Coronavirus : entre incertitudes et satisfécits…

I- Principaux constats concernant cette épidémie de Coronavirus

Chaque fois que nous avons une alerte épidémiologique (H5N1, SRAS, Ebola…) nous retrouvons quasiment les mêmes pathologies collectives dans le pilotage de ce type de crise.(1)

Tout débute dès les premières alertes avec

II- Quelques interrogations de fond

Très rapidement se posent toujours les mêmes questions pour qualifier le dimensionnement et la gravité de ce type de crise non matérielle mais vitale :

III- Qualification de la crise

Au regard des informations disponibles et de ce qu’il est possible de discerner actuellement sur le plan mondial, comment pourrions-nous qualifier la situation en utilisant la méthode des Forces de Réflexion Rapide (8), que toute organisation responsable devrait désormais mobiliser systématiquement pour accompagner des stratégies d’anticipation et des prises de décision quand il y a des crises de ce niveau ?

IV- Quelles réponses immédiates ?

Forts de ces constats que faut-il envisager, en France et pour ceux qui sont à l’étranger ?

V- Prendre du recul et anticiper

Sur le plan de l’anticipation stratégique, plusieurs niveaux de réflexion peuvent être pris en compte pour alimenter des scénarios court, moyen et long terme selon le niveau d’aggravation et de radicalisation de cette crise :

  1. Problématique sanitaireCette alerte nous interpelle sur deux questions démographiques dimensionnantes au niveau mondial : l’urbanisation croissante sur tous les continents ainsi que l’ampleur du nomadisme et des migrations mondiales. De fait, les réponses que nous observons en ce moment sont celles de pays fortement urbanisés et technologiquement développés avec des dispositifs hospitaliers de qualité et des moyens sécuritaires sophistiqués (cf. les drones et les dispositifs de traitement numérique utilisés par les Chinois). Il n’en est pas de même sur des pays en voie d’urbanisation de masse avec des dispositifs sanitaires précaires et des réponses sécuritaires basiques… comme en Afrique par exemple. Que dire des populations qui sont prises dans des mouvements migratoires ingérables au sein de sous-continents ou suite à des crises internationales comme celles du nœud syriaque ou du verrou sahélien ? Ces populations ne sont suivies que par les dispositifs humanitaires et contenues que par des dispositifs militaires hybrides mis en place par des résolutions de l’ONU ou par des alliances entre Occidentaux et États concernés. Dans ces cas de figure, personne ne maitrise véritablement les effets d’une épidémie sur les populations avec tout ce que cela peut comporter comme effets collatéraux sur les questions de terrorisme ou autres trafics…
  2. Problématique économique et financièreLa Chine est le second pays le plus riche au monde en termes de PIB selon le classement du FMI (14 137 milliards de $ contre 21 345 milliards de $ pour les États-Unis en 2019). En termes de parité de Pouvoir d’achat, l’Empire du Milieu domine les États-Unis (23 301 milliards de $ contre 19 391 milliards de $ pour les États-Unis). De fait, cette crise n’est pas marginale pour l’économie mondiale, elle s’avère même cruciale car elle remet en cause jour après jour les prévisions mondiales en termes de croissance et toutes les projections pour les entreprises notamment des secteurs des biens de consommation et des biens d’équipement en termes de profitabilité, voire pour certaines tout simplement en termes de survivance de leurs produits ou de leurs marques (17). À la différence de Fukushima qui a eu un impact sur des supply chain technologiques sensibles sur les technopoles entre autres de Tokyo et quasiment aucun impact sur le plan monétaire, cette crise sur la Chine a des impacts beaucoup plus sérieux sur la supply chain industrielle et sur la situation financière, voire bancaire, mondiale. Les effets dominos sont beaucoup plus sérieux. Si la crise durait, voire se durcissait avec des répliques et un élargissement de la contagion en Chine, mais aussi sur la région (Japon, Corée, ASEAN), il est évident que l’effet papillon serait considérable avec un effondrement de la croissance mondiale suivi instantanément d’un crash financier que personne ne pourrait contenir. Personne n’y a intérêt actuellement, surtout dans les phases de transition politique américaine, russe, mais aussi allemande pour ne prendre que les grands opérateurs mondiaux concernés par les effets collatéraux de cette crise épidémiologique de grande envergure. Pour autant, les grands argentiers mondiaux sont d’ores et déjà en alerte, car ils savent que les banques centrales ne pourront pas amortir un tel choc systémique.
  3. Problématique géostratégiqueCet événement arrive dans un contexte singulier sur le plan géostratégique et il n’est pas possible de l’occulter lorsque l’on analyse les mouvements de fond au sein des grands pays membres du conseil de sécurité de l’ONU.  Cela se passe en plein nouvel an chinois, mais à un moment où l’exécutif se trouve confronté à des niveaux de contestations importantes sur le plan interne et en périphérie (cf. Hong Kong). Les sinologues disent souvent que dans les modes de représentation des Chinois, les épidémies, les famines, sont les signes d’un nécessaire changement de dirigeants. Certes, à l’ère de l’Intelligence Artificielle, ces références cosmogoniques de la culture chinoise peuvent toujours surprendre, mais elles ne peuvent pas être écartées des analyses. Il est un fait que le régime profite du traitement de cette épidémie pour resserrer le contrôle sur les populations et les libertés publiques et que de nombreux chroniqueurs posent la question de la stabilité de Xi Jinping dans ce contexte. Tout ceci arrive au moment de la fin de la procédure de l’impeachment des démocrates contre Donald Trump aux États-Unis et de la course aux investitures pour les élections de novembre, avec un président américain qui peut désormais se prévaloir d’être réélu. Par ailleurs, en Russie, Vladimir Poutine vient d’ouvrir le champ de sa propre succession avec une refonte de la constitution et de la gouvernance du Kremlin. Dans cette perspective et compte tenu de ce que l’on peut observer autour de la question ukrainienne, des discussions en cours sur le Proche et Moyen-Orient, des postures et des non-dits sur cette question chinoise face aux ambitions de Xi Jinping avec sa route de la soie et sa volonté de s’affirmer comme première puissance mondiale, il apparait nettement que les équipes de Trump et de Poutine convergent sur de nombreux sujets stratégiques, même s’il y a de temps à autre des coups de menton tactiques. L’idée d’un hémisphère Nord plus coercitif face à une Chine dominante commence à devenir un scénario de plus en plus plausible. Cet évènement pourrait accélérer cette occurrence de redéfinition des jeux d’alliances stratégiques. Dans ce contexte l’Union Européenne est confinée en logique d’impuissance. Le Brexit dur que ses dirigeants ont dénié pendant 3 ans a finalement bien eu lieu. L’Allemagne rejette désormais le modèle social-démocrate portée par Angela Merkel et commence à accuser les limites de son modèle économique. Les pays du groupe de Visegrad confirment et radicalisent leurs postures populistes. La faiblesse des gouvernances sur les pourtours de la méditerranée avec les instabilités gouvernementales en Espagne et en Italie, la crise algérienne, le chaos libyen, les tensions avec le nouvel hégémonisme ottoman des Turcs… contribuent à développer un arc de crise de plus en plus dangereux sur le flanc sud de l’Europe. Au milieu de cette cartographie fracturée, la France apparait de plus en plus isolée pour faire valoir ses intentions d’ouverture au niveau européen avec une situation intérieure sous tension permanente sur le plan sociétal.
    Tout cela montre que les préoccupations et les priorités de nos grands acteurs en charge de la sécurité mondiale, et notamment sanitaire aux cotés de l’OMS, sont loin d’être convergents et qu’en cas de radicalisation de la crise les postures ne seraient pas forcément unitaires et convergentes. Il suffit d’observer les débats actuels autour des enjeux climatiques et énergétiques… Bien au contraire, elles pourraient être l’occasion de recaler des rapports de force et de réaffirmer des leaderships, « l’occasion faisant le larron ». Ce sont des éléments qu’il faut intégrer dans la réflexion stratégique, même si cela semble hors de portée en termes de rationalité. Les arbitrages politiques, même s’ils paraissent déraisonnables notamment pour le monde économique et encore plus pour le bien-être des populations, l’emportent toujours sur les autres critères en situation extrême.

