Interview donné au Figaro
Le cardinal Jean-Louis Tauran préside, au Saint-Siège, le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Il est donc particulièrement en charge des relations avec l’islam sur le plan mondial. Après avoir été le brillant ministre des Affaires étrangères de Jean-Paul II, ce Français a été nommé à ce poste délicat par Benoît XVI, puis confirmé par François. Il vient de publier sur ce sujet aux Éditions Bayard Je crois en l’homme. Les religions font partie de la solution, pas du problème.
LE FIGARO. – L’Église catholique est-elle en train de vivre avec le pape François un rapprochement sans précédent avec l’islam?
Jean-Louis TAURAN. – Ce n’est pas sans précédent. Les papes, les Églises locales, le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux ont toujours promu des rapports positifs et constructifs avec l’islam. Avec son expérience pastorale, le pape François apporte évidemment à ce dialogue une contribution particulière renforcée par la chaleur humaine qui le distingue. Son attention concrète à tous ceux qui sont dans le besoin l’a beaucoup rapproché de tant de personnes et de groupes où des musulmans sont présents! Ses prises de position, ses appels constants en faveur des réfugiés – dont un grand nombre sont musulmans – lui ont aussi valu respect et affection de la part de beaucoup de membres de cette communauté. Tout ceci a contribué, sans nul doute, à voir s’estomper des incompréhensions de part et d’autre. Enfin, n’oublions pas que le pape Benoît XVI a produit 181 interventions sur l’islam! Discours, visites, réceptions, il est le pape qui a le plus parlé de l’islam… Il y a donc une constance.
Sous le pontificat de Benoît XVI, l’Église demandait une réciprocité à l’islam: respect mutuel et construction d’églises là où elles sont interdites. Il semble que le pape François préfère tendre la main mais sans contrepartie…
Chacun a sa vision de la réalité et ses objectifs. En simplifiant, le pontificat de Benoît XVI a eu comme priorité la question de la vérité. Le pape François semble préférer la voie du cœur pour parvenir à la même fin. Son attention toute particulière pour les chrétiens du Moyen-Orient en est une illustration éloquente.
«Nous demandons aux chefs religieux musulmans de ne pas avoir peur de dénoncer ces indicibles actions menées, au nom d’une religion, contre des personnes, qu’elles soient chrétiennes ou musulmanes»
Le pape François applique une double vision à la question de l’islam en Europe: sur l’islam, il se réfère à son expérience argentine ; sur l’immigration, à la réalité de l’immigration latino-américaine vers l’Amérique du Nord. Peut-on comparer des contextes culturels totalement différents? Est-il bien informé sur l’islam en Europe?
Le Pape est bien informé par les nonciatures et par notre conseil chargé du dialogue interreligieux, où nous recevons beaucoup de visites. Il reçoit, lui aussi, de nombreuses délégations. Il faut bien saisir que l’homme dans le besoin ou la détresse est au centre de la vision du pape François. Toutes les personnes qui souffrent – comme les réfugiés ou les immigrés – constituent l’une de ses préoccupations majeures. Et nombreux sont les musulmans qui vivent ces tensions. Quand le Pape s’exprime sur ces sujets, il rappelle des principes et des valeurs que nous ne pouvons pas mettre de côté dans la gestion de la crise qui affecte le monde aujourd’hui.
Tout le monde admet cet enjeu, ne pas jeter de l’huile sur le feu après les attentats et après les séries de meurtres ciblés de Daech contre des chrétiens. Mais l’Église catholique doit-elle, pour autant, faire profil bas face à l’islam? Elle donne parfois l’impression d’avoir peur de l’islam.
Nous avons toujours exigé une position sans ambiguïté au sujet de la violence commise au nom de l’islam contre notre religion. Et nous demandons aux chefs religieux musulmans de ne pas avoir peur de dénoncer ces indicibles actions menées, au nom d’une religion, contre des personnes, qu’elles soient chrétiennes ou musulmanes. L’extrémisme violent qui cherche sa justification dans la religion musulmane considère d’ailleurs comme ses ennemis ceux qui ne partagent pas leur politique de «nettoyage religieux» fondée sur des sources islamiques. Ennemis qui sont à l’intérieur de la religion musulmane comme à l’extérieur. On ne peut donc pas parler de guerre de religions, mais la religion fait partie de la solution! Évacuer la religion conduit à ne rien comprendre au monde d’aujourd’hui. Quant aux relations entre l’Église catholique et l’Islam, nous n’avons pas d’autres choix: ou c’est le dialogue, ou c’est la guerre… Nous sommes donc condamnés au dialogue, et c’est une bonne nouvelle!
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