationales qui leur incombent en tant qu’États. Si certains ont des préoccupations légitimes en matière de sécurité, celles-ci doivent être mises en balance avec les considérations humanitaires. Ce sont là, en définitive, les facteurs décisifs à prendre en compte dans l’élaboration des politiques et procédures applicables à la migration – et leur mise en œuvre – tant aux niveaux international et régional que national.
À cet égard, l’Union africaine a un rôle à jouer pour renforcer les cadres d’action continentaux, et créer une cohésion entre les cadres sous-régionaux existants. Le CICR est prêt à lui apporter le concours de son expérience et de ses compétences dans ce domaine.
Outre le problème de la migration transnationale, le sort des millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays est extrêmement préoccupant. Plus de 40 millions de personnes de par le monde sont concernées, dont près d’un tiers en Afrique.
J’étais il y a quelques jours au Niger, où les déplacés internes sont maintenant plus nombreux que les membres des communautés d’accueil – vingt fois plus à certains endroits du bassin du lac Tchad. Là aussi, j’ai constaté la générosité et le sens de l’hospitalité extraordinaires tant des communautés d’accueil que des pays concernés. On le constate partout : les premiers intervenants dans une situation d’urgence sont les habitants du lieu.
Pendant la seule année 2016, nous avons porté assistance à plus d’un million de personnes dans la région, mais les besoins sont toujours très grands alors que l’aide est chroniquement insuffisante. En tant que l’un des principaux acteurs humanitaires présents sur le terrain, le CICR s’efforce d’intensifier ses opérations pour répondre aux besoins des populations.
D’une ampleur comparable à ce qui se passe au Nigéria, la situation de combats persistants au Soudan du Sud a fait plus de 1,6 million de déplacés internes, soit 15% de la population totale de ce jeune pays. La Libye compte elle aussi un nombre croissant de déplacés – souvent des personnes déplacées plusieurs fois qui continuent à vivre dans une profonde insécurité, en ayant d’importants besoins d’aide humanitaire. Je sais qu’une délégation du Conseil va se rendre au Soudan du Sud avant la fin du mois. J’attends avec intérêt les résultats de cette mission, notamment en ce qui concerne la situation humanitaire du pays.
La Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique – la Convention de Kampala – est le premier instrument juridiquement contraignant sur le déplacement interne à avoir été adopté au monde. Elle représente une avancée notable dans la réaffirmation des droits des personnes déplacés et de l’obligation incombant aux États parties de prévenir et traiter le problème du déplacement interne.
Comme vous le savez, le CICR a activement soutenu la Convention de Kampala depuis le début. Nous avons participé au processus qui a abouti à la rédaction et à l’adoption de la Convention en 2009. Depuis son entrée en vigueur en 2012, nous nous sommes attachés à promouvoir cet instrument, et nous avons coopéré avec l’Union africaine et ses États membres en fournissant des conseils techniques et des points de vue opérationnels sur les mesures à prendre pour en incorporer les dispositions dans les législations nationales et en assurer la mise en œuvre concrète.
Cette année, nous avons procédé dans une trentaine de pays africains à un inventaire des enseignements tirés, des bonnes pratiques enregistrées et des principales difficultés rencontrées par ces États dans leurs efforts pour s’acquitter effectivement de leur obligation, au titre de la Convention de Kampala, de fournir protection et assistance aux personnes déplacées. Notre but était simple : contribuer à ce que la Convention permette concrètement de prévenir les déplacements causés par des conflits armés et d’autres situations de violence et d’améliorer la protection et l’assistance fournis aux déplacés internes en Afrique.
Ce processus s’est terminé en septembre dernier par une réunion de consultation à laquelle ont participé les représentants permanents des États membres de l’Union africaine, les représentants des Communautés économiques régionales et ceux du département des Affaires politiques de l’Union. L’objectif était d’intégrer les points de vue des États membres sur les conclusions préliminaires de l’étude et les recommandations correspondantes
Ce matin, j’ai le plaisir de vous présenter ici, au siège de l’Union africaine, le rapport final récapitulant les conclusions de l’inventaire effectué par le CICR – un état de la situation en ce qui concerne la Convention de Kampala.
Nous recommandons que les États ratifient la Convention et adoptent ensuite, au niveau national, les mesures normatives et mesures de politique générale nécessaires pour que la Convention soit appliquée dans la pratique, ce qui peut faire une différence considérable dans la vie des personnes déplacées en Afrique.
