Il faut montrer ‘l’impact positif’ des migrations pour changer la perception de l’opinion publique, selon l’ONU

Article paru sur le site des Nations Unies le 28/04/2017

Estimant que les pays ne peuvent pas gérer seuls la question des vastes mouvements de réfugiés et de migrants, les Nations Unies ont organisé en septembre 2016 un sommet des dirigeants mondiaux dans le but de trouver des solutions durables.

A ce sommet, les 193 États membres ont convenu d’un plan, la Déclaration de New York, dans laquelle ils expriment leur volonté politique de sauver des vies, de protéger les droits et de partager leurs responsabilités à l’échelle mondiale.

La mobilité humaine n’est pas un phénomène nouveau. Les êtres humains se sont toujours beaucoup déplacés. Mais ces dernières années, on a vu dans certains cas des mouvements de population provoqués par des situations extrêmes

Dans le prolongement de cette réunion, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a nommé l’avocate, procureure et juriste canadienne Louise Arbour comme Représentant spéciale pour les migrations internationales.

Mme Arbour, qui a été Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et Procureure générale des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, est chargée de travailler avec les États membres alors qu’ils élaborent un pacte mondial sur des migrations sûres, ordonnées et régulières, qui devrait être adopté en 2018.

Elle est également à la tête des efforts de plaidoyer de l’ONU en matière de migrations internationales, y compris en soutenant la campagne ‘Ensemble’, un nouveau dialogue sur les réfugiés et les migrants pour favoriser la cohésion sociale tout en luttant contre les préjugés et les mensonges à leur sujet. En outre, elle fournit des conseils stratégiques et coordonne les efforts des entités des Nations Unies sur la question des migrations.

Mme Arbour s’est récemment entretenue avec ONU Info de la nécessité d’enrichir le discours sur les migrations qui, selon elle, se concentre énormément sur les aspects négatifs de ces migrations et obscurcit l’impact positif qu’elles ont sur la prospérité de nombreux pays.

ONU Info : Vous avez été nommée Représentante spéciale du Secrétaire général pour les migrations internationales le mois dernier. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette question et sur les défis à venir?

Louise Arbour : La mobilité humaine n’est pas un phénomène nouveau. Les êtres humains se sont toujours beaucoup déplacés. Mais ces dernières années, on a vu dans certains cas des mouvements de population provoqués par des situations extrêmes, des guerres, qui ont forcé des gens à se déplacer en très grand nombre. Et cela a donné lieu à beaucoup d’inquiétude.

Le défi qui est devant nous aujourd’hui est de redresser un peu la conversation sur cette question de la mobilité touchant les réfugiés, qui sont gouvernés par la Convention sur les réfugiés protégeant les gens fuyant la persécution sur une base ethnique, religieuse ou autre, mais également tous les gens qui se déplacent, soit pour être réunis avec leurs familles, soit très souvent à la recherche de travail, d’amélioration de leurs conditions de vie.

On parle d’un phénomène ancien mais qui est beaucoup d’actualité et qui va être avec nous pendant très longtemps. Les moyens de communication, de transport, sont tels que l’on doit s’attendre à beaucoup de déplacements dans les années à venir.

VIDEO: Louise Arbour, la Représentante spéciale du Secrétaire général pour les migrations internationales, souligne la nécessité de mettre en lumière les avantages que les migrants et les réfugiés apportent aux communautés qui les accueillent et de changer le discours sur la migration.

ONU Info : En tant que Représentante spéciale, vous allez diriger le suivi du Sommet de haut niveau sur les vastes mouvements de réfugiés et de migrants. Comment voyez-vous votre rôle dans les prochaines négociations sur les deux pactes mondiaux?

Louise Arbour : Les Etats membres des Nations Unies se sont donnés comme mission à la fin de 2018 d’avoir une grande conférence sur la migration et d’avoir deux pactes, un sur les réfugiés qui est géré par le Haut-Commissariat aux réfugiés, et un sur la migration qui est géré par les Etats membres eux-mêmes.

Mon rôle, entre autres, est d’accompagner ce processus en mettant à disposition des Etats membres toutes les connaissances des agences onusiennes qui ont dans leur portefeuille, dans leur mandat, un aspect migratoire. Il y a l’Organisation internationale pour les migrations qui s’est joint récemment, comme organisation associée, aux Nations Unies, le Haut-Commissariat pour les réfugiés, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme. Il y a beaucoup d’agences onusiennes qui ont un intérêt sur cette question.

Il s’agit de mobiliser ces connaissances pour accompagner le processus avec un rôle également de développer des politiques, des idées nouvelles pour en arriver à ce pacte mondial à la fin de 2018.

ONU Info : Quelles sont les principales étapes au cours des 18 prochains mois pour élaborer les deux pactes mondiaux sur les migrations et les réfugiés d’ici la Conférence internationale en 2018?

