Genève, capitale du soft power chinois

Article paru sur le site du journal Le Temps le 12/01/2017

La visite d’Etat en Suisse du président Xi Jinping est l’occasion de donner un signal au monde: la Chine va davantage assumer sa responsabilité politique dans les relations internationales. Cela passera par l’ONU et son siège genevois.

Prudence diplomatique oblige, les officiels de l’ONU et genevois hésitent à mettre une échelle d’importance dans les visites présidentielles au Palais des Nations. La venue, mercredi prochain, du président Xi Jinping au siège européen de l’Organisation des Nations unies revêt toutefois un caractère particulier. C’est sans doute l’une des plus importantes interventions d’un chef d’Etat pour la Genève internationale depuis de nombreuses années.

Le déplacement du président chinois, accompagné de plusieurs centaines de personnes, a une portée symbolique particulière dans un monde en pleine transformation et alors que les Etats-Unis sont tentés par le repli protectionniste. Depuis la tribune de la Salle des Assemblées, Xi Jinping appellera à renforcer l’ordre mondial dans un cadre multipolaire. Cet ordre, c’est à Genève qu’il se dessine, à travers les organisations spécialisées, expliquent les diplomates chinois qui n’ont plus que le mot «gouvernance mondiale» à la bouche.

«L’égal de New York»

«Nous connaissons très bien le statut de Genève, expliquait à quelques journalistes en début de semaine, Jiang Jianguo, le directeur général du Bureau de l’Information du Conseil des Affaires d’Etat qui a rang de ministre. Pour nous c’est l’égal de New York. C’est le centre du multilatéralisme. Grâce à son expérience, la Chine veut promouvoir la globalisation et maintenir l’ordre actuel du monde.»

Voici quelques années que Pékin investit Genève et ses organisations internationales pour en faire un centre d’influence politique. Longtemps, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a été la priorité. Ce n’est plus le cas. Il y a dix ans, la Chine parvenait à faire élire pour la première fois l’un de ses candidats, la Hongkongaise Margaret Chan, à la tête d’une organisation internationale, celle de la santé (OMS). Il y a deux ans, le Chinois Zhao Houlin était nommé au poste de secrétaire général de l’Union internationale des télécommunications (UIT). Aujourd’hui, la mission chinoise auprès de l’ONU est la plus importante de Genève avec 67 diplomates accrédités devant celles des Etats-Unis et de la Russie.

«Monde fragmenté»

«L’allocution du président chinois aura une signification majeure, explique Michael Møller, le directeur général de l’ONU à Genève. Dans un monde de plus en plus fragmenté, le soutien d’une grande puissance est très important. C’est aussi l’occasion pour les Chinois de découvrir comment leur vie est directement concernée par ce qui se fait ici.»

Michael Møller constate un activisme beaucoup plus marqué des diplomates chinois depuis un an. En septembre 2015, à l’occasion de la 70e session de l’Assemblée générale de l’ONU à New York, Xi Jinping avait donné le signal d’une nouvelle approche dans les affaires mondiales: «Nous devons renouveler notre engagement envers les buts et les principes de la Charte de l’ONU, déclarait-il alors. Nous devons construire un nouveau type de relations internationales […], créer une communauté d’un futur partagé pour l’humanité.»

«Donner un signal»

Alors que l’économie chinoise ralentit et que les tensions intérieures restent nombreuses, Pékin affiche une confiance nouvelle sur la scène internationale. Il faudra s’y habituer. «Nous assistons à une nouvelle étape dans l’histoire de la Chine, estime François Longchamp, le président du Conseil d’Etat genevois et responsable de la Genève internationale. Ils veulent assumer de nouvelles responsabilités. Ils veulent donner un signal.» Les Chinois voient très bien la brèche, complète une source onusienne: si le retrait des Etats-Unis du système international devait se confirmer, la Chine est prête à en prendre le leadership. «Cela lui permettrait d’exercer un plus grand contrepoids.»

Ma Zhaoxu, l’ambassadeur de Chine à Genève l’explique ainsi à ses interlocuteurs: «Le jour va venir où la Chine sera la première puissance économique du monde et cela implique des responsabilités politiques différentes.» Ce moment semble proche. Cela signifie, entre autres, que la Chine devra mettre davantage la main au porte-monnaie. En termes de financement, elle est pour l’heure très loin derrière les Etats-Unis qui assurent 22% du budget de l’ONU. Mais Pékin est le premier fournisseur de Casques bleus pour les missions de maintien de la paix.

Gouvernance économique

Dans cette offensive diplomatique, le Forum économique mondial de Davos n’est pas moins important. C’est cet événement qui a déterminé les dates du déplacement, l’invitation suisse faite à Xi Jinping le printemps dernier à Pékin par Johann Schneider-Ammann pour une visite d’Etat en étant le prétexte.

Dans la station grisonne, le président chinois sera la vedette d’une édition dominée par les craintes du populisme, les effets de l’arrivée de Donald Trump au pouvoir et la «vague antimondialisation» qui inquiète particulièrement Pékin. Xi Jinping veut se faire le champion de la globalisation. «La gouvernance économique reste l’essentiel, explique Jiang Jianguo. La Chine proscrit l’unilatéralisme, la monopolisation et l’exclusivisme.»

«La Chine est une démocratie»

Au Palais des Nations, le président chinois sera accueilli par le nouveau secrétaire général de l’ONU, le Portugais Antonio Guterres, ainsi que le président de l’Assemblée générale, Peter Thomson, des îles Fidji. Xi Jinping visitera par ailleurs l’OMS, sa femme, Peng Liyuan, une célèbre soprano d’un chœur de l’armée chinoise, étant l’ambassadrice de bonne volonté pour la tuberculose et le sida.

Genève, c’est aussi la capitale des droits de l’homme. «Il y a les plus et les moins à cette présence renforcée des Chinois, explique une source onusienne. Le Conseil des droits de l’homme fait partie des moins. On voit la façon dont ils essayent de bloquer ses mécanismes.» «C’est la marque de fabrique de Genève», ajoute François Longchamp. Assurer un plus grand rôle dans la gouvernance mondiale impliquera un meilleur respect du droit et des libertés. Surtout dans un pays qui reste l’un des principaux violateurs des droits de l’homme. Jiang Jianguo explique que «la Chine est une démocratie» et que la liberté d’expression existe. «Mais il faut s’exprimer de façon responsable.»

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