VI- En conclusion

Cette crise montre une fois de plus que sur ce type de crise très complexe et immatérielle, comme pour les cyberattaques, il y a autant de réponses que de pays. Il n’y a pas de modèle qui s’affirme, tout dépend des cultures et des niveaux d’organisation sur le terrain. Certaines seront décentralisées et très démocratiques avec une forte résilience des populations, d’autres seront centralisées, autoritaires avec une forte soumission des populations. D’autres seront chaotiques et sous intermédiations d’organisations internationales. Seules des grandes organisations mondiales ont les capacités de fonctionner avec des approches transverses, civilisationnelles et globales, mais elles ne représentent que très peu d’acteurs au regard des masses de population et de problématiques vitales à prendre en compte sur le terrain. C’est tout le paradoxe et les limites de ce type de pilotage de crise qui se veut d’abord démographique et humain avant d’être économique ou financière.

Dans ce type d’évènements le rôle des tiers de confiance sont cruciaux. En aucun cas il ne faut que les populations décrochent en termes d’adhésion aux processus de prévention et de traitement d’une épidémie, encore plus si nous passons à un stade de pandémie. Dans ce cadre, les organisations humanitaires, hospitalières, médicales qui assurent des prestations de proximité sont stratégiques. Ce sont elles qui portent les actes et les messages de survie auprès des populations. Parmi ces tiers de confiance figurent aussi les médias, voire les réseaux sociaux lorsqu’ils sont bien utilisés, pour leurs capacités de diffusion de l’information à tous les niveaux, souvent là où les États n’ont plus forcément la crédibilité, voire la légitimité pour parler.

