Bruxelles s’attaque au trafic d’objets d’art

Article paru sur le site du journal Le Temps le 13/07/2017 par Ram Etwareea

Le commerce illicite des biens culturels est l’une des sources importantes de financement des groupes terroristes. Quelque 4500 sites archéologiques seraient sous le contrôle de l’Etat islamique sur l’ensemble du Moyen-Orient.

Frappée à plusieurs reprises ces dernières années par le terrorisme islamiste, l’Union européenne (UE) veut s’attaquer à l’une des sources de son financement: le trafic d’objets culturels. Dans une offensive lancée jeudi à Bruxelles, elle entend empêcher l’importation et le stockage de biens de plus de 250 ans. Elle compte aussi renforcer l’obligation de déclaration par les musées, galeries d’art, salles de ventes et collectionneurs privés européens. Chaque objet entrant légalement sera muni d’une «carte d’identité» pour améliorer sa traçabilité.

80 à 90% des ventes d’antiquités seraient d’origines illicites

«L’argent est le nerf de la guerre pour les terroristes qui frappent notre continent ou qui combattent en Irak et en Syrie, a fait comprendre le commissaire Pierre Moscovici chargé des Affaires économiques et monétaires, de la fiscalité et des douanes. Pour notre sécurité, nous devons tarir leur source de financement.» L’initiative européenne intervient à peine quelques jours après le sommet du G20 à Hambourg. Les dirigeants y avaient appelé à lutter contre le pillage et la contrebande d’antiquités.

Il n’y a pas de chiffre précis sur l’ampleur du commerce illicite d’objets d’art. Mais selon Interpol, cité par l’Union, «le marché noir en la matière est devenu aussi lucratif que ceux de la drogue, des armes et des contrefaçons». Entre 80 à 90% des ventes d’antiquités seraient d’origines illicites. La Commission a aussi cité jeudi une étude de la justice américaine selon laquelle ce trafic est le troisième plus important, derrière celui des armes et celui de la drogue. A lui seul, il pèserait entre 2,5 à 5 milliards d’euros par année.

Les bouddhas géants de Bamiyan

Pour étayer ses propos, la Commission relève que les radicaux islamistes n’hésitent jamais à s’en prendre à l’héritage culturel, parfois juste dans le but de les détruire, mais souvent pour alimenter le marché noir. A titre d’exemple, en Afghanistan, les talibans ont détruit les bouddhas géants de Bamiyan. Au Niger, les milices d’Ansar Eddine ont ravagé des tombes et mausolées dans l’ancienne cité de Tombouctou. Et plus récemment en Syrie, l’Etat islamique a détruit le temple de Baal Shamin à Palmyre. Mais en même temps, les groupes islamistes ont vendu des sculptures et autres chefs-d’œuvre archéologiques de grande valeur à des clients européens.

Les faits avancés par l’Union corroborent les résultats d’une enquête publiés l’an dernier par Les Clés du Moyen-Orient, un site d’information et d’expertises basé à Paris, selon lesquels les djihadistes recrutent et arment leurs miliciens grâce à l’argent provenant des sources illicites, y compris le trafic d’objets d’art. Aujourd’hui, quelque 4500 sites archéologiques seraient sous le contrôle de l’Etat islamique sur l’ensemble du Moyen-Orient, dont la moitié d’entre eux seraient situés en Irak et en Syrie. Selon cette enquête, le pillage et la contrebande d’antiquités leur rapporteraient entre 150 et 200 millions de dollars par année. L’Etat islamique donnerait aussi, contre paiements, des permis pour les fouilles à des équipes archéologiques étrangères. Il disposerait aussi d’équipes d’archéologues chevronnés qui assurent l’expertise des pièces dérobées, affirme le journal en ligne.

Enquête en Suisse

Les douanes européennes sont appelées à jouer un rôle clé dans le démantèlement des réseaux de trafiquants. La surveillance des ports francs, lieux par excellence pour stocker les objets trafiqués, sera renforcée.

En Suisse, l’Administration fédérale des douanes n’a pas été consultée sur le projet européen. Les Ports francs genevois ont pourtant récemment été au centre d’une enquête après que des douaniers genevois ont découvert une lampe byzantine dans la voiture de l’épouse d’un négociant d’antiquités basé à Genève. Ce dernier était dans le viseur de la justice suisse, mais aussi française et belge, car il était suspecté de détenir des objets pillés par l’Etat islamique en Syrie et en Libye.

Berne a signé un accord bilatéral avec de nombreux Etats pour la protection particulière des biens culturels (Chine, Chypre, Colombie, Egypte, Grèce, Italie). Toute importation de ces pays est sujette à une autorisation de l’Etat concerné.

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