Le processus de mise en œuvre de la Convention de Kampala peut aussi servir d’exemple à d’autres États, en dehors de l’Afrique. J’encourage donc l’Union africaine et ses États membres, les Communautés économiques régionales et les organisations internationales concernées à promouvoir un plus large partage d’expériences en matière de protection des personnes déplacées, non seulement entre États africains mais au niveau mondial.
Droit international humanitaire (DIH)
Excellences,
Passons maintenant au thème du droit, ou plus précisément de l’obligation de respecter le droit international.
Il est apparemment devenu à la mode de déplorer l’érosion du droit international et de sa capacité de protection. Pour ma part, j’affirme le contraire : jamais le cadre juridique normatif n’a été si solide ni complet, jamais il n’y a eu autant de possibilités de mettre en place des mécanismes de contrôle de l’application et du respect du droit et de renforcer ceux qui existent.
Le paradoxe est une question de perception.
C’est précisément parce que le droit n’a jamais été aussi fort que nous sommes plus sensibles aux violations et aux transgressions, et à juste raison. C’est parce que nous connaissons la capacité protectrice du droit que nous sommes si profondément indignés quand il est violé, quand des populations civiles subissent un déplacement involontaire ou sont prises au piège de sièges interminables, quand des écoles sont attaquées en toute illégalité, ou que des détenus se voient refuser les garanties de procédure, sont emprisonnés dans des conditions inhumaines, torturés ou sommairement exécutés.
Lorsque le droit international n’est pas respecté, la vie – une vie digne – devient impossible.
Lorsque les droits fondamentaux ne sont pas respectés, les gens perdent espoir.
La meilleure façon de parer aux effets à long terme des conflits prolongés, qui peuvent toucher des générations entières de nations entières, est de prévenir les violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme.
Il est de la responsabilité des États de maintenir, protéger et soutenir les services publics, même – et surtout – en temps de guerre et de violence.
Le cercle vicieux de la pauvreté et de la violence s’accélère lorsque les infrastructures essentielles sont détruites, que l’accès aux soins de santé devient impossible et qu’il ne peut être satisfait à aucun des besoins essentiels à une vie digne.
Soyons clairs : des violations odieuses sont commises dans tous les conflits de la planète, avec des attaques dirigées contre des civils, des infrastructures civiles et des personnels et établissements de santé.
À cet égard, j’ai été particulièrement sensible à la détermination manifestée par le département Paix et Sécurité de l’Union africaine à la table ronde réunie en mai dernier au sujet de l’article premier commun aux Conventions de Genève, qui établit l’obligation de « respecter et […] faire respecter ».
Le CICR, comme vous le savez, est constamment en relation non seulement avec les États mais aussi avec tous les porteurs d’armes pour souligner la nécessité de respecter le DIH dans les conflits armés. Nous tenons à rappeler l’importance de cette question aux parties aux conflits que vivent plusieurs pays d’Afrique, du Mali à la Somalie et du Soudan du Sud à la République centrafricaine, afin que des souffrances puissent être évitées et allégées.
Les opérations de soutien à la paix sont un exemple des avantages d’une étroite collaboration sur la question du respect des normes juridiques. Je sais que l’Union africaine, les Communautés économiques régionales et les États membres ont déployé des efforts considérables pour mettre en place un dispositif militaire efficace de réaction aux conflits armés et autres situations de violence, ce qui témoigne de leur volonté louable d’apporter des solutions africaines aux problèmes africains.
Ce n’est pas toujours facile, mais c’est nécessaire. La Force africaine en attente (FAA), par exemple, une fois opérationnelle et déployée, devra mener ses opérations dans le respect des obligations juridiques internationales pertinentes relevant du droit international humanitaire, des droits de l’homme et du droit international des réfugiés.
Je serai heureux de connaître votre opinion sur le processus de préparation des directives sur le rôle de la FAA en matière d’action humanitaire et de soutien en cas de catastrophe naturelle, et j’espère que la contribution du CICR aura été utile.
On pourrait citer de nombreux exemples de coopération technique fructueuse entre nos organisations. Je sais que certains de mes collègues ont aussi contribué à la deuxième réunion de planification technique du Groupe d’appui stratégique à la police de l’Union africaine, organisée en 2016, et ont apporté des idées qui devaient permettre aux composantes de police des opérations de soutien à la paix de respecter les normes internationales des droits de l’homme sur le recours à la force.