Enfin la question des postures gouvernementales reste et demeure le point essentiel dans ce type de crise pour porter la confiance collective. Si cette question de la communication stratégique et politique est négligée, l’ensemble du pilotage de la crise part immédiatement en mode échec et la conduite des évènements se dégrade souvent de façon irréversible. Tous les retours d’expérience des grandes crises récentes démontrent le caractère impitoyable des postures de sous-réaction ou de sur-réaction des dirigeants à des évènements majeurs. À ce niveau, tout dépend du niveau de préparation mentale, éthique et stratégique des dirigeants, et parce que c’est une réalité dans de nombreux pays, de leur niveau d’entraînement à des situations hors cadres ou à des scénarios exigeants avec des effets de surprise qui les contraint à sortir du cadre. Être capable de penser et d’agir « Out of the box », comme le répètent ceux qui ont réussi à faire face à de grands rendez-vous collectifs, est impératif.

Pour reprendre les récents propos de Kristalina Georgivia, ancienne directrice de l’Unesco et actuelle directrice du FMI, « Il y a beaucoup d’incertitudes et nous parlons ici de scénarios, pas de projections, reposez-moi la question dans dix jours… (18)». En fait, tout le monde communique et essaye de se rassurer mais personne ne sait vraiment à quoi s’en tenir « nous ne connaissons pas la nature exacte de ce virus, nous ne savons pas à quelle vitesse la Chine sera capable de le contenir et s’il va se répandre davantage dans le monde, ce que nous savons c’est que cela affectera les chaines de valeurs à l’échelle mondiale… J’invite tout le monde à ne pas tirer de conclusions hâtives… ! ».

La seule chose que nous savons, c’est que nous aurons un prix à payer, économique visiblement, mais aussi et surtout humain, ne l’oublions pas !

Xavier Guilhou,
Conseiller de la Fondation Française de l’Ordre de Malte
20 février 2020

Annexes 

  1. http://www.xavierguilhou.com/2005/11/04/grippe-aviaire-une-crise-de-pilotage/
  2. https://www.sciencesetavenir.fr/sante/le-nouveau-coronavirus-echappe-d-un-laboratoire-la-folle- rumeur-sur-le-web_141612
  3. https://www.lefigaro.fr/sciences/coronavirus-le-monde-au-bord-d-une-pandemie-20200213
  4. https://www.latribune.fr/bourse/coronavirus-l-oms-admet-une-erreur-les-bourses-mondiales- plongent-838127.html 5https://www.lepoint.fr/societe/coronavirus-a-aix-mistral-et-grande-peste-de-marseille-alimentent- les-peurs-04-02-2020-2361157_23.php
  5. Cf. cellule de crise – De Paris à Fukushima : les secrets d’une catastrophe http://www.xavierguilhou.com/2005/11/04/grippe-aviaire-une-crise-de-pilotage/
  6. http://www.xavierguilhou.com/2006/06/23/la-traversee-des-crises-non-conventionnelles-de-la- gestion-de-crise-au-pilotage-en-univers-chaotique-quelques-elements-de-reperage/
  7. http://www.xavierguilhou.com/2007/03/01/implementing-reflexion-forces/
  8. https://www.cnews.fr/monde/2020-02-20/coronavirus-une-carte-en-temps-reel-pour-suivre- levolution-de-lepidemie-920567
  9. Cf. la remarquable analyse d’Emmanuel Dubois de Prisque dans la revue Conflits du 29 janvier 2020 https://www.revueconflits.com/chine-coronavirus-sante-emmanuel-dubois-de- prisque/?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=revue_conflits_les_derniere s_mises_en_ligne&utm_term=2020-01-29
  10. Chiffres qui sont repris in extenso par tous les médias scientifiques et par les médias grands publics : https://www.huffingtonpost.fr/entry/coronavirus-le-profil-type-des-malades-en-chine-enfin-connu- grace-a-une-grande-etude_fr_5e4bf6b8c5b65f25da4f3bdf
  11. https://www.20minutes.fr/sante/2722259-20200219-coronavirus-faut-craindre-propagation- epidemie-afrique
  12. http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/EDF_Pandemie_Grippe_Toronto.pdf
  13. REX d’un médecin japonais, Kentaro Iwata, professeur des maladies infectieuses de l’université de Kobé, après sa visite à bord du Diamond Princess. Cf son témoignage : https://www.youtube.com/watch?time_continue=51&v=op3G0TmInTA&feature=emb_logo
  14. Cette pandémie aurait fait plus de 50 millions de morts https://fr.wikipedia.org/wiki/Grippe_de_1918 https://www.letemps.ch/opinions/y-cent-ans-grippe-espagnole-faisait-dizaines-millions-morts
  15. http://www.xavierguilhou.com/2006/07/01/katrina-quand-les-crises-ne-suivent-plus-le-script/
  16. https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/03/le-coronavirus-un-demon-et-des- milliards_6028184_3232.html
  17. https://www.bfmtv.com/economie/coronavirus-le-fmi-s-inquiete-des-effets-de-l-epidemie-sur-la- croissance-mondiale-1858960.html
  18. https://www.bfmtv.com/economie/coronavirus-le-fmi-s-inquiete-des-effets-de-l-epidemie-sur-la- croissance-mondiale-1858960.html

Source URL: https://diplomatie-humanitaire.org/coronavirus-entre-incertitudes-et-satisfecits/