Migrants : lettre au Président de la République

Dans une lettre commune, la présidente du Secours Catholique – Caritas France, Véronique Fayet, et le président de la Fédération de l’Entraide Protestante, Jean-Michel Hitter, interpellent le président de la République Française, Emmanuel Macron, sur les récents choix du gouvernement en matière de politique d’immigration. Ils s’inquiètent d’« un renoncement sans précédent aux valeurs et aux traditions humanistes de la République ».


Monsieur le Président de la République,

Les mesures envisagées par le ministère de l’Intérieur pour transformer la législation relative à l’Immigration et au droit d’asile suscitent les plus vives inquiétudes.

En voulant accélérer à outrance les procédures d’asile, en rendant quasiment impossible l’accès aux procédures sur le territoire national, en mettant sous le contrôle du ministère de l’Intérieur toutes les structures d’accueil dans le but d’éloigner du territoire tous les étrangers non autorisés à y séjourner, en visant à généraliser les mesures de privation de liberté et d’éloignement par la contrainte, l’économie générale du projet constitue un renoncement sans précédent aux valeurs et aux traditions humanistes de la République.

La méthode est inédite : jamais, sur un sujet aussi sensible, une telle réforme n’avait été aussi avancée dans son contenu sans qu’à aucun moment le Gouvernement ne se soucie d’ouvrir une réelle concertation avec les acteurs de la société civile concernés.

UNE VISION BINAIRE

La vision simpliste du projet, opposant de façon binaire les réfugiés aux migrants économiques, fait totalement l’impasse sur la réalité actuelle de milliers de migrants qui, sans pour autant relever du statut de réfugié, ont connu de tels traumatismes – du fait des causes de leur exil ou des routes périlleuses qu’ils ont dû emprunter durant des années – que leur extrême vulnérabilité rend indispensables des mesures de protection et d’accueil.

La poursuite aveugle de la mise en œuvre du « règlement Dublin » est un déni des faits. Par sa construction irréfléchie en 1990, dépassée, ce règlement génère des inégalités criantes entre les Etats européens quant à leurs responsabilités. Il provoque, dans sa mise en œuvre, un désordre général laissant des dizaines de milliers de personnes réfugiées sans la moindre protection, sans statut ni accueil, errant de frontières en frontières européennes.

Si sa remise à plat sera complexe, il n’en reste pas moins qu’il est plus que temps de poser le diagnostic que « Dublin » n’a jamais répondu à l’objectif d’une harmonisation européenne, qu’il n’y répond pas et n’y répondra jamais.

« Dublin » n’a jamais répondu à l’objectif d’une harmonisation européenne, il n’y répond pas et n’y répondra jamais.

Le projet d’introduire dans la législation la notion de « Pays tiers sûrs » constituerait un renoncement majeur au « droit d’asile sur le territoire de la République ». En rejetant « notre part » de l’accueil des demandeurs d’asile vers les pays frontaliers de l’Union Européenne – et notamment sur la rive Sud de la Méditerranée et plus loin en Afrique – la mise en œuvre d’une telle disposition – par la France comme par les autres Etats membres – ne ferait qu’aggraver encore les difficultés rencontrées par ces pays et viderait de son contenu la notion de « solidarité internationale ».

UNE ANALYSE ERRONÉE

Ces quelques sujets suffisent à nous convaincre que ce projet de réforme est prématuré, mal pensé, mal construit, et qu’en reposant sur une analyse erronée, construite en vase clos dans les cabinets ministériels, il ne peut que provoquer de nouvelles atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes les plus fragiles.

La lutte contre la précarité et pour le respect de la dignité des plus pauvres est incompatible avec l’exclusion et le déni de droits d’une partie d’entre eux. Nous vous appelons donc à surseoir à toute réforme de cette nature, et à engager enfin la large concertation que nous attendons depuis des mois et à laquelle vous n’avez pas jusqu’à maintenant souhaité donner suite.

Affirmer que les personnes déboutées de leur demande d’asile seront toutes éloignées du territoire est un mensonge : c’est pratiquement irréaliste et humainement inconcevable.

Dans l’immédiat, le pragmatisme impose que des réponses concrètes soient apportées à la situation de milliers de personnes auxquelles les droits élémentaires sont refusés.

Des milliers de « personnes déboutées » – dont des familles avec enfants – ont entamé une vie en France et survivent dans un déni de droits et de dignité inacceptable. Affirmer qu’elles seront éloignées du territoire est un mensonge : c’est pratiquement irréaliste et humainement inconcevable.

La raison emporte naturellement à demander qu’elles soient admises à poursuivre légalement leur intégration dans notre société. Il peut être délicat de l’assumer politiquement, mais l’intérêt général justifie qu’une parole de vérité soit assumée clairement.

RÉALITÉ KAFKAÏENNE

Des milliers de personnes « dublinées » sont suspendues sans droits ni accueil dans l’attente qu’un pays européen daigne accepter d’examiner leur demande d’asile. Cette réalité kafkaïenne, conséquence des vices de conception du règlement Dublin, peut être provisoirement résolue si la France décide – ce qui lui est possible sans délai – de suspendre la mise en œuvre des « procédures de réadmission » et d’autoriser ces personnes à entrer dans la procédure d’asile.

Nous vous appelons à ordonner ces deux mesures de bon sens, comme nous vous appelons, dans l’attente de la large concertation que nous espérons, à faire en sorte que la France refuse la mise en œuvre de la notion de « pays tiers sûrs » qui marquerait un renoncement historique à notre tradition de l’asile.

En cette journée internationale des migrants, nous nous permettons de rendre publique cette lettre.

Veuillez recevoir, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre parfaite considération.

VÉRONIQUE FAYET, PRÉSIDENTE DU SECOURS CATHOLIQUE – CARITAS FRANCE ; JEAN-MICHEL HITTER, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION DE L’ENTRAIDE PROTESTANTE

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