Génocide, du devoir de mémoire à l’action

La récente condamnation pour crime de génocide de Radovan Karadzic par le Tribunal pénal international sur l’ex-Yougoslavie (TPIY)[1] a rappelé que l’Europe du XXe siècle a connu plusieurs génocides.

C’est même en Europe que le terme de « génocide » a été utilisé pour la première fois,[2] à la suite de la Shoah, extermination systématique des Juifs perpétrée par le régime nazi durant la Seconde Guerre mondiale.

Le Secrétaire d’Etat, John Kerry, vient de déclarer, le 17 mars 2016,[3] « Daesh » génocidaire, coupable de génocide contre Chrétiens et autres minorités.[4] Et de conclure sa déclaration en disant qu’il est certes important de nommer et définir ces crimes, mais qu’il est essentiel de les faire cesser. Il faudra pour cela, ajoute-t-il, faire l’unité aux Etats-Unis et avec d’autres pays, et agir avec détermination contre le génocide, les « nettoyages ethniques » et d’autres crimes contre l’humanité.[5]

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dans la résolution 2091, intitulée « Les combattants étrangers en Syrie et en Irak » du 27 janvier 2016)[6] et l’Union Européenne, par la résolution adoptée par le Parlement Européen le 4 février 2016 (« Massacre systématique des minorités religieuses par le groupe « EIIL/Daech »)[7] ont, de leur côté, déjà reconnu le génocide des Chrétiens et autres minorités par « Daesh ».

Le génocide fait partie de notre histoire et de notre actualité. Comment l’éviter au mieux à l’avenir ? Pour prévenir le génocide, nous devons adopter une approche qui permette de défendre en profondeur et à plusieurs niveaux, la vie et la dignité humaine de toute personne sans discrimination.

Nous considérerons trois approches :

L’approche juridique commence en 1948, quand l’Assemblée générale des Nations Unies adopte à New York à la fois de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et la Convention pour la prévention the crime de génocide.

D’autres instruments internationaux suivront, à commencer par les quatre Conventions de Genève de 1949 sur la protection des victimes de la guerre, et particulièrement la quatrième Convention sur la protection des personnes civiles, mais aussi en 1950 la Convention européenne des Droits de l’Homme, en 1951 la Convention sur les réfugiés, en 1954 la Convention de La Haye sur la protection des biens culturels, en 1966 les deux Pactes internationaux des droits de l’Homme, en 1994 le Statut du Tribunal international sur l’ex-Yougoslavie, en 1995 le Statut du Tribunal international sur le Rwanda, et en 1998 le Statut de la Cour pénale internationale, ces trois Statuts prévoyant la poursuite des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et du crime de génocide.

Les mécanismes de mise en œuvre sont d’abord les Etats Parties à ces instruments et aussi les Nations Unies[8] à commencer par le Conseil de sécurité[9] ainsi que, dans leurs domaines de compétences respectives, l’Unesco,[10] le Haut-Commissariat pour les Réfugiés, les instances universelles et régionales des Droits de l’Homme, le CICR, et, sans mandat particulier mais dans leur domaine d’influence, l’Union interparlementaire[11] et les ONG internationales[12] et nationales.[13]

L’approche médiatique doit être comprise au sens large : artistes, cinéastes, écrivains, chercheurs, éducateurs, historiens, experts militaires, psychologues, psychiatres, concepteurs de jeux vidéo, journalistes, qui peuvent tous influencer l’opinion publique et les preneurs de décisions pour prévenir le génocide.[14]

L’approche morale et religieuse doit s’étendre au-delà des communautés religieuses, inclure toutes les personnes dans le respect de leur vie et de leur dignité, appartenant à ces communautés, croyantes ou non. Il faut à cet effet convaincre chaque religion de faire face à ses propres extrémistes, et de prendre en compte, individuellement et collectivement, les valeurs essentielles d’humanité qui nous unissent tous. Comme le disait Martin Luther King, si nous n’apprenons pas à vivre en frères (et sœurs), nous périrons tous comme des insensés[15]… Un proverbe africain nous montre aussi la nécessité d’aller à la source de notre humanité commune : « Quand les branches se disputent, les racines se réconcilient ».

