Caroline Galactéros : « Le contre monde est en marche »

Article paru sur le site Geopragma  le 25/03/2019 par Caroline Galactéros, Présidente de Geopragma

Le Président Xi est en visite en France. Dans la course à l’échalote pour savoir quel pays européen tirera le mieux son épingle du jeu chinois de dévoration programmée de l’Eurasie, avec l’Europe en cible ultime, l’Italie nous a grillé la politesse. La fracturation politique et de plus en plus idéologique de l’Union européenne, sur laquelle appuient avec délectation Américains, Russes et Chinois pour choisir les points d’ancrage les plus avantageux à leur influence est désormais avérée même si Paris et Berlin font encore entendre l’incantation inquiète d’un rassemblement salutaire face à Pékin pour prévenir le dépeçage « par appartements ».

Cinq ans après le lancement du projet OBOR (One Belt One Road) dit aussi BRI (Belt and Road Initiative) la Chine a d’ores et déjà signé des accords de coopération avec plus de 100 pays et organisations internationales, ce qui équivaut à un volume d’échanges qui dépasse 5000 milliards de dollars entre Pékin et les 65 pays du long de la Route. Fin avril, le président chinois, Xi Jinping participera à la cérémonie d’ouverture du deuxième Forum de « la Ceinture et la Route » pour la coopération internationale. Les chefs d’État et de gouvernement du monde entier s’y presseront. Il leur faut en être après avoir, pour certains, trop longtemps traité le projet chinois avec incrédulité voire mépris, essayant de traquer ses faiblesses, ses manquements, ses incertitudes. Il est vrai que l’on a toujours en Europe, malgré les signaux d’alarme qui se multiplient, du mal à se projeter à long terme dans une vision stratégique…

Le projet « OBOR » pharaonique dans ses dimensions et innovant dans ses propositions faites aux pays qui longent cette route-ceinture, est à la mesure de l’ambition chinoise de prendre toute sa place sur la carte du nouveau monde. Il ne s’agit pas là d’une projection de puissance agressive mais d’un maillage économique étroit et à terme financier et normatif sans égal, qui vise non seulement l’Europe via l’Eurasie, mais aussi l’Afrique et l’Asie elle-même. En cela OBOR est d’ampleur stratégique et sert un imperium chinois déroutant pour les esprits manichéens qui peuplent les administrations occidentales et animent leurs élites. La France, qui favorise une approche multilatérale de la gouvernance du monde, y est favorable et souhaite y occuper une place privilégiée. L’appui au multilatéralisme ne signifie évidemment pas l’absence de relations bilatérales renforcées que nous appelons de nos vœux avec Pékin. Si l’Europe est pour l’heure provisoirement affaiblie par divers défauts propres et facteurs extérieurs, Pékin devrait toutefois chercher à nous aider en tant ensemble plutôt que d’appuyer à court terme sur nos différends. Le déficit européen commercial vis-à-vis de Pékin est colossal (plus de 160 milliards d’euros en 2016), ce qui refroidit nécessairement les ardeurs de l’Union envers OBOR. Il est donc important, « en même temps » que le renforcement de relations bilatérales, de promouvoir des synergies collectives à l’échelle de l’UE. Le respect, la réciprocité le dialogue équilibré sont des objectifs partagés par Paris et Pékin. De même, pour cette dernière, s’attacher à comprendre et respecter les aspirations européennes serait poser les premiers jalons d’une relation qui pourrait se révéler fructueuse à l’avenir, notamment pour peser plus face aux Etats-Unis qui jouent la division du Vieux Continent de manière désormais ouverte, notamment via ses membres d’ex Europe de l’est. Comme le rappelle Jean-François di Meglio, président d’Asia Center, « le sens des Routes de la soie s’est inversé ». Il se fait désormais à l’initiative de Pékin, et non plus à celle de l’Occident.