De même, un important exercice d’entraînement sur le terrain, AMANI AFRICA II, a été organisé en Afrique du Sud l’année dernière sous les auspices de l’Union africaine. Il s’agissait de vérifier et de valider la capacité de l’Union à mandater, déployer, gérer et appuyer une Capacité de déploiement rapide de la FAA avant de conduire une opération complète et multidimensionnelle de soutien à la paix. Plus tôt les notions de respect du droit sont intégrées dans les directives et les procédures opérationnelles standard, mieux c’est – telle est la conclusion que nous tirons chaque fois de ce type d’expérience.
Dans d’autres cas, par contre, nous souhaiterions des progrès plus rapides. La mise en œuvre des procédures opérationnelles standard sur la détention avec la Mission de l’Union africaine en Somalie, par exemple, reste assez difficile, malgré un dialogue permanent.
Outre les opérations de soutien à la paix, nous avons suivi de près les faits récents concernant le financement de l’Union africaine et le Fonds africain pour la paix. Nous nous félicitons de l’initiative de l’Union en faveur de l’indépendance financière ainsi que de l’adoption des recommandations du Rapport Kaberuka, qui contribueront à la mise en œuvre effective de la feuille de route de l’Architecture africaine de paix et de sécurité. Cette mise en œuvre permettra d’opérationnaliser les instruments de paix continentaux et de renforcer les systèmes de contrôle du respect des règles, également en ce qui concerne le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme. Je tiens à réaffirmer aujourd’hui notre intention de maintenir et de renforcer encore notre partenariat avec l’Union africaine à cet égard.
Nous sommes également prêts à renforcer notre dialogue confidentiel avec l’Union africaine sur l’impact humanitaire des opérations de paix actuellement menées en Afrique.
Dans le dialogue confidentiel que nous entretenons avec les autorités et les porteurs d’armes, nous continuons à mettre l’accent sur le fait que le DIH interdit la violence sexuelle et que les États doivent ériger ce type de violation en crime dans leur législation nationale, enquêter véritablement sur chaque cas de violence sexuelle et en poursuivre efficacement les auteurs. Nous avons donc intensifié notre soutien à la formation des porteurs d’armes en DIH, en accordant une attention particulière à la violence sexuelle. Nous sommes prêts à apporter notre concours à l’Union africaine pour la mise en place d’une formation prédéploiement dans ce domaine.
La violence sexuelle reste en effet largement répandue dans les conflits armés, en Afrique et ailleurs dans le monde. Face aux besoins humanitaires urgents et à long terme des survivants, nous avons, ces dernières années, accru le nombre de nos programmes visant à répondre aux besoins des victimes de violence sexuelle – qui, outre leurs lésions physiques et psychologiques, doivent souvent subir une stigmatisation ainsi que d’autres épreuves et attaques.
Nous prenons donc des mesures proactives pour lutter contre la violence sexuelle selon notre approche multidisciplinaire en République démocratique du Congo, en République centrafricaine, au Mali et au Soudan du Sud, en veillant à ce que les victimes ne subissent pas une nouvelle fois préjudices et stigmatisation lorsqu’elles demandent de l’aide. Nous faisons en sorte de combiner soins de santé primaires, soins de santé mentale et soutien psychologique avec des activités de soutien aux moyens de subsistance visant à accroître la résilience des survivants, et des activités de réduction des risques au niveau local.
La violence sexuelle n’est pas une conséquence inévitable de la guerre, c’est une dérive inacceptable. Nous sommes prêts à collaborer avec le Conseil de paix et de sécurité pour contribuer à la prévention de ce type de crimes.
On ne saurait parler du respect du droit sans évoquer le traitement et les conditions d’existence des détenus. En 2016, le CICR a visité plus de 250 000 détenus dans plus de 400 lieux de détention situés dans 32 pays africains.
Les détenus sont toujours vulnérables, mais trop nombreux sont les pays où ils sont particulièrement vulnérables parce que perdus dans des limbes juridiques dus à des tribunaux ou organes administratifs surchargés et à des systèmes pénitentiaires déficients. Dans certains cas, ils ne reçoivent pas assez à manger et souffrent de malnutrition. Souvent, ils sont incarcérés dans des établissements délabrés et lourdement surpeuplés, et ils ont un accès insuffisant à l’eau, à l’hygiène, aux soins de santé, voire à l’air frais et à la lumière.