Comme l’affirmait le Pape François le 20 juin 2014 aux participants au Congrès international « La liberté religieuse selon le droit international et le conflit mondial des valeurs » :

« Au lieu du conflit mondial des valeurs, devient ainsi possible, à partir d’un noyau de valeurs universellement partagées, une collaboration mondiale en vue du bien commun ».[16]

En attendant cette nécessaire convergence des valeurs et une mobilisation de la conscience publique, il est urgent que Gouvernements et organisations internationales prennent des mesures de protection, de prévention[17] et de répression, dans la perspective de phases en cours ou à venir de reconstruction et de réconciliation.

Les résolutions adoptées par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et par le Parlement Européen donnent des indications d’actions à entreprendre.

La résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 27 janvier 2016 affirme le devoir d’agir au titre de la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 et donne les exemples suivants d’actions :

Et, finalement, de rappeler le rôle des dirigeants religieux, car « les combattants étrangers portent réellement préjudice aux communautés religieuses auxquelles ils prétendent appartenir ».

La résolution du Parlement Européen du 4 février 2016 se réfère aux orientations de l’Union Européenne (UE) relatives à la promotion et à la protection de la liberté de religion ou de conviction, les lignes directrices de l’UE concernant la promotion du droit humanitaire international, les lignes directrices de l’UE sur les violences contre les femmes et la lutte contre toutes les formes de discrimination à leur encontre, les orientations pour la politique de l’UE à l’égard des pays tiers en ce qui concerne la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, les orientations de l’UE sur les enfants face aux conflits armés, les orientations de l’UE pour la promotion et la protection des droits de l’enfant, les orientations de l’UE dans le domaine des droits de l’homme relatives à la liberté d’expression en ligne et hors ligne.

Elle demande que :

La résolution charge finalement son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à la Vice-présidente de la Commission et Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au Représentant spécial de l’Union pour les Droits de l’Homme, aux Gouvernements et aux Parlements des États membres, au Gouvernement et au Parlement de la République arabe syrienne, au Gouvernement et au Conseil des représentants de la République d’Iraq, au Gouvernement régional du Kurdistan, aux institutions de l’Organisation de la coopération islamique, au Conseil de coopération pour les États arabes du Golfe (Conseil de coopération du Golfe), au Secrétaire général des Nations Unies, à l’Assemblée générale des Nations Unies, au Conseil de sécurité des Nations Unies et au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies.

D’autres organisations, comme l’Union Africaine, pourraient aussi être engagées.

Quant au Conseil de sécurité, après avoir reconnu dans sa résolution 2249 (2015) que « Daesh » constituait une menace à la sécurité internationale, il devrait aller plus loin que sa résolution 2253 (2015) interdisant de fournir toute assistance militaire et financière à « Daesh » et prendre des mesures efficaces pour éviter de retomber dans la passivité qui a permis les génocides de Srebrenica[18] et du Rwanda.[19]

Michel Veuthey,

Observateur Permanent Adjoint
Mission Permanente d’Observation de l’Ordre Souverain de Malte auprès de l’Office des Nations Unies à Genève

Annexes 

[1] La Chambre de première instance III du Tribunal pénal international pour l’ex‐Yougoslavie (le « TPIY ») a déclaré le 24 mars 2016 Radovan Karadžić, ancien Président de la Republika Srpska et commandant suprême de ses forces armées, coupable de génocide, de crimes contre l’humanité et de violations des lois ou coutumes de la guerre, pour les crimes commis par les forces serbes durant le conflit armé en Bosnie‐Herzégovine (la « BiH »), de 1992 à 1995. Il a été condamné à une peine de 40 ans d’emprisonnement. Le résumé du jugement est disponible en ligne 

[2] Voir l’article du Professeur Raphaël Lemkin, « Le crime de génocide, » Revue de Droit International, de Sciences Diplomatiques et Politiques 24 (octobre -décembre 1946): 213-222. Disponible en ligne (28 mars 2016)[3] Déclaration du Secrétaire d’Etat américain 

[4] Voir aussi le rapport en ligne (« Genocide against Christians in the Middle East. A report submitted to Secretary of State John Kerry
by the Knights of Columbus and In Defense of Christians ») soumis le 9 mars 2016 

[5] « Naming these crimes is important. But what is essential is to stop them. That will require unity in this country and within the countries directly involved, and the determination to act against genocide, against ethnic cleansing, against the other crimes against humanity must be pronounced among decent people all across the globe ».