Depuis mars 2014, il existe un plan de coopération à moyen et long terme des relations franco-chinoises et le 6 juillet 2015 a été adoptée une Déclaration conjointe sur les partenariats franco-chinois en marchés tiers. Cette expression de « coopération de marché tiers » signifie que « la France et la Chine engageront des partenariats fondés sur leurs complémentarités productives, techniques et/ou financières. » et promouvront des partenariats industriels respectueux de l’environnement entre les entreprises chinoises et françaises sur les marchés tiers. Les domaines de coopération envisagés regroupent les infrastructures, l’énergie, les aéronefs civils, les transports, les domaine agricole et sanitaire, la lutte contre les changements climatiques. La France et la Chine souhaitent explorer la possibilité de mettre prioritairement ces coopérations en place dans les pays en développement, en matière d’énergies renouvelables, mais aussi dans les secteurs de la finance et de l’assurance. Les cibles géographiques de ces partenariats sont l’Asie et l’Afrique.

Les puissances européennes doivent rester vigilantes et bien mesurer le risque de dépècement de notre ensemble continental et même de l’Eurasie entière dans la « double mâchoire » sino-américaine que promet le nouveau duopole stratégique de tête Washington-Pékin. On ne peut toutefois nier la force d’attraction qu’OBOR représente pour les pays que traverse son maillage. Ils sont nombreux à être toujours en phase de croissance et verront ainsi se développer leurs infrastructures et leurs productions propres, en même temps qu’ils constitueront d’importants débouchés pour les productions chinoises.

Le projet chinois peut, plus globalement encore, jouer un rôle éminent et souhaitable pour la croissance mondiale : un rôle d’équilibre, un rôle de contrepoids face à la puissance américaine. Un rôle essentiel. Il est clair que face aux Etats-Unis, qui contrôlent Suez, Panama et Malacca, la Chine cherche avec ce pharaonique projet de construction ferroviaire, à opposer une voie stratégique alternative à cette domination maritime.

Politiquement, la Chine cherche à promouvoir le multilatéralisme face à une Amérique qui le déchire méthodiquement à belles dents depuis 30 ans. Elle diffuse des valeurs attractives : l’appel à la « construction d’une communauté d’avenir partagé pour l’humanité » la promotion de l’égalité, de l’avantage mutuel, ainsi que la coopération gagnant-gagnant. Surtout, OBOR se présente comme une route d’échanges entre les civilisations alors que cela planète n’a jamais été aussi crispée.

Le marché chinois est évidemment crucial pour un pays comme le notre mais il est vrai que la Chine doit donner des gages concrets pour combattre le flot des critiques (qui ne sont pas toutes infondées) sur ses pratiques déloyales. Sa récente loi sur les investissements des capitaux étrangers doit permettre la protection des droits de propriété intellectuelle, l’interdiction du recours à des moyens administratifs pour forcer les firmes étrangères à transférer des technologies, et la fin des interférences gouvernementales qui alimentent la méfiance des investisseurs étrangers. Certains domaines semblent toutefois encore exclus de son domaine d’application (mines, agriculture et industrie manufacturière).

Depuis 1978, c’est plus qu’une révolution qu’a réussi la Chine. C’est la marque d’un très grand pragmatisme, d’une capacité hors du commun à gérer les masses et à anticiper les évolutions du monde. La Chine est sortie de sa gangue puis de sa chrysalide et c’est aujourd’hui un fascinant papillon qui déploie ses ailes. L’enjeu pour elle désormais, est de parvenir à maintenir un contrôle social suffisant et un esprit collectif fort, tout en permettant un développement économique croissant pour sa population et une libéralisation politique et sociale qui ne détruise pas pour autant le cœur de la « sinitude » et la force collective chinoise.

Seules les relations équilibrées permettent une coexistence harmonieuse. Les autres survivent un temps, puis se tendent et se rompent généralement dans la violence et le mépris. Je crois à des relations internationales pacifiées par le pragmatisme, le dialogue et le souci de l’équilibre et de l’équité. De ce point de vue, l’idée d’un mode de relation « gagnant-gagnant » (qui ne signifie d’ailleurs pas 50/50) mais un équilibre où chacun considère qu’il a gagné suffisamment et perdu ce qu’il pouvait perdre, est la voie de l’amélioration des coopérations internationales. La moralisation et l’idéologie ne produisent que des désastres humains et de l’insécurité collective.

Tandis que le littéralisme et le dogmatisme font tant de ravages dans la compréhension et la gestion de la conflictualité mondiale, il est difficile de ne pas se réjouir d’une ambition visant à développer, selon les propres mots du président chinois, un « nouveau modèle de relations mettant en valeur, la coopération plutôt que la confrontation, le respect plutôt que la rivalité et le gagnant-gagnant plutôt que l’avidité ».


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