Retour à Solférino

Le 3 mai, le Conseil de sécurité des Nations Unies adoptait une résolution à l’unanimité sur la protection des blessés et des malades, du personnel médical et humanitaire, dont le projet avait été co-parrainé par 80 Etats Membres.

L’initiative avait été prise par cinq Membres non-permanents du Conseil de sécurité, l’Egypte (qui présidait le Conseil en mai), le Japon, la Nouvelle-Zélande, l’Espagne et l’Uruguay. Les consultations sur le projet avaient débuté en janvier, et le projet de résolution déposé le 27 avril…

Cette résolution 2286 (2016) reprend, en termes vigoureux, le fondement du droit international humanitaire depuis la Première Convention de Genève de 1864. Elle « condamne fermement » les actes de violence, attaques et menaces visant blessés et malades, personnel médical et humanitaire , « déplore » les répercussions durables que ces attaques ont sur la population civile et les systèmes de santé, « exige » de toutes les parties à un conflit armé de respecter pleinement le droit international, notamment humanitaire, « exige également » pour les humanitaires l’accès aux populations dans le besoin, « demande instamment aux Etats et aux parties à un conflit armé » de mettre en place des mesures efficaces pour prévenir et réprimer ces attaques et menaces, « souligne que l’éducation et la formation » en droit humanitaire peuvent contribuer à prévoir ces attaques, « condamne vigoureusement l’impunité » dont jouissent ceux qui commettent ces violations et exactions, « engage vivement » les Etats à mener sans tarder des enquêtes sur ces violations, « exprime son intention » de faire en sorte que les mandats des opérations de maintien de la paix des Nations Unies contribuent à instaurer des conditions de sécurité favorables à la fourniture d’une assistance médicale, conformément aux principes humanitaires, « prie » le Secrétaire général d’inclure cette question dans ses rapports sur la situation d’un pays donné ou sur la protection des civils, « prie également » le Secrétaire général de lui communiquer sans tarder des recommandations quant aux mesures à prendre, « prie en outre » le Secrétaire général de lui faire rapport tous les douze mois…

Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, le Président du CICR, Peter Maurer, et la Présidente de MSF International, Joanne Liu, ont souligné d’emblée la gravité de la question, le nombre des attaques dans les conflits en cours ou récents en Afghanistan, en Irak, en République Centrafricaine, au Sud-Soudan, en Syrie, en Ukraine et au Yémen.

Sont intervenus dans le débat :

  • le Japon, soulignant le caractère général de la résolution, qui ne mentionne aucun pays en particulier, mais rappelant la gravité de la situation en Syrie;
  • la Nouvelle-Zélande, évoquant l’urgence de faire cesser ces violations, en particulier à Alep;
  • l’Espagne, déplorant ces attaques pratiquement quotidiennes, dont certaine volontaires, et mentionnant également Alep;
  • l’Uruguay, regrettant que certaines de ces attaques aient été commises par des Etats Membres des Nations Unies, et demandant que les responsables soient poursuivis pénalement;
  • le Royaume-Uni : le non-respect du fondement du droit humanitaire, notamment à Alep, entraîne sous nos yeux un délitement, une désagrégation du droit humanitaire et demande un briefing urgent sur la situation à Alep;
  • l’Angola demande aussi justice pour les victimes d’attaques à Alep;
  • l’Ukraine évoque aussi Alep et cite un rapport de l’OMS sur des attaques au Yémen;
  • la Russie, tout en soulignant le caractère inacceptable d’attaques contre le personnel médical, réclame des informations fiables et le respect de la souveraineté des Etats;
  • les Etats-Unis expriment leurs regrets sur l’attaque de l’hôpital de Kunduz, en Afghanistan, et évoque les nombreuses attaques volontaires contre des installations médicales en Syrie;
  • la France cite le récent Rapport de l’OMS et souligne que le Conseil de sécurité devrait agir d’urgence à propos de la situation à Alep, relevant aussi que ces attaques pourraient constituer des crimes de guerre selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale;
  • le Sénégal relève le paragraphe de la résolution qui demande que la protection des convois humanitaires fasse partie du mandat des opérations de maintien de la paix;
  • le Vénézuela souhaite que cette résolution ne soit pas un exercice de rhétorique mais un appel à l’action concrète, y compris la poursuite pénale des responsables de ces violations;
  • la Chine exprime sa profonde préoccupation devant ces violations, demande la poursuite pénale des responsables, rappelle que les humanitaires doivent respecter la Charte des Nations Unies et l’intégrité territoriale des Etats, et fait appel à la diplomatie préventive du Conseil de sécurité pour encourager la résolution des conflits par des négociations;
  • la Malaisie déclare que cette résolution marque une étape importante (« an important milestone »), exprime son regret devant les attaques d’hôpitaux par Israël à Gaza, et, par les Etats-Unis de l’hôpital de MSF à Kunduz, en Afghanistan, ajoutant que la protection des populations civiles et du personnel humanitaire devait être au coeur de l’action du Conseil de sécurité;
  • l’Egypte, qui présidait le Conseil de sécurité, estime que ces attaques contre du personnel et des installations médicales suscitent la haine et minent la possibilité de règlement pacifique des conflits. Le Conseil de sécurité doit envoyer un message fort que ces violations ne doivent pas avoir lieu.