Nelson Mandela, qui reçut lui-même l’assistance du CICR pendant sa détention à Robben Island, a écrit : « Personne ne peut prétendre connaître vraiment une nation à moins d’avoir vu l’intérieur de ses prisons. Une nation ne doit pas être jugée selon la manière dont elle traite ses citoyens les plus éminents, mais ses citoyens les plus faibles. »
Comme vous le savez, le CICR applique en matière de détention une approche multisectorielle englobant, notamment, la santé, les bâtiments et l’assainissement, la nutrition et la gestion des prisons. Nous dialoguons avec diverses parties prenantes pour identifier les lacunes et y remédier. Le volume de nos activités dans le domaine de la détention en Afrique a presque doublé ces dix dernières années, le but visé étant à la fois de mieux répondre aux besoins les plus élémentaires des détenus et d’aider à se développer les systèmes qui en sont responsables. Cependant la mise en place de solutions durables est lente. Il faut un plus grand engagement de la part des États, à qui incombe la responsabilité ultime du bien-être de ceux qu’ils décident de détenir.
Au cours de ces deux dernières décennies, l’Union africaine a élaboré de nombreuses lignes directrices visant à améliorer la situation des détenus – plus précisément sur les mesures de substitution à la détention, la santé en détention, l’accès à la justice, la prévention des mauvais traitements, etc. Les Lignes directrices de Luanda sur les conditions d’arrestation, de garde à vue et de détention provisoire en Afrique, adoptées en 2014 par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, sont l’exemple le plus récent de l’investissement des États membres de l’Union africaine dans des textes qui balisent clairement la voie vers un système pénitentiaire fonctionnel et humain.
Le CICR est prêt à contribuer à ce que le système de détention à visage humain prévu dans les lignes directrices de l’Union africaine devienne une réalité. Nous sommes disposés à renforcer encore notre coopération avec l’Union et ses États membres afin de répondre non seulement aux besoins concrets des détenus, mais aussi aux besoins du système chargé d’y pourvoir. Il n’existe pas de solution facile aux difficultés actuelles, mais il est très clair que l’on peut faire davantage pour améliorer le traitement réservé aux détenus.
Combler l’écart entre action humanitaire et travail de développement
Excellences,
J’aimerais parler maintenant des effets des situations prolongées de violence, de fragilité et de conflit, et de leur rapport avec l’action humanitaire et le travail de développement.
À l’origine, l’aide humanitaire était synonyme d’opérations d’urgence dans des crises de courte durée. Ce n’est plus le cas. La nouvelle donne s’est installée, avec des conflits qui durent dix ans ou plus et ont un impact énorme sur la population civile. Les infrastructures sont détruites, les systèmes de santé, d’éducation et de distribution d’eau et d’électricité sont pratiquement anéantis, des villes de plusieurs millions d’habitants sont systématiquement transformées en ruines.
Plus les guerres durent longtemps, plus le risque est grand que les infrastructures civiles, surtout en milieu urbain, subissent une destruction partielle ou totale. C’est ainsi que nous voyons des situations – dans des pays africains et ailleurs dans le monde – où les progrès dus à des décennies de développement s’arrêtent et, à terme, sont réduits à néant.
Pour répondre aux besoins des populations, l’action humanitaire a évolué du rôle de solution temporaire à celui de filet de sécurité à long terme. Nous sommes souvent amenés à faire fonctionner sur la durée des services indispensables tels que services de santé, approvisionnement en eau des zones urbaines, réseaux électriques – et même les prisons.
En Somalie, par exemple, nous réparons l’infrastructure en eau, construisons de nouvelles installations et formons des représentants des communautés locales à l’entretien de base, afin d’assurer un accès durable à l’eau potable et à l’irrigation. C’est particulièrement important dans la situation actuelle de fragilité de la sécurité alimentaire, alors qu’une grande partie de la population somalienne souffre déjà d’un accès précaire aux services essentiels.
J’ajouterai ici que 2016 est une année décisive pour la Somalie, du fait des élections prochaines et du processus de paix régional en cours. Il est donc capital que le Conseil de paix et de sécurité envisage cette question importante également sous l’angle de ses conséquences humanitaires.
Qu’il s’agisse de l’infrastructure en eau de la Somalie, de la vaccination du bétail au Soudan du Sud ou des programmes de microcrédit au Nigéria, le fait est que notre action combine déjà l’immédiat et le long terme. C’est de cette façon que nous nous efforçons de répondre aux besoins réels des populations, en comblant l’écart entre les opérations humanitaires d’urgence et les effets stabilisateurs à long terme du travail de développement, toujours dans le respect des principes humanitaires.
Comme les autres, les populations qui vivent dans un contexte de conflit armé ont besoin d’infrastructures et de services qui fonctionnent. À cet égard aussi, nous devrions être pragmatiques, axer nos efforts sur les besoins des gens et sur les capacités et le savoir-faire de ceux qui sont sur place, plutôt que d’être obsédés par des mandats et des lignes budgétaires qui sont le cadet des soucis des populations touchées.
