« Je suis né et j’ai grandi dans un camp de réfugiés »

Non, l’humanité n’est pas aussi mondialisée que vous le pensez

Les gens disent que le monde est plat. Ils entendent par cela que grâce aux forces de la mondialisation, des barrières artificielles comme les frontières vont bientôt faire parti du passé, que les gens deviennent un seul et unique maillon d’une chaîne connectée.

Un jour, vous pouvez être dans votre bureau à Londres. Le suivant – après juste quelques clics sur un bouton, et sans même exiger un visa – vous êtes à une réunion d’affaires en Californie.

Mais comme quelqu’un qui est né et a grandi dans le plus ancien et le plus grand camp de réfugiés du monde, je suis ici pour vous dire ceci: le monde est pas aussi mondialisé que vous pensez.

Vivre dans une prison ouverte

En 1991, lorsque le conflit a éclaté dans la patrie de mes parents, la Somalie, ils ont fait face à un choix difficile. Leur première option était de rester là avec mes frères et sœurs et risquer de tout perdre. De nombreux Somaliens ont choisi de le faire, et en un an, 350 000 d’entre eux étaient morts. Leur deuxième choix était de fuir.

Après avoir passé à travers d’autres camps de réfugiés, ils se sont installés à Dadaab. Ouvert en 1992 et initialement destiné à offrir un refuge temporaire pour 90.000 personnes, il est le plus grand et le plus ancien camp de réfugiés au monde. Aujourd’hui, près d’un demi million de personnes l’appellent la maison, le mettent au même niveau que des villes comme Zurich ou des régions comme la Nouvelle Orléans.

Comme beaucoup de gens qui vivent à Dadaab, je suis né ici, et c’est le seul endroit que je connaisse. Mes déplacements sont strictement limités: à part un récent voyage à Nairobi dans le cadre d’une conférence de réfugiés du HCR, je n’ai jamais quitté le camp. Je n’ai jamais quitté le Kenya, le pays où je suis né, été élevé et éduqué, mais où j’ai pas le droit ni à la citoyenneté ou ni même à l’emploi.

Nous sommes pris au piège dans une prison ouverte, rien à voir avec le monde globalisé dont j’entends parler.

Un soupçon de mondialisation

Grâce aux stations de radio et a un accès Internet limité, nous pouvons  nous connecter avec le monde, mais nous ne sommes pas en mesure d’en faire une expérience positive. BBC World Service et Voice of America nous assurent que nous restons dans la boucle de l’évolution mondiale, et grâce aux médias sociaux je peux maintenant répondre (seulement virtuellement) aux habitants d’autres pays – même si je dois accéder à ces sites via une connexion internet capricieuse sur mon téléphone mobile.

Ce n’est qu’un avant goût des avantages de la mondialisation que beaucoup de gens prennent pour acquis, mais qui ont fait une énorme différence. Depuis plusieurs années maintenant, je fais campagne dans mon camp contre la violence sexiste et les mutilations génitales féminines. Le peu d’accès à Internet que nous avons m’a permis de partager ce message avec un public international.

Mais si nous avions les mêmes chances que ceux qui bénéficient le plus de la mondialisation – la chance de changer de pays pour étudier ou travailler, ou l’accès à un ordinateur avec une connexion Internet fiable – ceux d’entre nous qui vivent à Dadaab pourrait accomplir plus de choses que nous ne le pouvons.

La mondialisation pour tous

Plusieurs des débats entourant la mondialisation se concentrent pour savoir si elle est une force de progrès ou non, si elle apporte des éléments plus positifs que négatifs. Peu de gens se posent la question la plus importante: si le monde est-il véritablement aussi globalisé qu’on veut nous le faire croire ?

Si vous vivez en Érythrée, l’un des pays les moins connectés sur la planète, faites-vous vraiment partie du processus de la mondialisation? Qu’en est-il des 1,2 milliards de personnes qui en 2013 n’ont pas accès à l’électricité, à la base de presque toutes les innovations qui stimulent la mondialisation aujourd’hui? Et que dire des 500.000 de mes voisins ici à Dadaab, qui ont vécu dans l’incertitude pendant des décennies, incapable de contribuer de manière significative à l’évolution mondiale?

Le processus de mondialisation est complexe, il n’y a aucun doute à ce sujet. Mais quand je vois que ceux qui pu profiter de certains de ses avantages tournent le dos à la mondialisation, je ne peux qu’espérer que je vais avoir un jour les mêmes possibilités qu’elle leur a offert.

Lire l’article (en anglais) sur le site du World Economic Forum


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