Le même jour, 3 mai, le CICR, avec 44 autres Membres du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ainsi que l’Association médicale mondiale, publiait une lettre ouverte à tous les Etats Membres des Nations Unies (« Il faut mettre fin à la violence contre les soins de santé ») demandant à tous les Etats Membres d’appuyer sans réserve les mesures décrites dans la résolution 2286.

La résolution 2286 a été relevée dans plusieurs interventions au Sommet humanitaire mondial qui s’est tenu à Istanbul les 23 et 24 mai, dont celle du Grand Chancelier de l’Ordre Souverain de Malte.

La 32e session du Conseil des Droits de l’Homme, qui se tiendra au Palais des Nations à Genève du 13 juin au 1er juillet, sera aussi l’occasion, pour le Secrétaire général et ses représentants, comme pour les Etats Membres, les observateurs et les ONG, de rappeler les recommandations de la résolution 2286, en particulier pour la situation en Syrie, qui sera débattue le 21 juin.

Ensuite, le segment humanitaire du Conseil économique et social (ECOSOC) des Nations Unies devrait aussi être une opportunité de revenir sur la question à New York les 27, 28 et 29 juin, comme aussi et surtout les deux Sommets sur la migration des 19 et 20 septembre à New York, et l’Assemblée générale des Nations Unies de cet automne. Les violations du droit humanitaire sont en effet une des causes principales des déplacements massifs de populations de pays affectés par des conflits armés comme l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie.

Au delà de ces rendez-vous diplomatiques, reste la question fondamentale de savoir comment faire respecter ce qui est le fondement du droit international humanitaire, le respect des blessés et du personnel médical et humanitaire.

Comme le relevaient pratiquement toutes les interventions à New York le 3 mai, comme aussi l’ont rappelé Gouvernements, représentants de l’ONU, du CICR, de l’Ordre de Malte, d’ONG en plénière et dans les sessions spéciales du Sommet humanitaire mondial réuni à Istanbul les 23 et 24 mai, le droit international humanitaire doit être mieux respecté.

La question n’est pas seulement juridique. elle est bien plus politique et morale.

Sur le plan juridique, l’impunité semble être devenue la règle, et les poursuites et condamnations de criminels de guerre l’exception. La Suisse et le CICR avaient proposé, à la dernière Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (Genève, décembre 2015), un mécanisme d’examen périodique du respect du droit international humanitaire. Cette proposition n’a pas été retenue, même si les consultations continuent.

Nous sommes donc de retour à Solférino : le besoin de protéger blessés et infirmiers est là, le droit – ou son respect – n’y est pas. Comme Henry Dunant à Solférino, c’est aux médecins, aux bonnes volontés locales – comme le 24 juin 1859 le curé de Castiglione et les femmes de Lombardie – et aux formateurs d’opinion de s’engager à la fois dans l’action locale et dans la mobilisation de la conscience publique pour faire pression sur les Gouvernements et les parties en conflit. Il ne s’agit plus aujourd’hui de codifier, d’avoir un nouveau traité de droit international, mais bien de faire respecter ce que Dunant avait obtenu après Solférino.

Michel Veuthey,

Observateur Permanent Adjoint
Mission Permanente d’Observation de l’Ordre Souverain de Malte auprès de l’Office des Nations Unies à Genève


Pour aller plus loin

-> Le blog du 5 mai 2016 du Professeur Philippe Weckel sentinelle-du-droit-international.fr

-> La Déclaration conjointe du Directeur général de l’OMS et du Directeur général de l’UNICEF du 19 avril sur la Syrie

-> Le Rapport de l’OMS (« Attacks on health care. Report on Attacks on Health Care in Emergencies Based on Consolidated Secondary Data 2014 and 2015 »)

-> La Lettre ouverte du CICR et d’autres organisations du 3 mai 2016

-> Le texte complet, en original anglais, de la résolution 2286 (2016)

 

->« Il faut mettre fin à la violence contre les soins de santé », article paru sur le site du CICR