Le calvaire des chrétiens du Pakistan

L’attentat perpétré à Lahore a tué 72 personnes. Revendiquée par une faction dissidente des talibans, l’attaque visait la communauté chrétienne, persécutée dans ce pays musulman.

Le dimanche de Pâques, le parc de Gulshan-e-Iqbal est bondé. Il y a des chrétiens et des musulmans. Le kamikaze avance jusqu’à une aire de jeux. Il se fait exploser devant les balançoires. «Nous étions allés au parc pour profiter de ce jour de Pâques. Tout d’un coup, il y a eu une énorme explosion, j’ai vu une énorme boule de feu, et quatre à six personnes de ma famille ont été blessées, dont deux grièvement», a raconté à l’Agence France-Presse, Arif Gill, un homme de 53 ans.

Les secouristes ont découvert des billes de plomb, projetées lors de l’explosion pour augmenter le nombre de victimes. Parmi les 72 morts, figurent 29 enfants et 6 femmes. L’attentat a fait plus de 200 blessés. Des dizaines d’entre eux ont dû être soignés à même le sol et dans les couloirs d’hôpitaux débordés. D’après un responsable de la police de Lahore, la majorité des victimes est musulmane. Une faction dissidente du Mouvement des talibans pakistanais (TPP), le Jamaat ul-Ahrar, a revendiqué l’attentat et affirmé que les chrétiens étaient sa cible.

Pourquoi les chrétiens ont-ils été visés par les terroristes ?

Minorité qui représente entre 2 % et 3 % des 190 millions de Pakistanais, les chrétiens sont une cible facile et vulnérable pour les terroristes. Ils sont issus des anciens «intouchables», discriminés socialement depuis des générations et cantonnés à des métiers mal payés (éboueurs, femmes de ménage, chauffeurs, etc.). Malgré les nombreux attentats ou actes de violence récurrents ces dernières années contre les minorités, notamment chiite, l’Etat pakistanais n’a eu ni la volonté politique ni les moyens de les protéger, empêtré dans d’importants problèmes énergétiques, économiques et de lutte contre le terrorisme des talibans.

Les chrétiens sont-ils aussi victimes du pouvoir pakistanais ?

Pas directement. Ces dernières années, nombre de chrétiens – et en majorité dans la province du Pendjab, où a eu lieu l’attentat – ont été la cible de fausses accusations de blasphème. Dans cette république islamique régulièrement secouée par la radicalisation et l’intolérance, la loi sur le blasphème, défendue par les islamistes, est un sujet grave. Elle prévoit la prison à vie pour profanation du Coran et la peine capitale en cas d’insulte envers Mahomet. Mais elle est souvent manipulée pour régler des disputes privées ou afin de viser libéraux et minorités, et faussement mettre en cause des innocents. La plupart des accusés sont musulmans, qui peuvent s’en sortir grâce à des appuis ou de bons avocats.

Mais les accusés chrétiens, pauvres et sans soutien, se retrouvent implacablement broyés dans un engrenage judiciaire injuste : ils sont jetés en prison en attendant un procès hypothétique ou condamnés à mort, comme la jeune villageoise Asia Bibi, croupissant en prison sans espoir de révision de procès. Le cas de la jeune femme et plusieurs autres du même type sont régulièrement pointés du doigt par les pays occidentaux qui dénoncent ces persécutions.

Pourquoi les attaquer maintenant ?

Dans un Pakistan où les attentats sont fréquents, la période est encore plus propice aux actions extrémistes depuis début mars et l’exécution de Mumtaz Qadri par les autorités. Qadri est l’assassin de l’ex-gouverneur du Pendjab, Salman Taseer, figure politique libérale du pays qui avait proposé d’amender la loi sur le blasphème. Après cet assassinat perpétré en plein cœur d’Islamabad, Mumtaz Qadri avait été érigé en héros des franges les plus conservatrices de cette société, qui lutte avec peine contre la radicalisation et l’intolérance religieuse. Samedi, pas moins de 25 000 personnes avaient manifesté à Rawalpindi, ville jumelle d’Islamabad, en soutien à Qadri. Ils réclamaient qu’il soit élevé au rang de martyr et exigeaient en représailles l’exécution d’Asia Bibi. Entamé dimanche, un autre rassemblement de plusieurs milliers de personnes en soutien à Qadri se poursuivait lundi dans l’avenue qui longe le Parlement à Islamabad.

L’attentat de dimanche pourrait également être une réponse à l’opération spectaculaire des forces de sécurité, de juillet 2015, contre le chef du Lashkar-e-Jhangvi (LeJ), un groupe extrémiste sunnite qui vise particulièrement les chiites. Son chef, Malik Ishaq, ses deux fils et d’autres responsables avaient été tués. Malik Ishaq était soupçonné d’avoir été désigné par l’Etat islamique (EI) pour être son représentant au Pakistan. Conscientes de l’extrême danger représenté par l’EI, les autorités pakistanaises font tout pour empêcher son implantation dans le pays.

Où en sont les négociations avec les mouvements islamistes ?

Nulle part. Elles sont inexistantes et il n’y a aucune raison qu’elles reprennent bientôt. Il y a bien eu des tentatives de discussion en 2013 entre le gouvernement d’Islamabad et le Mouvement des talibans pakistanais, mais elles ont rapidement avorté. La puissante armée pakistanaise, qui avait laissé la main sur le sujet aux autorités civiles, est revenue sur le devant de la scène en 2014 en affirmant qu’il n’y aurait plus de «bons ou mauvais talibans», en leur laissant le choix entre la soumission ou la mort. Elle a lancé une opération contre les bases et camps du TTP dans les zones tribales pakistanaises, situées à la frontière avec l’Afghanistan, mais pas contre les zones refuges connues du TTP dans le sud du Pendjab. La «tolérance zéro» de l’armée a encore été renforcée depuis l’attaque contre une école gérée par l’armée à Peshawar le 16 décembre 2014, un carnage qui a coûté la vie à plus de 130 enfants et adolescents, et a traumatisé le pays.

Le TTP a donc éclaté en factions dissidentes, dont certaines ont accepté de se ranger. Mais les plus radicales, comme Jamaat ul-Ahrar, responsable de l’attentat de dimanche à Lahore, ont refusé tout accord et se sont réfugiées à l’étranger, notamment en Afghanistan. Elles sont susceptibles de mener des attaques spectaculaires pour attirer soutiens et financements, en particulier de la part de l’EI.

Article (Luc Mathieu , Lucie Peytermann Correspondante au Pakistan)
paru dans Libération.

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