« Pourquoi nous, coptes, n’avons pas les mêmes droits que les musulmans ? »

Une nouvelle loi censée faciliter la construction d’églises, attendue mais controversée, déçoit une large partie de la communauté chrétienne.

Il faut prendre la route de l’Agriculture, un serpent du désert qui fume entre les champs d’oignons, en direction du Sud et faire une embardée sur un petit terrain rocailleux, en bordure de route.

« S’il vous plaît, ne donnez pas le nom de cet endroit, ni sa localisation, rien. » 
Devant une large porte en fer, Mina, bonhomie et sourire communicatifs, nous attend, trousseau de clés en main. La lourde plaque de métal coulisse et laisse place à une scène insoupçonnable depuis la route. De grandes colonnes sculptées se dressent sous une large voûte blanche, de longs fils électriques auxquels pendent quelques ampoules, des bancs d’école de récup aux couleurs acidulées… et un chœur, avec son autel, son portrait de Jésus et ses cierges. « Les cadres, c’est temporaire. Bientôt, on fera venir quelqu’un pour peindre les icônes », précise Mina. Les fenêtres sont encore de simples percées sans vitraux, à l’étage, on peut voir le ciel au travers des trous circulaires. « On n’a pas encore de croix ou de dôme, mais, dès qu’on aura un permis, on les fera monter », assure-t-il. Cette église, pouvant accueillir jusqu’à 600 personnes, est encore secrète. De l’extérieur, elle ressemble à une banale maison en construction, comme il en existe des tas sur cette voie rapide de Moyenne-Égypte. Si la communauté copte des environs connaît son existence et s’y recueille déjà les jours de messe, officiellement, elle n’a pas d’existence.

« Discriminatoire »

Il y a quelques semaines, le Parlement égyptien a voté pour la première fois un texte sur la construction et la rénovation des églises. Adopté à la majorité des deux tiers, ce projet de loi gouvernemental, attendu depuis 160 ans par la minorité chrétienne (8 % de la population), est censé offrir une procédure administrative simplifiée pour la construction des églises et la reconnaissance des lieux de culte qui ne bénéficient pas d’une autorisation. « Je suis content », assure Mina qui s’apprête à prendre le prêche de l’église secrète. « Cela devrait nous permettre de nous enregistrer prochainement et de prier dans de bonnes conditions, dit-il avec enthousiasme. J’ai l’impression que les choses sont en train de changer dans le pays. »

Pourtant, cette nouvelle loi, encensée par le pape Tawadros II et les représentants religieux, est jugée discriminatoire par de nombreux membres de la communauté. « Je doute que cette loi facilite d’une quelconque manière la construction d’églises », tranche Timothy Kaldas, chercheur non résident au Tahrir Institute for Middle East Policy, qui a épluché le texte.

Particulièrement décrié, l’article 2 de la loi qui conditionne par exemple l’autorisation de bâtir, ainsi que la superficie d’un lieu de culte chrétien, au nombre de fidèles dans la localité concernée. « C’est problématique, poursuit Timothy Kaldas. Premièrement, il n’y a pas d’exigence comparable pour les lieux de culte musulman. Ensuite, parce que la loi ne définit pas la règle de proportionnalité. Enfin, ces églises et leurs conditions de construction sont laissées à la décision subjective des gouverneurs, qui sont susceptibles de prendre des décisions en fonction de leurs préjugés personnels. »

La construction d’églises est, depuis des décennies, la principale raison des violences sectaires, particulièrement en Moyenne et Haute-Égypte, où extrémistes musulmans s’opposent fortement à ce qu’ils considèrent comme une atteinte aux valeurs d’un pays islamique. À ce titre, les autorités locales refusent quasi systématiquement de donner des permis de construire, craignant les protestations des ultraconservateurs musulmans. En l’absence de lieux de prière, de nombreux chrétiens se sont tournés vers des bâtis illégaux, provoquant de graves incidents entre communautés musulmane et chrétienne, lorsque ceux-ci sont découverts. Une réalité dont les gouverneurs ont conscience et qu’ils peuvent évoquer pour motiver leur refus : le texte de loi précise d’ailleurs que la délivrance d’un permis ne doit pas provoquer de « troubles à l’ordre public ». « La manière très restrictive dont est encadrée la construction d’églises est justifiée par la menace des violences sectaires. La loi laisse cette excuse en place et permet aux gouverneurs de se référer à l’histoire de ces violences pour rejeter les demandes », précise Timothy Kaldas. « Il est donc raisonnable de craindre que la loi sera appliquée de manière incohérente et arbitraire sur la base des préférences des gouverneurs », note le spécialiste.

Citoyens de seconde zone

Autre point de mécontentement pour les militants coptes : l’idée même d’imposer une loi spécifique aux lieux de culte chrétiens, perçue comme une nouvelle forme de discrimination.
Kirolos, très impliqué dans les activités du diocèse de Beni Suef, estime « ne pas être considéré comme l’égal d’un musulman ». « Pourquoi nous n’avons pas les mêmes droits que les musulmans ? Pourquoi faut-il nous faire des règles, seulement valables pour nous ? On devrait être sur un pied d’égalité : mosquées, églises, temples, synagogues, on devrait avoir les mêmes droits et les mêmes restrictions », affirme l’homme en frottant sur ses genoux ses mains pleines de bagues dorées.

L’Église copte, représentant la plus importante communauté chrétienne d’Égypte, n’avait d’ailleurs pas manqué, au début des négociations, de fustiger des amendements qu’elle jugeait « inacceptables », remettant en cause la « citoyenneté des chrétiens ». À l’issue d’un synode nocturne exceptionnel, elle a pourtant donné son approbation, sans obtenir les modifications attendues. Ces discussions opaques, tenues à huis clos, ont fini de mettre en colère une partie de la communauté chrétienne qui s’estime flouée. « On ne sait rien de cette loi, les chrétiens n’ont pas été consultés, et, jusqu’à aujourd’hui, on ne sait même pas de quoi il s’agit », s’agace Sami, habitant de Beni Suef. « Vous savez, vous, ce que ça change ? » lance le vieil homme à ceux qui l’entourent. « Non », fait-on de la tête en silence.

Face à la colère de ses fidèles, le conseiller de l’évêque de Beni Suef, le F. Francis F. A. Ghabryal, tente de mettre en avant tous les aspects positifs de la loi, parcourant scrupuleusement le texte posé sur son bureau. « Il faut remercier le pape Tawadros, le président Sissi et les autorités. Cette loi redonne son statut de citoyen au chrétien, récite-t-il. Nous avions des désaccords importants, mais nous avons pu les exposer. » L’homme en longue robe noire se félicite de toutes les avancées que permet supposément cette loi : accélération des procédures, reconnaissance des églises illégales, au nombre de 2 000 dans tout le pays, suppression des décrets présidentiels, longs et laborieux. Difficile de lui faire admettre qu’en l’état, cette nouvelle loi suscite plus de déception que d’enthousiasme. « On fait ce qu’on peut, avoue-t-il au terme d’un échange houleux. Je ne vais pas vous dire que cette loi est parfaite, loin de là, ce qu’on espère c’est pouvoir la modifier à l’avenir. »

Par crainte d’une remise en cause du texte dans son intégralité, perçu malgré tout comme un progrès, l’Église copte-orthodoxe a choisi de courber l’échine face aux pressions du régime du président Abdel Fattah el-Sissi. « Cette loi a été faite simplement pour calmer l’opinion publique », assure Kirolos. « Enfin… c’est mieux que rien », conclut-il.

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