Syrie : Russes et Américains continuent de collaborer

Des réunions secrètes se tiennent en marge des pourparlers officiels de Genève. Ce qui se passe au Palais des Nations n’est qu’une partie du processus pour tenter de sortir du bourbier en Syrie.

Une nouvelle fois, cette question, dont dépend peut-être la vie de dizaines de milliers de personnes: alors que les négociations de Genève crachotent sévèrement, le cessez-le-feu en Syrie sera-t-il emporté par le manque de progrès politiques? La ville d’Alep a connu vendredi une de ses pires journées depuis des mois.

A Genève, l’émissaire de l’ONU Staffan de Mistura affirmait: «Nous sommes en grand danger si nous n’agissons pas très rapidement.» Même le président Barack Obama, à Londres, s’est dit «très inquiet» d’un effondrement pur et simple de la trêve, plus ou moins en vigueur depuis le 27 février. Derrière les rideaux, cependant, la situation pourrait être un peu plus nuancée, selon des informations recueillies par le journal Le Temps.

En toute discrétion, et dans le dos de la «task force» internationale qui est censée en discuter à Genève, diplomates russes et américains se sont ainsi réunis une fois de plus vendredi soir afin de trouver le moyen de calmer la situation. Dès l’origine, en réalité, les deux grandes puissances ont pris en mains le processus, n’en laissant transparaître au Palais des Nations qu’une petite partie. «Nos opinions restent différentes, mais nous sommes en contact très étroit», souligne une source diplomatique.

C’est dans un pays arabe voisin de la Syrie, loin des médias concentrés à Genève, que se tenait cette réunion. Il y a du travail pour les diplomates. Tandis qu’à Alep au moins 25 civils auraient été tués vendredi par l’aviation syrienne, les Russes eux-mêmes, selon des informations confirmées par les Américains, ont acheminé dans la région de l’armement lourd qui fait penser à une initiative conjointe entre Moscou et les forces loyales au président syrien Bachar el-Assad.

«Jamais nous n’entreprendrons une telle opération. Nous avons trop investi en Syrie pour risquer ainsi de perdre notre capital», assure un diplomate russe. Mais avec cette précision, qui change radicalement la donne: «Tout comme les Américains, nous avons le mandat de continuer à combattre l’organisation de l’État islamique (Daech) ainsi que les terroristes d’Al Qaïda». Une référence aux deux groupes qui ne sont pas concernés par le cessez-le-feu.

Ce qui inquiète: la branche syrienne d’Al Qaïda

Or, selon les Russes, ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est bien l’avancée sur le terrain du Front Al Nusra, la branche syrienne d’Al Qaïda qui se serait déjà emparée de plusieurs villages proches d’Alep. Une manière de jouer sur les mots et de se donner les mains libres, alors que les combattants d’Al Qaida sont entremêlés à ceux de quantité d’autres groupes? De manière étonnante, Steve Warren, un colonel américain ne disait pas autre chose lors d’une réunion rendue publique par le Département de la défense:

«Nous sommes certes préoccupés. Mais c’est avant tout Al Nusra qui tient Alep et, bien sûr, Al Nusra ne fait pas partie de la trêve. C’est donc compliqué.»

Cette relative «compréhension» entre Moscou et Washington est à l’oeuvre aussi à Genève. Plusieurs sources confirment ainsi la rencontre, derrière des portes closes, entre le conseiller du président américain Robert Malley et son alter ego russe Alexander Lavrentiev. Une rencontre secrète loin de se résumer à une visite de courtoisie.

L’idée? Avancer autant que possible, ensemble, sur les contours de la période de transition politique en Syrie, sur le rôle de Bachar el-Assad, mais aussi sur la nouvelle Constitution syrienne, voire sur les institutions de la Syrie d’après-guerre.

Une solution à la libanaise envisagée?

Ainsi, un peu sur le modèle libanais, il pourrait être question de «dupliquer» certains postes, afin de les partager entre les tenants du régime et les différentes oppositions. Endossée par un opposant politique (qui n’est pas membre du Haut comité aux négociations, le HCN, soit la branche soutenue par Washington), une esquisse de ce modèle serait arrivée sur le bureau de Staffan de Mistura – concrètement, un président Assad flanqué de trois vice-présidents.

Le responsable de l’ONU a mis cette proposition sur le compte d’un «expert» qu’il n’a pas nommé. Mais elle a contribué à mettre en colère l’opposition du HCN, la convaincant, parmi d’autres raisons, à «suspendre» sa présence à Genève. Il est peu vraisemblable que Russes et Américains n’aient pas été associés à la démarche.

Robert Malley a été surnommé à Washington «le tsar anti-Daech», tant son objectif premier est d’afficher des résultats contre les djihadistes avant la fin du second mandat de Barack Obama. Au risque de faire beaucoup de compromis sur la Syrie? En marge de la visite du président américain en Arabie saoudite, le responsable glissait: il faut mettre fin à la guerre en Syrie pour des raisons humanitaires, mais aussi «pour que les pays impliqués dans ces combats soient capables, lorsqu’une solution politique aura été trouvée, de se concentrer sur la lutte contre l’EI et Al Qaïda».

Article paru sur le site du journal Le Temps


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