C’est dans ce contexte que l’Organisation des Nations unies a convoqué le premier sommet humanitaire mondial le 23 mai.
Christos Stylianides,
commissaire européen chargé de ce dossier
intervient sur le plateau de Global Conversation.
Efi Koutsokosta, euronews : Quel est donc l’enjeu de ce sommet ? Il y a tellement d’urgences…
Christos Stylianides/ Commissaire européen à l’aide humanitaire et à la gestion des crises :
Le processus de ce sommet en lui-même est important parce que toutes les parties prenantes seront présentes. Les Etats, les ONG, tous ceux qui travaillent en première ligne.
Un très bon travail préparatoire a déjà été effectué et nous devons maintenant parvenir à un résultat avec un message fort pour que la communauté humanitaire puisse relever d’immenses défis, malheureusement les pires en termes de besoins depuis la Seconde Guerre mondiale.
E. K. : Etes-vous en train de nous dire que ce sommet sera symbolique ? Je vous pose cette question parce que bien que ce sommet soit plutôt une bonne nouvelle, Médecins sans frontières a déjà fait savoir qu’il n’y participerait pas au motif que ce sommet serait celui des bonnes intentions sans grand espoir de changement…
C.S. : On pourrait placer la barre plus haut, c’est vrai. Au nom de la Commission européenne et en tant que commissaire, je souhaiterais une déclaration politique concrète, une déclaration légalement contraignante. Mais je pense qu’il y a toujours de l’espoir d’avoir un engagement politique sur ces sujets importants.
Je crois très fort par exemple que nous aurons des engagements concernant les lois humanitaires internationales, et notamment concernant la protection des travailleurs humanitaires sur le terrain et c’est lié à Médecins sans frontières.
Nous savons tous dans quelles conditions terribles les médecins et leur staff ont été pris pour cible dans les hôpitaux (en Syrie) et qu’il y a eu des blessés. Ce sera le 2e grand sujet lié à l’aide humanitaire.
E. K. : Revenons à la crise migratoire en Europe : pour vous, l’aide humanitaire se résume-t-elle à donner des milliards d’euros à des pays tels que le Liban, la Jordanie et spécialement la Turquie pour qu’ils s’engagent à accueillir des millions de réfugiés afin de les tenir éloignés de l’Europe ?
C. S. : L’aide financière et la coopération avec la Turquie sont très importantes. La Turquie reste l’acteur principal dans la gestion de la crise des réfugiés. Mais ce n’est pas une question d‘échange.
La question est de savoir comment aider ce pays à gérer cette crise alors qu’il fait face à d‘énormes besoins. C’est la même chose pour le Liban et la Jordanie où je me suis rendu à plusieurs reprises.
La question n’est pas de savoir ce que l’Europe doit faire mais ce que peut faire la communauté internationale. Car j’insiste la dessus : ce n’est pas une crise régionale, Ce n’est pas une crise européenne, c’est une crise mondiale à laquelle nous devons trouver une solution mondiale.
E. K. : Récemment Human Rights Watch a déclaré que des patrouilles turques avaient tiré sur des réfugiés (incluant des femmes et des enfants) à la frontière entre la Syrie et la Turquie…
C. S. :Toutes ces dénonciations sont prises en compte et nous en discutons avec tous les Etats qui sont visés. Mais, aussi inquiets que nous soyons, je voudrais rappeler clairement que l’aide humanitaire n’est pas donnée aux gouvernements mais aux organisations humanitaires. Et pour éviter tout malentendu, il s’agit d’agences de l’ONU, de grandes ONG qui doivent respecter des critères avant de recevoir de l’argent.
E. K. : Abordons maintenant une crise moins connue du public, je veux parler de la situation au Yemen. L‘émissaire spécial de l’ONU pour l’aide humanitaire a déclaré que 14 millions de personnes manquaient de nourriture et que parmi elles 7 millions étaient en danger concernant leur sécurité. Avez-vous été sur place? Y avez-vous accès ?
C. S. : Vous avez absolument raison. La crise au Yémen est l’une des crises les plus sévères au monde et malheureusement cette crise n’est pas dans les radars des médias internationaux.
Nous rencontrons d’immenses difficultés. Nous avons dû discuter avec les deux camps qui s’opposent. Nous avons débloqué d’importants moyens humanitaires mais malheureusement il n’y a pas d’organisation humanitaire sur place en raison de la situation dramatique qui règne là-bas. Cela dit, il y a eu récemment des signaux positifs avec l’instauration d’une trêve et nous espérons qu’elle va se poursuivre : l’accès aux populations s’est amélioré et j’espère que cette trêve va devenir permanente afin que nous puissions répondre à cette crise humanitaire. Et je lance un appel aux médias internationaux : ne laissez pas tomber pas la crise au Yémen, j’en ai déjà fait l’expérience.
E. K. : Dernière question : vous avez visité de nombreuses régions en crise. Avez-vous été plus particulièrement touché par une région ou une situation pour laquelle il faudrait en faire plus ?
C. S. : Tout à fait. D’ailleurs on me dit souvent que je suis obsédé par l‘éducation et les urgences.
Lorsque je me suis rendu près du camp de réfugiés de Al Zatari en Jordanie, j’ai rencontré une famille syrienne avec une mère et ses six enfants qui vivait dans des conditions très difficiles. Juste avant de repartir, la mère est venue vers mon interprète qui m’a dit ceci : “merci pour tout, nous avons un endroit pour vivre et de la nourriture grâce à vous mais ce que je veux pour mes enfants c’est de la dignité afin de préparer leur futur et qu’ils aient une bonne éducation”.
Cette femme a complètement raison.
Il est impensable, surtout en ce moment, de ne pas envisager l‘éducation comme faisant partie de l’aide humanitaire. L‘éducation permet de lutter et d‘éloigner tous les enfants du monde de l’extrémisme.
C’est vraiment un gâchis de voir tous ces jeunes qui ne vont pas à l‘école. C’est pour cela que j’insiste pour qu’on intègre l‘éducation dans l’aide humanitaire.
*E. K. : Voilà un beau message pour conclure cet entretien. M. le commissaire, merci beaucoup. *
C. S. : Merci
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Christos Stylianides est commissaire européen depuis 2014 pour l’action humanitaire et la gestion des crises . Il a été chirurgien-dentiste avant d’entamer une carrière politique à Chypre, son pays natal. Il a participé aux négociations d’adhésion à l’Union européenne et aux discussions pour la réunification de Chypre en 1998. Il a soutenu le plan négocié par les Nations unies (plan Annan) pour mettre fin à la division de l‘île, un plan finalement rejeté par référendum par les Chypriotes grecs.
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