Lorsque nous l’avions interviewé, (la rédaction du journal Le Temps) alors qu’il n’était «que» directeur du Haut-commissariat aux réfugiés (HCR), Antonio Guterres citait Jean Monnet, l’un des pères de la construction européenne. «Je ne suis ni optimiste, ni pessimiste mais déterminé.» Il faudra beaucoup de détermination au successeur de Ban Ki-moon à la tête de l’ONU pour relever les énormes défis auxquels font face les Nations unies.
Depuis sa nomination, on a rarement vu un tel concert de louanges. Si le Portugais récolte autant de lauriers, c’est qu’il est l’opposé de Ban Ki-moon. Un tribun au verbe clair et fort alors que le Sud-coréen est un diplomate effacé. Mais l’état de grâce risque d’être de courte durée. Comment ne pas décevoir alors que le poste de secrétaire général est le boulot le plus difficile du monde?
De la détermination, ce féru d’Histoire âgé de 67 ans, qui connaît la plupart des dirigeants de la planète, n’en manque pas. A la tête du HCR de 2005 à 2015, «il ne s’arrêtait jamais, même après deux trois ou heures de sommeil, sauf pour appeler chaque jour sa mère au Portugal», raconte Melissa Fleming, porte-parole du HCR qui l’accompagnait sur le terrain.
Manager redoutable
Fervent catholique, Antonio Guterres avait instauré des visites pendant le Ramadan dans les pays musulmans, sa manière de rendre hommage à ces pays qui hébergent, entre autres, des millions de réfugiés syriens. «Il se faisait un point d’honneur à respecter le jeûne. Un jour, au Kurdistan, nos hôtes nous avaient proposé du café ou des jus de fruits mais il était le seul à refuser», se souvient Melissa Fleming.
Au HCR, le Portugais, sous une bonhomie chaleureuse, a été aussi un manager redoutable. Constamment un oeil sur le budget et les taux de change des monnaies des principaux Etats donateurs. Quand il est désigné en 2005 par l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, le monde comptait 38 millions de personnes déplacées par les conflits et les catastrophes. Dix ans plus tard, ce nombre a presque doublé. Autant d’abris à trouver, de bouches à nourrir et d’enfants à scolariser. C’est «effroyable», dira-t-il.
Durant ses deux mandats, le budget du HCR a quadruplé, atteignant 4 milliards de dollars. Dans le même temps, le Portugais a réduit les effectifs du siège genevois d’un tiers, renforçant les missions sur le terrain mais aussi en délocalisant des emplois à Budapest ou Copenhague. «Même si nos doléances n’étaient finalement pas satisfaites, nous avions l’impression d’être entendus», souligne-t-on au siège du HCR.
«Il préparait déjà la suite»
«A la fin de son premier mandat, on sentait bien que ce fin politicien, qui avait accès à tous les décideurs, préparait déjà la suite», raconte un employé. Est-ce la raison pour laquelle le HCR a été pris de court par la crise des réfugiés? En 2015, des centaines de milliers de personnes, des Syriens mais aussi des Irakiens ou des Afghans, se décident à gagner l’Europe par les Balkans. Le patron du HCR plaide en vain pour que les dirigeants européens se partagent mieux le fardeau plutôt qu’il repose sur une poignée de pays. «Il était très frustré, témoigne Melissa Fleming, mais il leur a fait comprendre qu’il fallait davantage aider les réfugiés dans les premiers pays d’accueil.»
Une fois installé dans le Palais de verre, à New York, Antonio Guterres devra s’attaquer au mal à la racine. Tenter de mettre fin aux conflits qui purulent sur la planète, la raison d’être de l’ONU. De la Syrie au Soudan du Sud en passant par le Yémen et l’Afghanistan, la liste ne se résorbe pas. Mais, dans cette tâche de Sisyphe, le boulot le plus difficile du monde, le secrétaire général est otage de la bonne volonté des grandes puissances. «Il va récupérer les rênes de l’organisation, alors que le Conseil de sécurité n’a jamais été aussi divisé», estime Philippe Bolopion, directeur adjoint du plaidoyer pour Human Rights Watch.
«Un moment historique»
Dans un rare moment d’unanimité, les grandes puissances se sont finalement rangées derrière le candidat portugais. «C’est un moment historique», a noté l’ambassadeur russe Vitaly Churkin, dont le pays était jusqu’au dernier moment très réticent à l’égard du Portugais. Une surprise. Car, de l’aveu général, c’est objectivement le meilleur qui a remporté cette course beaucoup plus transparente que d’ordinaire. Or les nominations du secrétaire général s’étaient toujours caractérisées par la politique du plus petit dénominateur commun entre les grandes puissances et les manoeuvres de dernière minute.
Pour la première fois, les candidats avaient participé à des auditions publiques, répondant aux questions de la société civile. Fondatrice de la campagne «Un pour sept milliards», qui a poussé dans ce sens, Natalie Samarasinghe se félicite que le choix du mérite l’ait emporté sur les considérations géographiques et de genre. Selon un système de rotation informel, le poste aurait dû revenir à l’Europe de l’Est et, si possible, à une femme, ce qui aurait été une première. «Guterres n’était pas le favori mais il s’est distingué par son expérience et son charisme», plaide Natalie Samarasinghe. Le coup de projecteur sur la campagne a certainement joué. Mais, l’unanimité autour du Portugais, cache sans doute des arrangements moins avouables à damner l’âme la plus affirmée.
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