[6] Résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 27 janvier 2016

[7] Résolution du Parlement Européen du 4 février 2016 

[8] L’ONU a regroupé dans la même structure le Bureau du Conseiller spécial pour la prévention du génocide,
M. Adama Dieng, et la Conseillère spéciale pour la responsabilité de protéger, Madame Jennifer Welsh 

[9] L’action du Conseil de sécurité, en ex-Yougoslavie et au Rwanda, a essentiellement constitué dans l’adoption des Statuts des Tribunaux internationaux sur l’ex-Yougoslavie (1994) et sur le Rwanda (1995)

[10] La Directrice générale de l’UNESCO, Madame Irina Bokova, a parlé de « nettoyage culturel » en Afghanistan, en Bosnie-Herzégovine, en Irak, au Mali, en Syrie : « Leur objectif n’est pas seulement de tuer des personnes, mais plus radicalement, de briser la liberté et l’âme d’un peuple. Le patrimoine n’est pas une victime collatérale, mais une cible délibérée ». Et de rappeler que selon le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, « la destruction intentionnelle d’édifices particulièrement sacrés équivaut à un génocide culturel ». (Intervention d’Irina Bokova au dîner du Cercle de la Revue des Deux Mondes du 18 décembre 2014 à l’Hôtel George V. Publié dans la Revue des Deux Mondes en février 2015. Disponible en ligne

[11] http://www.ipu.org/french/home.htm

[12] Comme Human Rights Watch, en particulier ce rapport : Leave None to Tell the Story : Genocide in Rwanda et Amnesty International  ( voir plus loin pour Srebrenica )

[13] A relever le rôle de trois organisations américaines dans la prise de conscience du génocide des Chrétiens et des autres minorités au Proche-Orient : le « Simon-Skjodt Center for the Prevention of Genocide » du UNITED STATES HOLOCAUST MEMORIAL MUSEUM, qui a publié un rapport intitulé OUR GENERATION IS GONE. The Islamic State’s Targeting of Iraqi Minorities in Ninewa BEARING WITNESS TRIP REPORT (28 pages) et les « Knights of Columbus » qui, avec « In Defense of Christians » ont soumis en date du 9 mars 2016 au Secrétaire d’Etat un rapport très documenté de 278 pages intitulé Genocide against Christians in the Middle East.

[14] Voir notamment le travail de la « Fondation Hirondelle », ONG de journalistes et de professionnels de l’action humanitaire. Depuis 1995, elle crée ou soutient des médias d’information généralistes, indépendants et citoyens, dans des zones de guerre, des situations de crise endémique ou des situations de post-conflit. 

[15] “Either we live together as brothers, or we perish as fools.” (Martin Luther King, Strength to Love. 1963)

[16] https://w2.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2014/june/documents/papa-francesco_20140620_liberta-religiosa.html

[17] Voir notamment le document des Nations Unies Framework of Analysis for Atrocity Crimes. A tool for prevention. New York, July 2014, 32 p. et aussi Madeline K. Albright & William S. Cohen Preventing Genocide. Blueprint for U.S. Policymakers. Washington DC, 2008, 147 p.

Voir à ce sujet en ligne : 

[18] Voir notamment le rapport de La mission d’information commune sur les événements de Srebrenica, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 novembre 2001 et aussi le rapport d’Amnesty International Srebrenica: No justice or truth for victims of genocide and their families

[19] Voir notamment Roméo Dallaire, J’ai serré la main du diable. La faillite de l’humanité au Rwanda.

Voir tous les « Regards sur … »

Source URL: https://diplomatie-humanitaire.org/genocide-devoir-de-memoire-a-laction/