Plaidoyer pour une nouvelle diplomatie économique

Emmené par Jean-David Levitte, ambassadeur de France et membre de l’Institut, le collectif (Jean-Hervé Lorenzi, Alexandre Medvedowsky et Olivier Pastré) propose une nouvelle approche des politiques face à un monde devenu de plus en plus complexe.

Le monde qui se façonne sous nos yeux est un monde de ruptures mais aussi d’opportunités. Les États, en particulier ceux du Sud qui aspirent à l’émergence, doivent changer de logiciel.

Les ruptures sont de trois natures différentes. Elles sont d’abord géostratégiques et se manifestent sous plusieurs formes:

  • une crise identitaire aux États-Unis et en Europe qui se traduit par une poussée, difficile à contenir, des populismes ;
  • une montée des nationalismes, potentiellement dangereuse en Chine et en Russie ;
  • une remise en cause du modèle économique des Brics ;
  • enfin, bien sûr, l’émergence de forces centrifuges qui conduisent à de nouvelles menaces de fragmentations de plusieurs États au sud de la Méditerranée (Irak, Syrie, Libye). Mais le risque existe aussi en Europe, au Royaume-Uni avec le Brexit et en Espagne avec la Catalogne.

Ces ruptures sont aussi financières. Elles découlent, d’une part, du déséquilibre d’épargne entre les pays émergents qui «surépargnent» et les États-Unis qui n’arrivent pas à sortir de la spirale infernale de la dette et, d’autre part, d’une montée de l’endettement aussi bien privé que public qu’encouragent la faiblesse des taux d’intérêt et la politique des banques centrales.

Ceci se traduit à la fois par le risque d’une «guerre des monnaies», et par la multiplication des bulles financières, de l’immobilier chinois à l’endettement des étudiants américains en passant par la bulle obligataire mondiale.

Mais les ruptures touchent aussi – et c’est plus grave encore car plus structurel – ce qu’il est convenu d’appeler l’«économie réelle». La marque la plus évidente en est le ralentissement de la croissance de l’économie mondiale qui a été divisée par deux depuis le début de la crise de 2008.

Ce phénomène global s’accompagne de trois séries de fractures plus ciblées qui contribuent à déstabiliser aussi bien les entreprises que les États: des mutations technologiques d’une rapidité et d’une ampleur sans précédent ; une remise en cause radicale de l’«energy mix» qui a prévalu pendant des décennies ; et enfin un défi alimentaire et de l’eau pour lequel les solutions existent mais ne sont pas toujours mises en œuvre.

L’approche à dominante anglo-saxonne des difficultés des pays émergents, focalisée sur la gestion de leur dette, ne correspond plus aux réalités d’un monde divers, qui appelle du « sur-mesure » plutôt que du « prêt à porter ».

Dans un tel contexte, la contestation brutale des situations acquises – du populisme au terrorisme -, au-delà de ses causes locales, traduit partout le malaise que suscite un mouvement de mondialisation mal maîtrisé. Les politiques traditionnelles ne sont plus pertinentes face à un monde devenu de plus en plus complexe. Une nouvelle approche s’impose désormais. Ainsi, dans le domaine économique, le renforcement paradoxal de la domination du dollar depuis la crise financière, que ce soit dans le financement des échanges ou à travers des amendes massives imposées à des banques non américaines, suscite aujourd’hui un début prévisible de réaction. De même, l’approche à dominante anglo-saxonne des difficultés des pays émergents, focalisée sur la gestion de leur dette, ne correspond plus aux réalités d’un monde divers, qui appelle du «sur-mesure» plutôt que du «prêt à porter».

Le maître mot pour l’avenir ne doit pas être celui de recentrage mais, au contraire, celui de diversification. Les économies qui sortiront le plus vite et les plus fortes de la crise seront celles qui en feront le choix. Cette diversification doit se décliner à tous les niveaux. Concernant les financements d’abord, pour tout pays en quête d’émergence, elle doit se traduire par quatre actions: diversification des monnaies utilisées ; diversification des thèmes de négociations avec les institutions bilatérales et multilatérales, en y intégrant la gestion des contentieux passés ; diversification des sources d’investissements directs étrangers, ce qui implique, pour chaque pays, de repenser ses facteurs d’attractivité ; diversification enfin des sources de financement extérieur aussi bien en termes d’institutions qu’en termes d’instruments, le marché obligataire, fragilisé, ne pouvant plus suffire.
Au niveau des politiques économiques nationales ensuite, la diversification industrielle s’impose, en particulier pour les pays dont la croissance a été portée par un nombre limité de matières premières. Elle doit s’accompagner de quatre autres diversifications: celle des sources de financement interne, en ne s’obnubilant pas sur l’hypothétique développement des Bourses domestiques ; celle des choix d’infrastructures et surtout des modes de financement de celles-ci (PPP, concessions…) ; pour les pays en excédent de capitaux, celle des cibles d’investissement, en réexaminant en priorité les opportunités nouvelles en matière d’immobilier et de «private equity» ; enfin, celle des sources de développement agricole et d’accès à l’eau.

Tous ces chantiers de diversification doivent être menés de front avec, pour priorité, le maintien d’une cohérence d’ensemble, en particulier sur le plan budgétaire. La philosophie présidant aux choix publics doit aller à la sélection des projets en fonction de leur effet de levier pour une croissance durable.
Pour restaurer la confiance dans les pays émergents, il faut fédérer des capitaux au service d’économies, de plus en plus diversifiées, en privilégiant des approches géostratégiques et multidisciplinaires. Voilà un beau chantier pour la France et ses groupes de conseil!

Liste des signataires: Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes ; Alexandre Medvedowsky, président du directoire du groupe ESL ; Olivier Pastré, professeur à l’université de Paris-VIII.

Article paru dans Le Figaro


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