Article paru sur le site du journal Le Figaro le 05/03/2020 par Isabelle Lasserre
En se retirant progressivement de la région, Barack Obama puis Donald Trump ont fait le lit des puissances russe et turque.
Pendant longtemps, c’est à Genève et à New York, sous l’égide des Nations unies, ou dans les capitales occidentales que se discutaient les grandes crises internationales. Aujourd’hui, c’est à Moscou, à Astana ou à Sotchi que se débattent l’avenir de la Syrie et les secousses du Moyen-Orient. Aux manettes, ce ne sont plus ni Angela Merkel, ni Emmanuel Macron, ni les institutions européennes, ni même Donald Trump. Mais Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan, parfois aidés par les dirigeants iraniens. Les présidents turc et russe se sont rencontrés une nouvelle fois jeudi à Moscou après avoir décliné la proposition franco-allemande d’une réunion à quatre. C’était déjà le cas au moment d’Alep. Mais depuis les choses se sont amplifiées. La crise d’Idlib est révélatrice de l’impuissance occidentale en Syrie.
En se retirant progressivement de la région, Barack Obama puis Donald Trump ont fait le lit des puissances russe et turque, à qui ils ont de facto délégué la sous-traitance du dossier syrien. Absents ou presque du terrain, les Européens ont vu leur influence fondre dans la région. Depuis la fin de la guerre froide, c’est l’Occident qui traitait la plupart des crises au Moyen-Orient, à l’est de l’Europe et en Afrique. Aujourd’hui, la gestion de crise échappe de plus en plus fréquemment aux Occidentaux. Les médiations de Paris et Berlin ne fonctionnent plus. Elles sont ignorées en Syrie, elles patinent en Iran et marquent le pas en Ukraine. En Libye, de nouveaux gendarmes régionaux ont succédé, sur le terrain, aux avions occidentaux qui avaient frappé le régime en 2011. Ils se sont réparti leur soutien entre le chef du gouvernement Fayez al-Sarraj et le maréchal rebelle Khalifa Haftar. Jusque dans les Balkans, Moscou et Ankara se partagent le terrain d’influence laissé en friches par l’Europe et les États-Unis.
La France, dont le mandat d’administration exercé jusqu’en 1946 en Syrie et au Liban, a créé un rapport privilégié avec la région et qui participe à la lutte contre le terrorisme, court aujourd’hui le risque d’être éjectée de ce dossier central pour la sécurité du continent européen. Paris considère qu’un tournant a été pris en août 2013. «La France a voulu faire la guerre mais elle a été lâchée par ses alliés au dernier moment. Aujourd’hui, on paye pour ce qu’on n’a pas fait. Le prix à payer de ce brusque changement de cap était celui de l’impuissance. Nous avons laissé le champ libre à des forces qui se déploient hors de notre contrôle et ont l’avantage sur nous car elles se battent sur le terrain», explique un diplomate.
À cause de ses reculs encouragés par le retrait américain ou en raison de ses mauvais choix en Syrie, l’Europe a été réduite au statut de spectatrice. Mais aussi à celui de victime collatérale du drame d’Idlib depuis qu’Erdogan a délibérément organisé une nouvelle crise migratoire en ouvrant la porte de l’Europe aux réfugiés. L’initiative a rappelé la vulnérabilité de l’Union européenne: au lieu d’anticiper et de construire à 27 une solide politique migratoire, les pays européens se sont divisés sur le sujet et ont été incapables de s’extraire de la dépendance au chantage turc. Comme en 2015, la pression migratoire est de nature à aggraver les divisions de l’UE et à gonfler les populismes.
Pourtant, les actions diplomatiques et militaires des nouveaux gendarmes du Moyen-Orient n’ont pas plus de succès que les interventions occidentales. Le régime de Bachar el-Assad a été sauvé, mais les frappes turques à Idlib ont momentanément rebattu les cartes du conflit. Dans ce nouveau monde géopolitique où les alliances entre les acteurs se font et se défont en fonction des intérêts stratégiques ponctuels des uns et des autres, nul ne sait de quoi demain sera fait. Unis contre l’Occident, la Russie et la Turquie s’affrontent en Syrie où elles soutiennent des camps différents et veulent consolider leurs sphères d’influence respectives. Les frictions avec Moscou ont poussé Ankara à gratter à nouveau à la porte des Occidentaux, notamment au sein de l’Otan.
Au niveau diplomatique, le processus d’Astana est aussi gelé que celui de Genève. «La Russie, la Turquie et l’Iran n’ont fourni aucune solution destinée à restaurer la stabilité», regrette un diplomate. Et malgré toutes les déclarations, les héritiers des empires russe, ottoman et perse n’ont pas les mêmes projets pour l’avenir de la Syrie. Sur ce sujet au moins, leurs divisions n’ont rien à envier à celles de l’UE. Les optimistes n’excluent donc pas forcément un retour de l’influence occidentale dans la région à moyen terme. Car la seule certitude, c’est que la guerre va encore durer suffisamment longtemps en Syrie pour que de nouveaux tournants s’y produisent. Mais en attendant, l’effet d’éviction provoqué par l’effacement américain est bien réel. Il se fait sentir jusqu’au Sahel, où l’armée française redoute d’avoir à se passer de certaines capacités militaires américaines.
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