De plus en plus, l’éducation fait partie des problèmes à résoudre dans les conflits armés. Il y a moins d’une semaine, au Niger, j’ai encore vu des centaines d’enfants qui ne vont plus à l’école depuis des années.
Surtout dans le contexte du déplacement de longue durée, il nous faut réfléchir aux moyens de garantir une éducation minimale même lorsque les combats persistent.
Je sais que le Conseil de paix et de sécurité a consacré deux réunions à l’éducation dans les situations d’urgence cette année, l’une sur « la protection des écoles contre les attaques » en mai, et l’autre sur le thème « assurer l’accès à l’éducation des enfants réfugiés et déplacés internes » en août. Cela témoigne de la détermination de l’Union africaine à conserver la question d’un accès sûr à l’éducation au nombre de ses priorités lorsqu’il traite des problématiques de paix et de sécurité.
Cette question est prioritaire pour le CICR, et je serai heureux de vous entendre parler de vos expériences et de vos idées sur ce sujet, et de discuter de la façon dont nos deux organisations pourraient coopérer en la matière.
Une coopération plus étroite entre les acteurs locaux et internationaux, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de notre Mouvement, peut apporter des expériences, des idées et des connaissances utiles à nos opérations.
On dit souvent que l’aide doit être locale. Pourtant, au sein du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge – où nous collaborons étroitement avec les Sociétés nationales dans pratiquement tous les États africains en nous appuyant également sur les compétences locales et nationales spécifiques de notre propre personnel –, il est une chose que nous savons pertinemment : la complémentarité des niveaux local et international est ce qui nous permet de travailler de façon à répondre le mieux possible aux besoins, que ce soit dans une situation d’urgence de courte durée, de conflit prolongé, de fragilité chronique ou au milieu de combats acharnés.
Conclusion
Excellences,
Qu’il s’agisse de la violence sociopolitique qui sévit en République centrafricaine ou au Burundi – où certains d’entre vous se sont rendus au début de l’année –, de l’insécurité chronique qui règne en Libye, en RDC ou en Somalie ou des déplacements massifs que connaissent le Soudan du Sud et le bassin du lac Tchad, toutes ces situations ont des conséquences humanitaires graves, et des millions de personnes souffrent. Je mentionne ces pays parce qu’ils constituent une part importante de nos opérations en Afrique, où nous entretenons souvent un dialogue constructif avec les autorités et tous les porteurs d’armes disposés à faciliter notre action. Ce n’est pas un effet du hasard mais de nos priorités si environ 40% du budget terrain du CICR est alloué aux opérations en Afrique.
Vous le savez, l’Union africaine dédiera l’année 2017 à la Jeunesse africaine. Dans ce cadre, le CICR serait heureux d’aider à promouvoir des solutions aux problèmes humanitaires qui touchent directement les jeunes. Nous sommes prêts à contribuer à la mise en œuvre du cadre continental de l’Union africaine pour la protection des droits et du bien-être de l’enfant, notamment en ce qui concerne les problématiques d’un accès sûr à l’éducation dans les conflits armés et autres situations de violence, des enfants associés à des forces armées et des groupes armés, et des enfants en détention.
Il existe une grande complémentarité entre l’approche de l’Union africaine et la nôtre face à ces problématiques humanitaires, et je tiens à vous remercier pour la détermination sans faille de l’Union à résoudre les crises auxquelles doit faire face le continent africain, ainsi que pour le soutien que vous apportez aux opérations du CICR.
L’Agenda 2063 de l’Union africaine est une nouvelle preuve de votre engagement ambitieux mais résolu en faveur du progrès pour les peuples d’Afrique, et je puis vous assurer que le CICR contribuera à vos efforts par son action humanitaire neutre, indépendante et impartiale.
Notre action et notre diplomatie humanitaires visent à ce que le respect de la vie et de la dignité humaines dans les conflits armés et autres situations de violence restent un aspect essentiel de tous les programmes, cadres d’action et politiques axés sur la paix et la sécurité
Renforcer le dialogue constructif et le partenariat que le CICR entretient avec l’Union africaine, les Communautés économiques régionales et les États membres en matière de droit et d’opérations est – j’espère que vous en conviendrez avec moi – la seule manière crédible et efficace de parvenir à réaliser des ambitions aussi élevées.
Je vous remercie.
Source URL: https://diplomatie-humanitaire.org/discours-prononce-president-cicr-conseil-de-paix-de-securite-de-lunion-africaine/
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