Louise Arbour : Le processus est assez formel. Il consiste – commençant dans quelques semaines, en mai, à Genève – en une série de consultations thématiques. La première, à Genève, concernera les droits de l’homme et la lutte contre la xénophobie, le racisme et l’intolérance. On va avoir une deuxième session, prescrite encore par la décision de l’Assemblée générale, sur les causes de la migration, les facteurs qui poussent les gens à partir volontairement ou non, les facteurs qui les attirent dans des pays où il y a, par exemple, du travail pour eux. On va avoir six sessions thématiques de ce genre qui vont traiter aussi du trafic d’êtres humains, toutes sortes d’aspects, l’aspect travail, le marché du travail.

On va examiner tout cela, ce qui va nous amener à l’automne 2017 où il va y avoir une réunion pour voir où on en est et la préparation d’un document qui au début de 2018 va servir de base aux négociations formelles entre les Etats. C’est le processus très formel.

Entre-temps, il va falloir aussi bien sûr essayer de mobiliser beaucoup d’acteurs de la société civile, de l’entreprise privée, l’opinion publique en générale pour accompagner ce processus.

ONU Info : La discrimination et la violence contre les réfugiés et les migrants augmentent actuellement. Les Nations Unies ont lancé la campagne ‘Ensemble’ pour promouvoir le respect, la sécurité et la dignité pour tous. Pourriez-vous nous dire pourquoi nous avons besoin de cette campagne et comment elle s’inscrit dans le processus intergouvernemental?

Louise Arbour : Pour sensibiliser les dirigeants politiques qui devront prendre des décisions, je l’espère, très appropriées, progressistes en matière de migration, il est très important qu’ils aient l’appui de l’opinion publique à travers le monde, dans leur pays en particulier.

Je pense que l’on a beaucoup de travail à faire, dans une certaine mesure, pour dire la vérité, changer une perception qui présentement est souvent très négative, une attitude qui est basée d’une part sur une perception que les migrants sont des fardeaux pour le pays qui les accueille ou des menaces

Je pense que l’on a beaucoup de travail à faire, dans une certaine mesure, pour dire la vérité, changer une perception qui présentement est souvent très négative, une attitude qui est basée d’une part sur une perception que les migrants sont des fardeaux pour le pays qui les accueille ou des menaces, alors que dans la réalité, et c’est là-dessus que l’on a beaucoup de travail à faire, il faut complètement changer cette perception négative, et peut-être pas complètement la remplacer, mais au moins l’accompagner de données basées sur les faits qui racontent une histoire très différente de la contribution que les migrants ont fait dans l’histoire, qu’ils font présentement et qu’ils vont continuer à faire non seulement pour la prospérité des pays qui les accueillent mais pour la transformation de sociétés qui inévitablement deviennent de plus en plus pluralistes et diverses.

ONU Info : Des experts des droits de l’homme de l’ONU ont déclaré que des services sociaux et de santé accessibles devraient être mis à la disposition des personnes handicapées dans les nouveaux pactes mondiaux pour les réfugiés et les migrants. Quelle est votre réponse à leurs préoccupations?

Louise Arbour : Je pense que c’est tout à fait juste. Si l’on pense à des personnes handicapées qui sont en plus des migrants, on peut percevoir immédiatement une double vulnérabilité.

Toute la problématique des droits de l’homme consiste à s’assurer que par exemple les services sociaux qui sont disponibles pour une population en générale soient accessibles sans discrimination à tous ses membres ou à toutes les personnes qui sont assujetties au contrôle d’un Etat en particulier.

Cela fait partie de toute cette grande campagne que l’on doit lancer, de s’assurer qu’on commence toujours avec les plus vulnérables. Là-dessus, on a encore beaucoup de travail à faire, beaucoup de travail de persuasion, mais il faut comprendre que les personnes qui sont non seulement des migrants, non seulement des personnes handicapées, mais encore pire, des personnes dans une situation d’irrégularité, dont le statut est mal ou pas documenté, ces personnes-là vivent dans un environnement de vulnérabilité encore plus extrême.

Il faut vraiment sensibiliser l’opinion publique. Et cela ne peut se faire que dans la mesure où on porte attention aussi aux besoins des sociétés d’accueil, des gens qui reçoivent chez eux des personnes très peu fortunées, qui ont beaucoup de besoins. Très souvent dans les sociétés d’accueil, ce sont les plus pauvres ou ce sont les sociétés les plus appauvries à qui l’on demande un geste de générosité. Il va falloir s’adresser également à leurs besoins à eux pour qu’on ait vraiment une perception d’égalité, d’équité dans le traitement des populations migratoires et des pays qui les accueillent.


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